Bénin – Morgues traditionnelles : une pratique à la peau dure dans le plateau d’Abomey [2/2]

Les autorités administratives se battent pour stopper la pratique dans les zones qui abritent les morgues traditionnelles, mais peinent véritablement à éradiquer le fléau. Une pratique qui expose les populations à de graves conséquences sanitaires.

Le phénomène de prolifération des morgues traditionnelles dans la région d’Abomey n’est pas sans conséquences sur la santé non seulement de ceux qui exercent ce métier, mais aussi et surtout sur les populations vivant dans les environs. Ces conséquences sont nombreuses, multiformes et posent un problème de santé publique du fait de la proximité de ces morgues avec les habitations.

« Le cadavre et les personnes vivantes ne font pas bon ménage même si les règles d’hygiène sont respectées », a fait remarquer Hilarion Ahoyo-Aïgbé de la direction départementale de la santé. Aussi, signale-t-on que la plupart de ses morgues construites ne respectent pas les normes requises en matière d’installation des instituts médico-légaux. Il va donc de soi que les populations environnantes soient exposées à des risques de contamination non seulement par des odeurs nauséabondes dégagées par les corps en putréfaction, mais aussi par d’éventuelles maladies étant la cause du décès.

Du coup, les méthodes peu orthodoxes (mixtures, scarifications, plasmolyse ou assèchement du corps, momification…), les produits nocifs utilisés et les conditions très peu hygiéniques dans lesquelles le traitement des corps s’opère accroissent les risques de contamination des populations.

La manipulation des corps et autres manœuvres désobligeantes à l’hygiène et aux réglementations en matière de santé ne sont pas de nature à garantir une sécurité sanitaire aux acteurs en contact avec des macchabés et à leurs entourages. Pour le chef service des hôpitaux et des soins infirmiers et obstétricaux en service, lors de notre enquête à la direction départementale du Zou, Hilarion Ahoyo- Aïgbé, les risques de contaminations sont énormes.

« Les promoteurs, leurs familles et les membres de la communauté sont exposés aux affres des nombreuses maladies contagieuses si les corps sont manipulés sans aucune précaution. De plus, la prise en charge (manipulation, lavage et la mise en condition…) des cadavres doit être assurée par un service spécialisé avec des agents formés dans des conditions strictes d’hygiène et d’assainissement avec des équipements appropriés qui assurent leur protection », a-t-il précisé.

Or, avec les promoteurs des morgues traditionnelles, c’est plutôt la non observance des règles d’hygiène qui est de mise, a-t-on constaté.

« Dans ces conditions, n’est-ce pas chose normale qu’ils s’infectent eux-mêmes avant de contaminer leurs familles et les populations environnantes ? », s’interroge l’agent de santé.

Généralement au Bénin, on ne s’intéresse pas aux causes du décès. « Il est plus conseillé de prendre les précautions nécessaires avant de manipuler la dépouille », recommande, pour sa part, Roger Sohènou, technicien de laboratoire biochimique. A en croire ses propos, les promoteurs, tout comme les populations, encourent de hauts risques de contamination des maladies les unes aussi dangereuses que les autres. Mais, précise-t-il, ce sera essentiellement les maladies dont sont morts les patients.

En effet, il pourrait s’agir, a poursuivi l’inspecteur d’action sanitaire, de l’hépatite, des virus Lassa, VIH/Sida, de la fièvre jaune, du choléra et autres infections transmissibles. Face à cette menace touchant la santé publique, des démarches ont été menées par les responsables à divers niveaux.

La lutte contre le fléau

Dans le but d’éradiquer ce phénomène dans la région d’Abomey, des structures déconcentrées de l’Etat ont agi en synergie d’actions pour de meilleurs résultats. La Direction départementale de la santé (DDS) Zou-Collines avait, en son temps, initié une tournée de sensibilisation des élus locaux, sur les inconvénients de la conservation des corps dans les morgues traditionnelles dans cette région en octobre et novembre 2014. L’opération a consisté à inviter les élus locaux, notamment les chefs des 136 arrondissements des deux départements, à descendre en équipe sur les différents sites, et à mettre tout en œuvre pour atteindre les objectifs prévus.

