Niger – Affaire Samira Sabou: Et si Mahamadou Issoufou sifflait la fin de la récréation?

L’arrestation de la journaliste Samira Sabou relance le débat sur le scandale de surfacturation d’équipements militaires au ministère nigérien de la Défense. Accusée de propos diffamatoires, la journaliste et blogueuse nigérienne est arrêtée, suite à une plainte de M. Sani Mahamadou Issoufou, fils du président Mahamadou Issoufou, en même  temps directeur de cabinet adjoint du chef de l’Etat.

La tension monte d’un cran au Niger, après la mise aux arrêts, mercredi dernier, de Samira Sabou, journaliste et blogueuse, suite à une plainte, pour diffamation, du fils du président Issoufou. En effet, l’audit diligenté par l’Inspection générale des Armées sur les marchés publics du ministère de la Défense et publié le mois dernier, a révélé de nombreuses irrégularités dans la passation desdits marchés. Dans son rôle d’informer le public, la femme de média a relayé des portions dudit rapport sur sa page Facebook, accompagnées de commentaires, qui, de surcroît, ne peuvent être considérés comme attentatoires ou diffamatoires, sauf en cas de mauvaise foi manifeste.

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Alors que la publication de Samira Sabou date du 26 mai à 20H35 minutes (encore visible sur son mur), il aurait fallu attendre le mercredi 10 juin, soit deux semaines après, pour procéder à son interpellation Alors qu’en vertu de la loi portant régime de la liberté de la presse au Niger, l’arrestation d’un journaliste pour diffamation est strictement proscrite.  Plusieurs observateurs se questionnent donc sur les motifs de l’arrestation d’une journaliste, alors que le dossier est pendant devant la justice.

« Je l’ai fait arrêté… et puis quoi? »

Dans une posture d’« enfant gâté »,  M. Sani Mahamadou Issoufou,  fils du président nigérien et Directeur-adjoint du Cabinet du président de la République, par la voix de son avocat, Me Yacouba Boulama a voulu témoigner sa toute puissance dans cette affaire qui désormais a pris une dimension internationale.

Dans un communiqué publié le 12 juin 2020, Me Yacouba Boulama rappelle que les propos de la journaliste constituent une accusation formulée de manière péremptoire sur les réseaux sociaux et révèle une intention de nuire en portant gravement atteinte à l’honneur et à la considération de son client, qui n’entretient de relation d’aucune nature avec la personne à laquelle fait allusion Samira SABOU. Mon client,  Sani Mahamadou Issoufou « n’a jamais été mêlé au processus d’attribution de ces marchés », insiste l’Avocat, Me Yacouba Boulama.

Ainsi, continue l’avocat, « mon client m’a chargé d’engager une procédure judiciaire contre toute personne qui franchirait à son détriment, la liberté d’expression en portant atteinte à son honneur et à son intégrité ».

Seule contre tous…

Connue pour sa témérité, son professionnalisme et sa quête de vérité, Samira Sabou est devenue depuis cette affaire, le visage d’une presse nigérienne fragilisée et souvent au solde des politiques. Autrefois journaliste du service public nigérien, elle est depuis quelques mois journaliste indépendante et officie sur le journal en ligne mides-niger.com. Selon plusieurs journalistes nigériens contactés par BENIN WEB TV, elle est désormais combattue par ses propres confrères journalistes pour la plupart proches du pouvoir. « Ici à Niamey, il y a des journalistes opposants et des journalistes de la mouvance présidentielle… Donc vous comprenez que la corporation soit divisée sur le cas de notre consœur », explique un journaliste de la télévision nationale nigérienne contacté par BWT.

Intervenant samedi sur VOA, Ibrahim Harouna, le patron de la Maison de la Presse à Niamey a fait écho de la timide mobilisation engagée sous son égide pour réclamer la libération de la journaliste. « Dans un premier temps, il y a eu un avocat en charge de son dossier mais aussi au niveau de notre organisation, la maison de la presse, on a pris contact avec les deux acteurs, la partie plaignante mais aussi, la partie accusée pour savoir le fonds du dossier. Finalement, on a compris que c’est une question de diffamation et on a essayé de régler le dossier à l’amiable. »,  précise Ibrahim Harouna. Lequel règlement à l’amiable a conduit la journaliste en prison.

Sani sur les traces de Mahamadou ?

Le 15 mars, de violents heurts avaient opposé les forces de l’ordre et des manifestants, demandant des sanctions contre les coupables. Au moins, trois figures de la société civile sont encore incarcérées.  Dans un pays qui se réclame de droit et que son président, au terme de son second mandat, ne rate aucune occasion pour s’ériger en donneur de leçons en matière de démocratie, une telle arrestation est avant tout, un attentat contre la liberté de presse et d’expression, contre le droit des Nigériens à l’accès libre à l’information et au-delà, une violation flagrante des principes fondamentaux contenus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, le 10 décembre 1948.

« Cette arrestation constitue un recul très dangereux et vide de sa substance la loi sur la presse de 2010 dont l’interdiction des détentions préventives pour les journalistes avait constitué une avancée majeure. Nous demandons instamment aux autorités nigériennes de ne pas saper les efforts engagés ces dernières années en matière de liberté de presse. Cette journaliste doit être libérée », dénonce le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger.

Par ailleurs, les autorités nigériennes auraient gagné en favorisant la tenue d’un procès équitable pour les différentes personnalités ou cadres proches du pouvoir, soient-ils, afin que lumière soit faite sur ce dossier qui n’a que le mérite de dévoiler le détournement d’environ 76 milliards de francs CFA (111 millions d’euros), entre 2014 et 2018, des poches des contribuables nigériens. Tout autre action judiciaire, outre que la condamnation des pilleurs de l’économie nationale, demeure contraire à la bonne gestion et à l’équité toujours réclamées par Niamey comme mode de gouvernance.

Une sale affaire autour des Mahamadou

L’affaire des surfacturations fait grand bruit au Niger après la diffusion sur les réseaux sociaux d’extraits d’un rapport d’audit sur ces irrégularités. D’après ces extraits, ces malversations ont causé « un manque à gagner » de plus de 76 milliards FCFA (plus de 115 millions d’euros) pour l’Etat du Niger entre 2017 et 2019.  Les surfacturations représentent 48,3 milliards FCFA (66 millions d’euros) et les montants pour le matériel non livré s’élèvent à 27,8 milliards FCFA (42 millions d’euros), selon ces extraits d’un rapport provisoire.

La justice avait annoncé le 8 avril ouvrir une enquête sur l’affaire qui a éclaté en février. Fin février, le gouvernement avait annoncé qu’un audit demandé par le président Issoufou avait révélé des surfacturations ainsi que des livraisons non effectuées à l’armée, qui combat depuis 2015 les jihadistes dans le sud-est et l’ouest du pays.

Le scandale a d’autant plus choqué l’opinion qu’entre décembre 2019 et janvier 2020, près de 200 soldats nigériens ont été tués dans des attaques jihadistes. Le 15 mars, de violents heurts avaient opposé les forces de l’ordre et des manifestants demandant des sanctions dans ce scandale. Au moins trois figures de la société civile sont encore incarcérées.

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