Bénin: extraction de sable fluvial, une activité rentable mais suicidaire

Le sable fluvial constitue aujourd’hui un grand enjeu économique au Bénin. Comme dans la plupart de villages lacustres de la partie méridionale du pays, la commune d’Adjohoun, dans le département de l’Ouémé connait ce phénomène qui, malgré son aspect économiquement rentable, constitue une catastrophe environnementale.

En 2008, le gouvernement d’alors, à travers l’Agence béninoise de l’environnement (Abe), a pris le décret N°2008-615 du 22 octobre 2008 qui interdit l’exploitation du sable marin compte tenu des conséquences néfastes sur l’environnement de la berge. Depuis lors, les populations et exploitants se sont tournés vers le sable fluvial. Dans les arrondissements de Démè, Kodé, Akpadanou dans la commune d’Adjohoun, la période de l’extraction de ce sable fluvial est un grand moment d’activité économique qui occupe ceux qui s’y adonnent.

Serge a déjà fini sa formation en mécanique automobile et est en attente de la cérémonie de remise de son attestation et diplôme. Mais les conditions financières de sa famille ne lui permettent malheureusement pas d’organiser cette cérémonie de remise afin de se libérer pour se mettre à son propre compte. Retourné dans son village natal, Adjohoun, il s’adonne à l’extraction de sable fluvial.

Une activité rentable

En culotte bleue-ciel avec son t-shirt noir, Serge a, dans ses bras, une pelle et un sceau métallique contenant son déjeuner de la journée. Celui-ci est bien modeste vu sa composition. Après quelques pas de marche, il se retrouve au bord de la rive où l’attendaient Romaric, Viviane et Jean, ses coéquipiers de circonstance.

La pirogue qui transporte ces 4 jeunes s’ébranle pour s’arrêter, quelques minutes plus tard, au milieu du fleuve Ouémé. Serge et Romaric sont chargés de plonger pour remonter à la surface de l’eau avec leur sceau rempli de sable fluvial et d’eau. Quant à Viviane et Jean, ils restent dans la pirogue pour débarrasser les deux plongeurs de ces sceaux pour vider après leur contenu dans la pirogue. Et c’est un mouvement, un exercice, qui durera un peu plus de 3h d’horloge avant que la pirogue ne se remplisse.

Après cette première étape, l’équipe conduit la pirogue désormais remplie de sable fluvial à la rive où une autre équipe est chargée de la vider pour son retour pour un autre chargement. Avec leur dynamisme, l’équipe peut effectuer deux voire trois voyages du genre dans la journée. Au soir de cette activité hautement risquée, chaque membre de l’équipe repart à la maison le soir avec 3 à 4 mille francs CFA (4,6 euro et 6 euros).

Le sable amassé sera ensuite vendu aux camionneurs. Le prix de vente varie de 14 mille (22 euros environ) à 32 mille francs CFA (49 euros) selon la saison. A cette étape, Serge et ses coéquipiers interviennent encore pour le chargement de ces camions. Et pour un camion chargé, Serge gagne 1500 francs CFA (2, 30 euros). Des chiffres d’affaire qui ont permis à ce jeune en fin d’apprentissage de réaliser une économie considérable pouvant lui permettre désormais d’avoir son diplôme en mécanique auto.

La noyade, l’autre compagne quotidienne

« La plupart des plongeurs sont certes des nageurs mais le risque de noyade est trop élevé », témoigne Anatole, un des responsables de la carrière de Kodé, une localité située dans la commune d’Adjohoun. Pour ce quinquagénaire, « depuis le début des activités sur ce site (celui de l’arrondissement de Kodé Ndlr), il y a déjà eu 3 morts par noyade ».
Pour Serge, la noyade est un risque quotidien puisque la maitrise des techniques de nage est bien différente de celle de transporter un sceau chargé de sable fluvial et d’eau du fond à la surface de l’eau.

« Nous avions été obligés de stopper l’extraction du sable fluvial pendant deux saisons consécutives puisqu’un jeune était mort par noyade », a signalé Grégoire K. le chef village de Kodé.

Malgré les risques, des populations, les jeunes surtout, continuent de pratiquer cette activité d’extraction de sable fluvial puisqu’elle doivent survivre, selon leurs dires. « Toutefois, nous serons ravis de bénéficier des machines d’extraction de sable comme nous le voyons dans les télévisions dans d’autres pays. Nous lançons donc un avis aux autorités décentralisées et à l’Etat central ou à toute autre organisation pouvant nous permettre de moderniser cette activité dans notre localité », souhaitent à l’unanimité les personnes interrogées sur les différents sites de la commune.

Une catastrophe environnementale

Les villages de Gouké et de Mankan (4 mille habitants environs pour les deux Ndlr) dans l’arrondissement de Kodé pourraient bientôt disparaître voir l’allure de la dégradation de la berge du fleuve Ouémé dans cette zone. Selon les explications de Bernardin Djossou, spécialiste en gestion durable des terres sur le projet GIRE-PSE-OmiDelta, le désastre causé par le dragage du sable s’explique par le phénomène de Renard en hydrologie. Les excavations créées font évoluer les berges de façon régressive. Tout va conduire par la suite aux catastrophes actuelles, c’est-à-dire la perte des terres et donc, celle des palmiers et arbres qui bordaient la lagune précisément à Kodé.

« Aujourd’hui, je squatte chez un autre frère du village avec ma famille. Notre habitation a été détruite il y a un an avec l’érosion fluviale alors que nous étions à plus de 100 mètre de la berge il y a quelques décennies encore », témoigne, larmes aux yeux, Yaoïcha, veuve et habitante du village de Gouké.

Les hydrobiologistes s’accordent sur quelques aspects bénéfiques pour la biodiversité avec surtout la restauration des nids de reproduction pour des espèces qui aiment la profondeur des eaux. Mais, cette même profondeur crée des perturbations dans les écosystèmes aquatiques avec la destruction de l’habitat et de la diversité biologique.

Depuis peu, le dragage de sable fluvial dans la commune d’Adjohoun est une activité salvatrice qui permet, à n’en point douter, de lutter contre le comblement du cours d’eau. Aussi, est-elle doublée des avantages économiques avec la création d’une importante richesse pour la commune. Pour les habitants des villages concernés, les autorités Communales doivent agir pour mieux recadrer l’activité « puisqu’elles collectent des taxes et autres frais sur chaque camions chargé sur les différents sites d’extraction de ce sable fluvial ». Une exhortation qui peine, constatent ces populations, à avoir un écho favorable auprès de ces autorités.

Des environnementalistes, eux, invitent ces mêmes autorités à la mise en application des mesures d’atténuation élaborées dans le Plan de gestion environnementale et sociale (Pges). Une application qui leur permettra de mieux intégrer l’activité aux milieux biophysiques et humaines.

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