« La liberté doit être remise en cause pour motif d’insécurité sanitaire », Dr Célestin-Alexis Agbessi
Dans un entretien exclusif accordé au quotidien « Fraternité« , Dr Célestin-Alexis Agbessi, praticien hospitalier CHU Bichat, Paris 18, spécialiste de médecine d’Urgence, s’est prononcé sur les mesures prises par le Bénin pour prévenir la propagation du Covid19 et propose une restriction des libertés en dépit des exigences de notre constitution.
Dans une interview accordée à Fraternité, Dr Célestin-Alexis Agbessi donne son appréciation sur la gestion de la pandémie du Covid 19 à travers le monde entier. Si l’homme de science a reconnu la pro-activité des gouvernants dans la prise de mesures de prévention, il estime néanmoins que le pays manque de l’essentiel de base pour la prise en charge. « En résumé, nous manquons de l’essentiel de base en temps normal déjà. Et c’est une responsabilité collective de tous les gouvernants depuis longtemps. Aujourd’hui, pour le covid-19, nous pouvons, grâce au kit de l’OMS, faire un diagnostic / Isoler à domicile ou en surveillance en zone contrôlée« , indique-t-il. Mais si le nombre de cas graves devient massif, « je ne suis pas sûr que nous puissions nous adapter de manière massive. Nous ne sommes malheureusement pas équipés. Ni l’Italie, ni la France qui sont les 9eme et 7eme puissances mondiales. Excusez du peu. », fait remarquer l’homme de science.
La jeunesse de la population, un début de chance
Avec cette pandémie, le Bénin peut se réjouir de sa pyramide des âges. Cette pyramide est l’inverse des pays du Nord : notre base est très élargie : nous sommes une population jeune à plus de 80%, rappelle-t-il. « Donc peu de risque de mortalité, si on se réfère aux datas publiées dans les journaux scientifiques et par l’OMS chaque jour. C’est notre chance. En Europe, c’est 35% de patients de plus de 70 ans, d’où la peur et l’angoisse, car le système de santé ne peut pas tout absorber, d’oú aussi une surmortalité« , fait-il remarquer.
Les autorités béninoises rattrapées par leur mépris de la population
Pour le docteur Célestin-Alexis Agbessi, les mesures préventives prises par le gouvernement béninois est du bon sens organisationnel même s’il estime que si les moyens existaient, les centre sd’isolement devaient être créés par département à côté des CHD comme recours médical. « Mais compte tenu de l’urgence de la situation… Dans tous les cas, tout ce qui est fait avec l’aide de l’OMS qui édite des règles universelles de prise en charge est souhaitable car il ne faut pas oublier le coût énorme que cela représentera : des milliards.« , affirme-t-il. Pour le praticien sanitaire, l’épidémie du coronavirus met, sur le même pied d’égalité, les populations et les dirigeants. Des dirigeants qui ne se sont jamais souciés d’équiper les hôpitaux parce que, de toutes les façons, eux font leur bilan de santé en dehors du pays et bénéficient avec plus de facilité des évacuations sanitaires. « Depuis des années, la vie des populations n’a jamais valu grand-chose et aujourd’hui nous nous retrouvons avec nos dirigeants sur le même bateau des possibles contaminations avec les mêmes probabilités de finir dans les mêmes centres de soins et les mêmes réanimations : je peux vous dire que ça les effraie au plus haut point.« , a-t-il laissé entendre. En effet, avec cette pandémie, même quand on est riche au Bénin, « on ne peut pas se soigner efficacement. C’est un factuel et ce n’est faire injure à personne. On ne peut pas se faire soigner car le matériel est quasi absent ou inutilisable« , fait-il remarquer.
Des conseils pour éviter le pire
Pour le spécialiste de médecine d’urgence, le Bénin n’a pas une fenêtre d’opportunités exceptionnelles d’amplifier l’amélioration des systèmes de santé en investissant massivement. « La résilience dont fera preuve le système actuel conditionnera le futur du pays. Mais il y a fort à parier (je le souhaite) que nous n’aurons que la queue de la comète car ayant une population jeune » Il est indéniable, poursuit-il, que les mesures qui seront prises et respectées auront en même temps une incidence sur d’autres maladies manuportées : diarrhées, dysenterie, hépatite A, choléra, grippe, tuberculose. « Mais comme dit une amie à moi : en avant c’est devant. Et nous attendons les autorités devant, c’est-à-dire en avant avec un sens de la prospective, un bon jugement. » ,affirme-t-il.
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En terme de résilience, le docteur s’interroge: des masques pour la population, les personnels de santé sont-ils prévus en quantité suffisante ? Le Savon est-il prévu en quantité suffisante ? Fontaine publique pour lavage de main prévue ? Équiper les collèges et lycées de zone de lavage de mains après la récréation prévue ? « Bref, toutes ces mesures simples. Gouverner, c’est prévoir. Équiper chaque entrée d’hôpital, de clinique etc.. de zone de lavage par gel. Fabriquer le gel sur place (l’OMS a libéré la formule) et distribuer au nom de l’état protecteur aux élèves par exemple« , préconise le spécialiste. Malheureusement, anticipe-t-il, « ils vont le vendre et seuls ceux qui le peuvent, achèteront (je souhaiterais être démenti pour le plus grand bien de tout le monde) : c’est là le plus grand mal. Les pauvres paieront un lourd tribut car pauvres« , martèle-t-il.
Le praticien hospitalier préconise également la libéralisation des finances pour le paiement des soins intégralement pour les patients atteints quels que soient leurs niveaux de gravité, un revenu de substitution si possible pour les malades atteints et leurs familles, une réserve alimentaire pour les confinés éventuels, « bref des mesures sociales qui accompagnent. C’est le seul combat qui mérite vraiment qu’on s’y attarde en ces temps troublés. Les pauvres, ce sont nos repères. Et enfin, pour nos populations analphabètes, on leur délivre des messages dans leurs langues à travers toutes les radios du pays« , insiste-t-il. Pour lui, ces mesures sont indispensables. « C’est une des faiblesses du non apprentissage des langues locales à l’école. Elles sont utiles et aujourd’hui plus que jamais. Envoyer des messages sur tous les téléphones en Fon, Yoruba, Dendi, Adja, Mahi, Baatonu, Mina etc… et j’en oublie, pardon. », conseille-t-il.
Il faut restreindre les libertés individuelles
Enfin, le spécialiste des maladies urgentes préconise la restriction des libertés individuelles. « L’élément le plus important dans les rapports humains est la liberté sous toutes ses formes. En effet, garantie par toutes les constitutions des Etats de droit, elle peut être remise en cause pour motif d’insécurité sanitaire et protection publique, y compris l’état d’urgence qui est le degré le plus élevé de restriction des libertés publiques pour la conservation de l’Etat« , martèle-t-il.
Cette pandémie engendre des restrictions un peu partout liées à l’insécurité sociale. Il y a des mesures de restrictions des libertés sociales avec limitations des foules, des rencontres, des matchs joués à huis clos, la fermeture des écoles, des mosquées, des églises, la limitation des relations sociales dans ce qui constitue l’essence de l’humanité, fait-il savoir. « L’homme n’est homme que parmi les hommes. Solitude, peur, angoisse, anxiété, sensation d’abandon pouvant parfois conduire au suicide. » ,a-t-il martelé.
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