Bénin: ouverture du colloque de l'ABCD sur l'avenir de la démocratie (discours)

Le président de l’association béninoise du droit constitutionnel, le professeur Joël Aïvo, a ouvert ce vendredi 28 février 2020, un colloque international sur le thème :  » La conférence nationale des forces vives de la nation: 30 ans après. » Dans son discours d’ouverture, le constitutionnaliste, après avoir retracé le parcours de cette marche démocratique, a mis l’accent sur les péripéties avant d’ouvrir les brèches pour les défis futurs, car selon lui la démocratie n’est jamais un acquis. 

Faire le bilan de la marche démocratique en Afrique et ouvrir les perspectives pour l’avenir, tel est l’objectif du colloque international lancé ce vendredi 28 février 2020 par le professeur du droit constitutionnel, Joël Aïvo, à travers l’association béninoise du droit constitutionnel.
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Dans son discours d’ouverture, l’ex-doyen de la faculté de droit et science politique, a rappelé les circonstances dans lesquelles les 493 délégués convoqués à cette assise nationale nous ont conduit à la démocratie. Si 30 ans après, les choses semblent avoir beaucoup évolué dans le mauvais sens, le constitutionnaliste estime que l’espoir est encore permis et il faut se consacrer aux défis futurs. Lire ci-dessous l’intégralité du discours d’ouverture.

Discours d’ouverture au colloque international :

S.E.M. Nicéphore SOGLO, ancien Premier Ministre, ancien Président de la République,

Monsieur le Président de la Cour constitutionnelle,
Monsieur le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs en vos différents grades, titres et qualités,

Chers collègues,

Il y a 30 ans, se refermaient au PLM Alédjo de Cotonou, les travaux de la Conférence nationale des forces vives du Bénin. Le 28 février 1990, précisément à cette heure, les 493 délégués à la Conférence nationale du Bénin ignoraient que quelques heures plus tard, ils projetteront le Bénin définitivement dans l’histoire de la démocratie et ouvriront dans notre pays une ère nouvelle, celle dite du Renouveau démocratique.

A cette heure, les délégués et au-delà d’eux, le peuple béninois ignorait quel sort le Président Kérékou réserverait aux conclusions de la Conférence nationale, tant elles étaient pour la plupart courageuses, frondeuses voire, à bien des égards, radicales. Les rejettera-t-il et dans ce cas, personne n’ose imaginer la suite du scénario. Il faut l’avouer.
Tenez, par exemple la Conférence nationale avait décidé de remettre en cause le mandat des institutions en place. La 3ème Législature de l’Assemblée Nationale Révolutionnaire, installée le 31 juillet 1989, a été dissoute. Il en était de même du mandat du Président de la République.
Réélu le 31 juillet 1989, Mathieu Kérékou voit son mandat écourté et devra se résoudre à perdre l’essentiel de ses pouvoirs gouvernants au profit d’un 1er Ministre qu’il n’a pas choisi. Enfin, la Conférence a remis en cause la légitimité du Président Kérékou et l’a obligé à aller reconquérir le pouvoir suivant les lois de la démocratie.

La Conférence nationale n’a pas fait que traiter l’urgence. Certes, elle a inventé un Etat conjoncturel, des institutions circonstancielles et trouvé des réponses d’urgence à la crise politique. Mais la Conférence a surtout posé les bases du Renouveau démocratique.

Notre pays tient de la Conférence nationale la table des lois de la démocratie. Oui il faut le dire. Et par les temps qui courent, il faut avoir le courage d’assumer ses convictions démocratiques et de rappeler avec force que le principal héritage de la conférence nationale, c’est la démocratie.

Mesdames et Messieurs,
Chers collègues,

Le Bénin qui se dresse devant le monde ce 28 février 1990, c’est un Bénin qui prend appui sur la démocratie, qui la revendique avec fierté et la met en œuvre 26 ans durant avec enthousiasme, application et loyauté. En conséquence, le modèle qui est vanté par la diplomatie mondiale, par les universitaires africains et occidentaux, c’est d’abord et avant tout une pratique démocratique, malgré tout, … exemplaire.

La Conférence nationale, disons-le sans trembler, a légué à ce pays, non pas un livre saint, mais un bréviaire, le bréviaire d’une société démocratique où la liberté, la dignité et la sécurité de l’homme seront garanties par les lois et défendues par des institutions.

30 ans après, il s’impose de s’interroger sur ce qu’est devenue la Conférence nationale ? Quel est son impact sur notre pays ? Quel est l’état de conservation de son héritage ? Vous l’aurez compris, Mesdames et Messieurs, c’est l’unique but de ce colloque.

Les travaux qui s’ouvrent ce matin ne peuvent donc pas faire économie du contexte politique actuel. Pour les uns, ce contexte est marqué par un train de mesures et un vent de réformes visant à mettre de l’ordre dans la démocratie béninoise. Pour les autres, on assiste à une démolition méthodique du modèle béninois et à un détricotage des acquis de la Conférence.