Toujours au rang des actions menées par les autorités, une opération conjointe de fermeture des morgues traditionnelles a été diligentée par le préfet les 16 et 17 décembre 2013 et exécutée par une équipe pluridisciplinaire sous la conduite du Directeur départemental de la santé.

«Nous avions fait diffuser des communiqués sur les radios et chaines de télévisions invitant les promoteurs de morgues traditionnelles à procéder à leur fermeture dans un délai d’un mois », a expliqué l’autorité préfectorale. Le préfet Firmin Kouton a indiqué que ledit communiqué invitait également les familles qui ont déposé de corps dans ces structures irrégulières à procéder à leur retrait dans le même délai. Toutes ces actions étaient ficelées entre la préfecture, la direction départementale de la santé, la mairie, le tribunal d’Abomey, pour arriver à terme à l’éradication des morgues traditionnelles.

La persistance des promoteurs malgré les efforts

Nonobstant les assauts répétés des pouvoirs publics en 2013 contre le phénomène, la pratique a persisté et se retrouve verrouillée comme dans une alliance scellée entre morguiers traditionnels et usagers. Si des statistiques avaient pu être produites, et permettaient d’avoir une idée plus rationnelle sur les morgues traditionnelles en pratique, il est indéniable que leur contrôle échappe aujourd’hui aux autorités.

La totale méfiance des promoteurs de ces funérariums hors normes, à l’encontre de toute personne étrangère pose la problématique de l’éradication de cette gangrène. Le préfet Firmin Kouton a fait savoir qu’il y a possibilité de faire le traitement des corps à domicile et de faire suivre la procédure par les agents des morgues traditionnelles.

« Faute d’une loi qui réglemente le secteur, la lutte contre les morgues traditionnelles a échoué dans la région d’Abomey », a déploré le Chef Service Technique (CST) d’alors de la mairie d’Abomey, Bernardin Daga. Et le préfet dit avoir le dos au mur, en l’absence de ces textes qui devaient réglementer la filière et sanctionner tout contrevenant.

« Notre intention, c’était que la justice accompagne, dans le ramassage et l’inhumation des corps, si le phénomène persistait. Et depuis lors, plus rien de ce côté », a indiqué le préfet qui a appelé au vote d’une loi et à l’intervention du pouvoir central pour mettre fin au phénomène.

Une législation totalement absente

Dans un secteur aussi sensible où les populations sont extrêmement exposées à de graves risques sanitaires, le Bénin ne dispose que d’un seul et unique arrêté interministériel. Il s’agit de l’arrêté interministériel N°042/MISAT/MS/DC/CTS/DHAB du 23 février 1994 portant réglementation des activités de pompes funèbres et fixant les conditions à remplir pour l’implantation des funérariums.

Ces conditions, faut-il le rappeler, sont liées d’une part aux promoteurs et d’autre part aux infrastructures devant abriter une telle entreprise. Au regard du danger que représente cette pratique des morgues traditionnelles, les autorités d’Abomey ont relevé les insuffisances contenues dans le présent arrêté. Ceci les empêche, selon leurs dires, de mener une lutte efficace et répressive contre les promoteurs des morgues traditionnelles. D’où la nécessité d’initier une proposition de loi à l’Assemblée nationale pour réglementer le secteur selon le Chef service technique (CST) de la mairie d’Abomey.

Il est avéré qu’il existe, dans cette région du pays, des morgues dites traditionnelles qui opèrent en toute quiétude dans la clandestinité totale et qi exposent des milliers de vies humaines à de graves dangers de santé. La lutte menée par les autorités à divers niveau a buté contre l’inexistence d’une loi en la matière. Tous s’accordent à appeler le pouvoir central à prendre ses responsabilités face à une telle situation. Mais jusqu’à présent, tout semble se noyer dans une grande vague d’inaction du pouvoir central.

Enquête réalisée par :
Josaphat DAH-BOLINON (Bénin web TV)
Isidore ATINDEYETIN (ABP Abomey)
Romain COKOU (Quotidien le Matin)
Anafi Soulé BIO NIKKI (ABP Kandi)

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