Des coups d’État aux coups de trop

Un ami, Rock Agboli-Agbo avait soutenu, voici vingt-huit ans, à l’Université Nationale du Bénin, son mémoire de maîtrise sur les coups d’État en Afrique et les moyens de prévention qu’il faut, selon lui, mettre en place.

Véritables plaies des nations africaines écloses au vent de l’histoire, les coups de force étaient devenus récurrents, entraînant, en dehors de l’enthousiasme primaire qu’ils génèrent chez les populations, la fragilité des institutions, la rupture des processus politiques et surtout, les incertitudes qu’ils font planer sur les pays. Depuis 1992, cette réflexion n’a pas pris une ride et semble se prolonger, au-delà des cas d’école, au-delà des situations particulières liées à chaque pays, au-delà de la bonne volonté des hommes, surtout des militaires qui font irruption sur les scènes politiques.

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Le Mali, l’exemple qui nous concerne, est intéressant à plus d’un titre. En 1990, Moussa Traoré, lui aussi venu par un coup d’État est débarqué par Amadou Toumani Touré à la suite d’une révolte populaire. Au bout de deux mandats consécutifs accordés à son successeur démocratiquement élu, Alpha Konaré, le même ATT devient le deuxième président de l’ère démocratique.

Mais à un an de la fin de ses deux mandats, l’armée lui arrache le pouvoir. Un certain Capitaine Sanogo, clone malien de Dadis Camara, le putschiste guinéen en petit caleçon, devient maître alors du pays. Ses pitreries et ses dérives sanguinaires lui valent d’être évincé à son tour par la pression conjuguée des organisations sous-régionales et de la communauté internationale.

Le nouvel élu, IBK, ancien premier ministre d’ATT tombé entretemps en disgrâce, promet la main sur son boubou, de remettre le pays sur les rails. Il est reconduit pour une deuxième fois à l’issue d’élections contestées. Le voilà, à deux ans de la fin de son contrat, obligé d’aller soigner plus tôt que prévu, ses rhumatismes de président retraité. Les militaires ont investi de nouveau l’arène, relayant par les armes, les exigences d’une société civile qui réclamait, depuis des mois, sa démission.

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On peut comprendre la ferveur de la foule, manifestement dégoûtée de la gouvernance calamiteuse d’IBK. Et pour cause: les Djihadistes continuent, dans plus de la moitié du Mali, d’endeuiller les innocents par des actes terroristes; la misère, déjà endémique, s’est aggravée avec le corona Virus qui a privé les trois quarts de la population des revenus issus de leurs activités informelles.

Les tripatouillages, les trucages et autres délinquances opérés sur les votes lors des élections législatives, ont fini par instruire le peuple de la nécessité, pour IBK, de débarrasser les lieux. Mais ce qu’on ne dit pas, c’est l’indignation suscitée par la corruption des proches du pouvoir, le gaspillage des ressources publiques orchestré par une minorité de parasites et de jouisseurs en décalage total avec la misère ambiante.

C’est ainsi qu’on a vu circuler sur les réseaux sociaux des vidéos attribuées à Keita junior, le golden boy de la famille menant grand train sur des yatchs de plaisance ; d’autres le montrent dans une cérémonie faisant tapisser son parcours de billets de banque. Ce n’est pas étonnant qu’à la chute du père, des groupes de jeunes se soient rués sur son domicile pour piller jusqu’au dernier centimètre carré tout ce qui leur paraît digne d’intérêt.

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À la vérité, nos élites politiques ont du mal avec le pouvoir. De l’exercice de l’autorité suprême, elles n’en retirent qu’avantages et lucre, tout ce que leurs parcours ou leurs postes successifs ne leur ont pas permis d’obtenir. Pour certains, l’accumulation des biens devient boulimique, pour d’autres, c’est à des proches paresseux et prédateurs qu’ils concèdent les prébendes.

C’est d’ailleurs normal qu’ils ne puissent pas répondre aux aspirations de leurs concitoyens ayant englouti tout l’argent du pays dans leurs bedaines, ne laissant à leurs peuples, dans leurs rares éclairs de lucidité, que la portion congrue. Dans ce cas, le recours par les civiles de l’intervention des militaires devient une solution, du moins, l’alternative.

Or, les « treillis », partout où ils ont interrompu les processus politiques, n’ont jamais été exemplaires. Soit, ils reprennent, en les aggravant, les habitudes qu’ils ont décriées chez les civiles, soit ils suspendent les libertés démocratiques, les estimant incompatibles avec le développement. « C’est le bordel civile » opinent d’ailleurs, certains, sans rire. On a vu, comment, en Côte d’Ivoire, le Général Guéï a été acclamé quand il a chassé Bédié du pouvoir. On a vu comment, à l’issue des élections qui lui ont été défavorables, il a voulu s’accrocher au trône.

On a suivi, en Guinée, les faits d’arme de Dadis Camara interrompant la succession d’un autre inénarrable militaire Lansana Conté. On a suivi l’hystérie pathologique dans laquelle il s’est installée pour rester au pouvoir. N’eut été la maladresse du tireur qui avait visé son crâne, il aurait poussé son dernier hoquet et enfoui six pieds sous terre. Bref, il y a tant d’exemples dont fourmillent l’actualité et l’histoire récente de l’Afrique que j’ai peur et vraiment peur pour le peuple ami malien.

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Depuis le 14 août, la foule exulte, chante, exprime ses ressentis après le départ du président honni. C’est bien. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant. Mais il faut, à leur attention, rappeler que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, qu’ils ne sont pas à l’abri des déceptions, les mêmes qui avaient conduit Sanogo à perpétrer le énième pronociamento, les mêmes qui ont conduit la junte au pouvoir à balayer IBK.

L’histoire a la fâcheuse tendance de se répéter parce que les hommes ont la fâcheuse habitude de ne tirer aucune leçon du passé. Estimant qu’ils sont uniques et qu’ils sortis de la cuisse de Soundiata Keita, ils pensent que leurs destins sont hors du commun et que leurs dieux les préserveront de tout. Malheureusement, c’est à leur chute qu’ils se rendent compte, mais bien trop tard, qu’ils ne sont que de simples mortels. Exactement comme les autres, avant eux.

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