Mesdames et Messieurs,
Chers collègues,

L’ABDC prend l’initiative de ce colloque, il est vrai, à l’occasion de la commémoration des 30 ans de la Conférence. Mais il n’échappe à personne que nous célébrons cet anniversaire au moment où le pays s’interroge sur son avenir politique et ses perspectives démocratiques.

Au-delà de l’avis des experts et de la conviction intime des spécialistes, les Béninois sont préoccupés par l’état de santé de leur démocratie. Ils assistent désabusés au déclassement de la Conférence nationale. Pour faire court, le Bénin est-il encore le laboratoire de la démocratie en Afrique ? A ceux qui nous observent de loin, à nos invités venus de l’extérieur, les Béninois veulent savoir s’ils font toujours battre vos cœurs ?

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Nous serions heureux de savoir à la fin de nos échanges, si vous êtes aussi admiratifs de ce modèle qui vous a tant émerveillé par ses élections insaisissables, par la vitalité de sa presse, par la vigueur de sa société civile, par ses alternances surréalistes, par son Parlement indomptable et par sa Cour constitutionnelle jadis déclarée, audacieuse, ingénieuse et gardienne du temple?

Quoi qu’il en soit, il me plaît d’ores et déjà de dire que la Conférence nationale de février 1990 n’est pas un accident de l’histoire. Elle n’est pas un événement conjoncturel que le temps et les hommes peuvent effacer. En raison de sa charge symbolique, de ses acquis, de ses incidences elle ne mérite pas l’oubli, l’indifférence et parfois le combat que lui livre notre génération.

La conférence nationale est un repère fondamental qui a vocation à traverser le temps comme le sont encore aujourd’hui, plus de deux siècles après, la Convention de Philadelphie de 1787 pour les Etats Unis et les Etats généraux de 1789 pour la France. Février 1990 ne fut pas que la Conférence des Béninois. Notre Conférence est vite devenue, bien malgré elle, le phare qui a éclairé, avec des fortunes diverses, une Afrique en pleine tempête dictatoriale.

C’est pour cette raison qu’à l’ouverture de nos travaux, je voudrais en appeler à un sursaut autour de ces assises fondatrices de la démocratie. J’invite notre peuple à ne pas laisser mourir un organe vital de son organisme, une partie intime de lui-même. A l’Etat, incombe la responsabilité de préserver la mémoire de la conférence, d’assurer la transmission de cet héritage aux générations futures qui ne doivent ni ignorer sa portée ni fragiliser ses acquis.

Incombe toujours à l’Etat de réhabiliter la Conférence nationale en faisant du PLM Alédjo la cité de la démocratie qui rappellera, aujourd’hui, demain et pour toujours, ce qu’un peuple au fond du désespoir a été capable de réaliser.

Mesdames et Messieurs,
Chers collègues,

L’œuvre humaine est précaire et la conquête de la démocratie une quête continue. Avant de quitter ce pupitre, je voudrais partager avec vous la principale leçon que j’ai modestement tirée des trois dernières décennies.

En 30 ans, le Bénin a cru en son modèle et nous avions la certitude, moi y compris, que nous avons enfin réussi à ériger des institutions capables de résister à toutes les intempéries, aux chocs et électrochocs de la vie politique. Nous n’avions pas si tort, car notre pays a beaucoup investi dans la démocratie.

En 30 ans, nous avons adopté une Constitution, doté le pays des lois essentielles, nous avons conçu les institutions et mis en place progressivement un système électoral consensuel qui nous a donné 4 Présidents de la République, 3 grandes alternances, 7 législatures, 3 élections municipales et Communales, tout ça sans contestation préjudiciable à la stabilité du pays, à la paix et à l’unité nationale.

En revanche, ce que nous avons manqué de faire ces 30 dernières années, c’est d’investir dans la formation, dans l’éducation, dans le civisme des hommes et des femmes appelés à prendre en charge cette démocratie.

En 30 ans nous ne nous sommes pas suffisamment préoccupés des valeurs devant gouverner les citoyens appelés à appliquer ces lois et à animer ces institutions démocratiques. C’est à mon avis, ce que nous n’avons pas réussi à faire et qui expose notre démocratie aux turbulences. Former et préparer les gouvernants de demain reste donc le principal défi des années à venir.

Pour finir, permettez que j’adresse au nom de l’ABDC, notre gratitude à nos partenaires et à nos invités. Ce sont :
– D’abord, la Fondation OSIWA – les Fondations Friedrich Ebert et Konrad Adenauer – International IDEA pour leur engagement constant en faveur de la démocratie et pour leur appui décisif. – Ensuite, la bibliothèque nationale pour le déploiement ici même, de l’exposition photo sur la Conférence nationale ;

– Enfin, tous les participants, les communicateurs, les discutants, les Présidents de Panel et notre rapporteur.
– Une mention spéciale à tous nos collègues et les invités de marque venus de l’extérieur pour commémorer avec nous les 30 ans de la Conférence nationale et pour participer demain à la cérémonie de remise des Mélanges au Président Dossou, acteur clé de la conférence et inlassable artisan de la démocratie des Amphithéâtres au Prétoire.

Bon séjour à nos hôtes
Bon colloque à tous.

Cotonou, le 28 février 2020

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