[Tribune] « Juristes de mon pays, indignons-nous ! », par Landry Angelo Adélakoun

Comment ne pas s’indigner lorsque le droit, dans un Etat supposé de droit, semble se vider de son sens et essence ?

Comment ne pas s’indigner lorsque l’activité législative perd de saveur et sacralité pour se muer en un banal exercice quasi-quotidien de construction et de déconstruction orientées ? Comment ne pas s’indigner lorsque le travail du législateur peut quasi-quotidiennement se révéler peu excellent dans un pays qui compte un réservoir intarissable de bibliothèques du droit ?

Comment ne pas s’indigner lorsque le droit semble être mis au service de l’arriération de notre pays ? Comment ne pas s’indigner lorsque la qualité du contrôle de la constitutionnalité des lois par le juge constitutionnel devient de plus en plus problématique ? Comment ne pas s’indigner lorsque l’autorité et l’indépendance du juge constitutionnel, essentielles dans les périodes où le Législatif et l’Exécutif sont contrôlés par la même majorité, semblent disparaître ?

Y a-t-il une fierté à être juriste dans un pays où le droit semble être un outil au service de l’arbitraire et de l’injustice ? Y a-t-il des motifs de fierté face à l’érosion continue des droits humains dans un pays qui a fait le choix de la démocratie et de l’Etat de droit ? Quelle fierté y a-t-il quand, au lieu de soigner l’Etat, le juriste se transforme en un virus pour l’Etat ?

Au regard des derniers développements de l’actualité nationale, il nous plait de revenir sur quelques faits qui, avaient été perçus, par certains juristes et non juristes, à la loupe de la subjectivité, du sentimentalisme et de la politisation. Juste quelques faits en attendant de revenir sur une liste complète dans les prochains mois.

Novembre 2017 : Nous saisissions la Cour constitutionnelle aux fins de constater que le mutisme de la Haute Autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication et du Gouvernement dans la situation de brouillage des fréquences des radios Soleil Fm et CAPP Fm est une violation des articles 24 et 142 de la Constitution. La Cour, dans sa DCC 18-147 du 17 juillet 2018, nous a débouté, rejetant ainsi une des obligations de l’Etat en matière des droits de l’Homme, l’obligation de protéger. Aujourd’hui, la radio Soleil Fm, pour une raison ou une autre, repose au cimetière des libertés, en attendant une hypothétique résurrection.

Juillet 2017 : Invité sur E-télé avec le Prof. Roger Gbègnonvi, ancien Ministre et Distel Amoussou, Journaliste et Consultant médias, pour échanger autour de la polémique des libertés publiques en référence aux articles 237, 238 et suivants du code pénal. Seul contre deux, nous dénoncions déjà ces dispositions liberticides. Aujourd’hui, chacun peut tirer sa conclusion, en son âme et conscience.

Mars 2018 : Dépassé par les élans liberticides du Préfet d’alors, nous saisissions le juge constitutionnel aux fins de constater l’inconstitutionnalité de l’arrêté préfectoral N°8/0023/DEP-LIT/SG/SP portant condition de recevabilité des déclarations de marche et autres manifestations publiques à caractère revendicatif dans le département du littoral. Le 22 mai 2018, la Cour constitutionnelle nous donnera raison en déclarant, dans sa décision DCC 18-117 du 22 mai 2018, ledit arrêté contraire à la Constitution. La Cour a cassé la ligne rouge.

Juin 2018 : Par un recours en inconstitutionnalité de l’exigence à tout candidat aux élections législatives, communales et locales d’être membre d’un parti politique (code électoral de 2013), nous invitions le juge constitutionnel béninois à suivre le juge de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples dans son interprétation de la charte africaine des droits de l’Homme. Résultat négatif ! La CADHP confirmera notre position en 2020 dans deux de ses ordonnances.

Juillet 2018 : Le 17 juillet 2018, nous sortions une réflexion « L’inopportunité d’aller au référendum » afin d’attirer l’attention de tous sur les risques possibles. Le 31 juillet de la même année, malgré la détermination de ses soutiens, le Président de la République rejette l’idée du référendum, avec exactement les mêmes arguments que nous ; lesquels arguments nous ont valu le magnifique titre d’opposant. Oui, quand ça n’arrange un camp, c’est que vous êtes de l’autre camp. Au Bénin, nous ne voyons, même dans nos rêves que mouvances et opposition. Pathétique !

