Bénin – Morgues traditionnelles : Une pratique ancestrale aux conséquences désastreuses [1/2]

Au centre du Bénin,  face aux taux exorbitants des funérariums modernes, les familles éplorées se réfèrent aux morgues traditionnelles pour conserver le corps de leur parent décédé.

« Nous avions fait recours au féticheur du village pour qu’il nous garde le corps inanimé de notre père pour quelques quinze (15) jours avant qu’on ne l’enterre suivant les exigences coutumières et traditionnelles. Tout s’était bien passé et le corps a été tel à part quelques noirceurs constatées à certains endroits », témoigne Alfred Yèdédji, trentagénaire et originaire d’Abomey.

Située au nord- ouest de la partie méridionale du Bénin à cent trente (130) km de Cotonou, la ville d’Abomey est l’une des cités historiques qui attire des milliers de touristes par an. Ancrées dans la tradition et fortement attachées à l’histoire de leurs aïeux, les populations, comme c’est le cas dans tout le Bénin, accordent un grand prix à leur parent décédé. « On n’aime pas se séparer de nos parents encore plus quand ils sont décédés », soutient Joseph Hountondji, septuagénaire à Zounzonmè dans la commune d’Abomey.

De l’historique de la morgue traditionnelle

Dans l’ancien temps, raconte l’homme, « les corps de nos parents décédés, pour des cérémonies familiales et coutumières, sont exposés dans la maison mortuaire pour soixante-douze (72) heures au plus avant d’être recouverts de sable. Occasion également pour les enfants du défunt vivant un peu loin de revenir voir leur parent avant l’inhumation ». Une pratique observée dans presque toutes les familles de la région et même au-delà. Mais, continue Joseph, « nous étions tous dans ce village quand, venant du Nigéria, pays limitrophe à l’Est du Bénin, notre frère ».

A. K. nous convainc de ce qu’il fallait revoir les conditions de conservation des corps de ces parents fauchés par la mort. Et pour cela, il dit avoir été formé traditionnellement pendant des années et il est à même aujourd’hui de conserver ces corps au-delà d’un mois voire des années. Cette initiative du « sauveur », selon les propos de Joseph, remonte à 2004. « Pour nous, c’était une nouvelle possibilité puisque les morgues déjà en place constituent une autre chaîne de dépenses aux membres de la famille parce que coûtant bien chères », a-t-il soutenu en précisant que s’installait ainsi, dans la commune, cette pratique de conservation de corps à domicile.

De 2004, année où tout a commencé, à 2019, de l’eau a coulé sous le pont. D’un village et d’un seul homme, l’ouverture de ces maisons de conservation de corps à domicile communément appelées morgues traditionnelles utilisant des moyens peu recommandés, a envahi toute la commune et s’est intensifiée ces dernières années de façon anarchique.
« C’est devenu aujourd’hui un phénomène et un fléau social pour la région », se désole Firmin Kouton, préfet du département du Zou.

Pour l’autorité préfectorale, « après l’installation et le démarrage des activités du précurseur de ces funérariums atypiques, il a été débordé par le nombre de corps à lui amenés par les populations. Ne pouvant donc pas tout gérer ou être partout à la fois, il avait donc fait recours à la main d’œuvre des fils de sa localité ».

Ainsi débuta l’initiation de ces « apprentis charlatans» à la conservation des corps. « Ces apprentis, après avoir connu les techniques et reçu les bases élémentaires de la chose, se retirent et créent à leur tour ces morgues dans leurs localités », a déclaré le préfet qui y trouve d’ailleurs la cause de la prolifération de ces structures irrégulières. A la Direction Départementale de la Santé Zou et selon les documents à nous produire par l’Inspection d’Action Sanitaire en charge du dossier des morgues traditionnelles dans la région, « le nombre de ces morgues avoisine treize (13) dans le seul département ».

La pauvreté, facteur favorisant…

« La conservation du corps de notre papa nous a coûté cinquante fois moins cher que s’il s’agissait des morgues modernes ». Ainsi s’exprimait Alfred à la question de la facture après services de conservation à domicile du corps de son père.

Issu d’une famille modeste, Alfred est le seul et unique garçon des six (6) enfants du défunt. Vertu de blouson bleu, uniforme des professionnels en mécanique auto-moto, pensif dans un fauteuil de véhicule placé à même le sol à la devanture du garage où il opère depuis près de dix (10) ans, soit deux (2) ans après l’obtention de son certificat professionnel, Alfred a les mains aussi propres que le fonctionnaire venu fraîchement dans son bureau le matin.

Derrière lui, un véhicule à capote ouverte et un apprenti réglant la vitesse du moteur. Il sonnait 16h 40 ce mercredi et Alfred, n’ayant pris que de la bouillie dans la matinée, ne cesse de penser à quoi assurer la cocotte de la soirée avec ces quatre (4) enfants condamnés, la majorité, de passer leur journée à la maison.

« Je ne pouvais pas assurer les frais de la morgue moderne. Je ne pouvais non plus enterrer mon père le lendemain de son décès au risque d’être hué ou pointé de doigt dans la ville. Je me dois d’assurer le rôle de garçon de la famille. Alors, c’était la seule issue qui s’offrait à mes sœurs et moi », déclare Alfred avec beaucoup de peines.

De cette déclaration, il est aisé de noter le niveau de vie extrêmement bas et la pauvreté dans laquelle végètent nombre de populations d’Abomey. Même constat dans les propos du préfet Firmin Kouton qui, déplorant la pratique pour ses risques élevés, énonce le pouvoir d’achat trop bas de ses administrés.

Cette idée de condition sociale est partiellement partagée par Joseph qui y trouve d’ailleurs une pratique ancestrale et culturelle. « Nos aïeux avaient toujours conservé les corps de leurs parents décédés pour quelques jours dans leur maison. Aujourd’hui, nous avons quelqu’un qui nous propose un endroit loin de la maison mortuaire pour la conservation du corps. Pourquoi ne pas en profiter pour le même résultat au finish » ? S’interroge l’homme qui rassure d’ailleurs sur les bienfaits d’une telle pratique.

Pour Hilarion Ahoyo-Aïgbé, inspecteur d’action sanitaire en service à la Direction Départementale de la Santé (DDS) Zou, il est donc important de souligner « les contraintes socioculturelles qui agissent énormément dans le choix des morgues traditionnelles qui est bien risquée, non seulement pour le ‘morguier’ qui manipule le corps, mais également pour les populations environnantes, les membres de la famille du défunt et surtout ces milliers de personnes venues épauler leurs amis, frères et parents éplorés ».

De toute évidence, la pratique tire ses racines de l’ancestral et continue d’exister dans un monde pourtant en pleine évolution et modernisation sur tous les plans surtout dans ce secteur qui touche la santé publique des populations. Il est donc à préciser que cette cohabitation défunt-vivant est à l’origine de nombre de maladies qui tuent naïvement des milliers de citoyens béninois.

En collaboration avec:

Isidore Atindeyetin (ABP Abomey) 
Romain Cokou (Quotidien le Matin )
Anafi Soulé Bio Nikki (ABP Kandi) 

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