Bénin – Coronavirus: un médecin rompt le silence et dédouane le gouvernement

Dans une tribune rendue publique ce mardi 7 avril 2020, Dr Mahouna Philippe Adjagba, cardiologie et ancien moniteur-clinique des Hôpitaux affiliés à l’Université de Montréal, a plaidé pour le cas des agents de santé qui sont au front mais dont le gouvernement fait peu cas. Sa tribune a suscité celle de l’un de ses collègues, qui a plutôt remis en cause la responsabilité des praticiens hospitaliers.

Avant d’engager la responsabilité du gouvernement dans cette lutte contre la pandémie de la Covid-19, il faut d’abord engager celle des agents de santé. C’est la position du Dr Koudjo Tokpanou, médecin spécialiste des maladies infectieuses et tropicales. Dans une publication sur les réseaux sociaux, le professionnel de santé affirme qu’il a lu avec beaucoup de peine et de tristesse le cri du cœur de son aîné. Mais en réalité, indique-t-il, « avant les autorités, c’est nous-mêmes. Avec mon expérience de gestion des épidémies au Bénin, je peux vous parler en donnant des illustrations« , indique-t-il. En terme d’illustrations, le spécialiste des maladies infectieuses cite:

  • 1- Le CNHU n’a jamais accepté gérer les cas d’épidémie en son sein. Du coup, rien n’est mis en place au CNHU pour cela. Le personnel non formé, pas d’infrastructures appropriées, précise-t-il. « Combien de démarches n’avons-nous pas fait en tant que membres de la Commission Nationale de P.E.C. des fièvres hémorragiques pour changer la perception et le comportement des responsables », indique-t-il. Nous avons rencontré en son temps, nos maîtres et professeurs. On nous a parlé d’un projet de 150 lits à venir. Pour le cas de la gestion de la fièvre hémorragique de décembre 2018, c’est le Ministre de la Santé lui- même en personne qui est venu arracher de force un bâtiment au CNHU pour abriter le patient, fait-il savoir, avant de préciser: « Je ne veux pas parler du nombre de mécontents qu’il a fait sur ce chemin de bravoure. »
  • 2- Personnellement en janvier 2020, avant que le Coronavirus ne soit nommé Covid 19 et que la maladie ne se généralise, nous avions initié un EPU sur le sujet en collaboration avec le VP de l’ONMB, poursuit le spécialiste. Nous avions eu, comme participants, sept (07) personnes, dont deux (02) médecins. « Des collègues m’ont même appelé pour annuler leur participation parce qu’à travers le communiqué du Ministre de la Santé à la télé, ils ont déjà compris la maladie. Des médecins qui comprennent une maladie infectieuse à travers le communiqué du Ministre à la télé. », explique-t-il.
  • 3- Depuis que cette pandémie s’est déclarée, combien de collègues ont modifié le plan et l’organisation des services dans leurs formations sanitaires, se demande-t-il. Tout continue à être fait comme si de rien n’était, a-t-il fait savoir.
  • 4- Pour finir, je voudrais vous rappeler que notre plus grande faculté de formation de médecins, où nous tous avions été formés, la FSS, ne dispose pas d’une Unité de Formation et de Recherche en Maladies Infectieuses. Comment voulez-vous que les choses n’aillent pas par tâtonnement. Nous continuons de privilégier les sciences fondamentales, en laissant de côté l’essentiel qui vient à nous décimer, laisse-t-il entendre.

Pour Dr Koudjo Tokpanou, beaucoup d’autres exemples existent. « Depuis longtemps, je me suis gardé d’intervenir sur ce forum, mais je profite de l’occasion de cette lettre du Dr Adjagba, pour donner mon point de vue. Le Gouvernement fait ce qu’il fait, le Ministre de la Santé dort à peine, le CNLS-TP et les PTF sont sur la braise; nous-mêmes, médecins et professionnels de santé, que faisons- nous? », s’est-il interrogé.

Tribune du Dr Mahouna Philippe: 

Dr Mahouna Philippe ADJAGBA Cotonou, le 07 AVRIL 2020
MD, Cardiologie Adulte & Pédiatrique, Cathétérisme Cardiaque Pédiatrique
Ancien moniteur clinique des Hôpitaux affiliés à l’Université de Montréal (CHU Ste Justine, Montréal)
Maître Assistant des Universités (CAMES), FSS-UAC
Praticien Hospitalo-Universitaire (Clinique Universitaire de Cardiologie CNHU-HKM Cotonou)
Numéro d’inscription à l’Ordre des Médecins: N°318/ONMB/ATL/2001
10BP : 259 Cotonou, Bénin. Tél:+22997243282. E-mail : dotoup@yahoo.fr
LA GESTION DE LA covid-19 AU BENIN! MON OPINION AVANT QUE LA MORT NE NOUS
EMPORTE TOUS!
A QUI DE DROIT
En ce moment où j’écris ma position à qui de droit, je viens de passer une nuit blanche! La nuit
que vous passez quand vous êtes confus. Confus de ce qui vous dérange!
Après le nième cas suspect de COVID 19, et la réaction à peine croyable des structures chargées
de conduire la lutte contre la pandémie de COVID 19, je m’interroge, je m’interroge en tant que
citoyen et en tant que médecin.
Quelle est la philosophie globale qui soutient cette lutte dans notre pays? Après être passé par la
phase de déni, puis celle de refus de prendre des mesures appropriées, nous voici à l’étape des
‘’mesurettes’’, évoluant au gré de l’augmentation du nombre de cas dans notre pays.
Les communiqués se succèdent sans qu’on n’en perçoive la cohérence d’ensemble. Et la situation
des hôpitaux?
Cette pandémie est gérée par une poignée d’individus laissant en rade la grande majorité des
professionnels de santé qui se contentent des communiqués officiels destinés au grand public.
Les professionnels, quel que soit le niveau d’intervention, attendent les directives spécifiques. La
peur, le désarroi et la désolation restent le lot quotidien de nous autres, appelés tous les jours au
front sans en savoir plus et sans réel soutien. Des communiqués officiels, aucune mention pour
les professionnels de santé, réduits depuis lors au silence. Les patients continuent d’être reçus
comme par le passé.
Je m’interroge et j’accuse! Les hôpitaux n’ont aucun circuit-patient suspect. Les tests réalisés après
plusieurs appels infructueux, restent du domaine du secret. Les statistiques officielles annoncées,
laissent encore perplexes les acteurs de terrain. Combien sommes-nous déjà à avoir été en contact
avec les cas sans le savoir? La diffusion nosocomiale de la COVID 19 se prépare à grand pas et
nous emportera tous. On fermera des centres, comme c’est en cours, mais empêchera-t-on la
diffusion communautaire de la pandémie?
Les mesures prises dans une opacité totale, et à l’insu des acteurs de terrains ne sont pas de
nature à rassurer. Quel est le collège de scientifiques impliqués dans la lutte et qui peuvent
rassurer par leur indépendance?
Avant que la mort ne nous emporte tous, il est urgent de faire une évaluation quotidienne de la
gestion de la pandémie. Une meilleure planification de la lutte en mettant au centre, les
professionnels et les communautés, s’impose.
Le peuple, a le devoir de protéger les professionnels de santé envoyés au front sans
moyens et laissés dans l’ignorance totale.
Sauvez les professionnels de santé! Évitez la diffusion nosocomiale de la covid-19!
Sauvez nos populations du drame qui se prépare!
Aux professionnels de santé livrés à nous-mêmes, en ces moments difficiles, notre silence est presque coupable !
*ERRARE HUMANUM EST, PERSEVERARE DIABOLICUM*

 

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