2018 : Invité sur Eden TV avec Sero Soulémane Koto Yérima pour opiner sur les prérogatives de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET), nous dénoncions l’absence du double degré de juridiction qui, nous l’avions dit, est une flagrante violation de l’article 14.5 du Pacte International relatif aux Droits Civils et politiques. La CADHP confirmera cette position en 2019. Le Bénin s’exécutera début 2020.

2018 : Invité sur le plateau de James-William Gbaguidi à Eden TV, nous annoncions que le code électoral de 2018 pourra, peut-être, permettre d’aller aux législatives de 2019, mais jamais pour les élections suivantes. Novembre 2019, nous avons eu un autre code électoral.

2018 : Invité sur Plateau Fm en langue française et Soleil Fm en yoruba, nous relevions les points moins reluisants du code de 2018 et annoncions qu’il sera revu en raison des blocages qu’il contient. Chose devenue réalité moins d’un an après.

Février 2019 : Au micro de Bénin Web TV, nous condamnions la décision DCC 19-055 du 31 janvier que nous avions qualifiée de séisme constitutionnel. Quelques jours après, le bâtonnier Jacques MIGAN dans un entretien accordé à « Matin Libre » parlera de « Gaffe de la Cour constitutionnelle ». Séisme constitutionnel, gaffe de la Cour constitutionnelle en ce sens que la requête ayant conduit à cette décision devrait être déclarée irrecevable, mais la Cour semble avoir fait une évolution. Grave encore, au fond, le juge constitutionnel s’est autorisé une interprétation fortement contestable de l’article 14.5 du PIDCP.

Après la décision de la CADHP, la même Cour constitutionnelle, comme pour camoufler une bévue, essaiera un rattrapage sans importance. Nous avons pu lire dans le relevé du Conseil des Ministres que la Cour constitutionnelle et la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) ont fait la recommandation au Gouvernement de doter la CRIET d’un second degré de juridiction. Quel paradoxe quand on a reconnu que l’absence de double degré de juridiction est conforme à tous les instruments juridiques ! Répondant au micro d’une chaine de télévision sur l’hommage à rendre aux mandatures précédentes par la Cour installée en juin 2018, une collègue juriste disait, non sans raison : « La Cour se confond ».

17 Mai 2020 : Invité sur la matinale des communales de Eden TV, nous condamnions déjà cette manie qui consiste à adopter un code électoral pour chaque élection pour enfin le réviser. Nous annoncions également qu’au regard des incongruités du nouveau code électoral de novembre 2019, nous assisterons bientôt à sa relecture. Deux semaines après, on nous annonce une volonté de toucher à la loi électorale alors que nous sommes à la phase d’installation des conseillers communaux et d’élection des maires.

Ici, sans vouloir rentrer dans le fond, disons que nous sommes en présence d’une grave hérésie juridique. Nous nous amusons avec le droit. Nous torpillons le droit. Sinon, en quoi est-ce que les raisons agitées peuvent-elles conduire à une relecture ? Où se trouve le problème que posent les dispositions querellées ? Quel est alors la place du juge du contentieux des élections ? Pourquoi vouloir toujours créer du flou là où règne la lumière si ce n’est pour faire entrer un loup ? Depuis quand modifie-t-on une loi en plein processus ? Nous y reviendrons !

Les principes étant les principes, les événements ont fini par, avec la bénédiction du temps, donner raison à la science, au droit. Le droit finit toujours par avoir raison. Notre devoir envers notre Etat réside dans notre capacité à lui éviter la honte et la descente aux enfers. Mettons le droit au service du développement. Le juriste est un technicien du droit. Dans cette posture, il est au service du droit. Il ne doit tordre le cou au droit. Lorsque le juriste devient politique – c’est son droit -, il a l’obligation de toujours rappeler la casquette sous laquelle il opine, analyse ou conseille.

Osons dire la vérité !
Ayons l’audace de la vérité !
Notre Bénin mérite mieux !

Abomey-Calavi, le 02 juin 2020

LAA

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