Bénin : un expert en gouvernance constitutionnelle appelle à une nouvelle conférence nationale
La constitution du 11 Décembre 1990 adoptée suite à la conférence des forces vives de la nation ne reflète plus les exigences du Bénin après 27 ans de mise en œuvre.
Si de façon unanime les acteurs publics conviennent à la nécessité de la réviser, d’autres compatriotes regroupés dans des forces organisées comme le congrès des forces de gauche ou le front pour un sursaut patriotique militent plutôt pour l’organisation d’une conférence nationale bis pour convenir de la nouvelle orientation politique et économique à donner à notre pays.
Une position que partage Dr Horace Adjolohoun, Expert en gouvernance constitutionnelle, droits de l’homme et démocratie. Après un diagnostic approfondi réalisé sur le fonctionnement de la démocratie dans le pays, il propose comme voie de sortie l’organisation d’une conférence bis . Lire ci dessous le fruit de sa réflexion.
Proposition du Dr Horace Adjolohoun:
Le courage de dénoncer une république périmée. S’il y a une chose sur laquelle les leaders d’opinion Béninois les plus sérieux s’accordent au moment où cette opinion est écrite, c’est que la république emmenée par la conférence nationale et la Constitution de 1990 à été le mirage politique le plus éblouissant depuis l’indépendance. Ce qui ne fait pas large consensus en revanche, c’est l’impérieuse nécessité de prononcer courageusement la banqueroute de la république de 1990 pour enfin en chanter le requiem andante. Oui, la république qu’à Alédjo, les élites ont proposée au vaillant peuple du Bénin est périmée. A la réalité, cette opinion aurait pu être titrée « Bénin : peut-on faire une nation nouvelle dans une république ancienne ? », tant l’ampleur de la dégénérescence requiert la gravité du verdict : le Bénin de 2016 est un voile déchiré, socialement, politiquement et, par dessus tout, spirituellement. J’ai dit spirituel, pas religieux ; le spirituel s’entendant nécessairement éthique.
Les tares congénitales d’une république élitiste. De même que sont têtues les vérités, les déclarations historiques agacent. Sans avoir besoin de forcer l’adhésion publique, on peut ranger dans cette catégorie le fait que les délibérations sorties d’Alédjo, donc de la Conférence nationale dite des forces vives de février 1990 au Bénin, n’ont rien été de plus qu’un deal politique conclus par des élites orientées vers l’intérêt personnel. On peut respecter l’opinion selon laquelle toute réunion de cette nature est politique derechef et que la Constitution est nécessairement un deal politique. La limite d’une telle proposition est que tout citoyen destinataire d’une promesse aussi ferme qu’Alédjo comprend plutôt qu’est dénuée de toute logique la démocratie constitutionnelle qui ne nourrit pas le peuple. Le peuple du Bénin lui-même en convient de manière si unanime qu’elle décide d’inscrire dès le préambule, sa détermination à créer, par la Constitution de 1990, une république qui sera non point le veau d’or d’élites guidées par le vain dessein de gains politiques personnels mais l’instrument de concrétisation d’une nation où chaque béninoise et béninois jouit d’un « développement harmonieux tant dans sa dimension temporelle, culturelle que spirituelle ».
Une stabilité politique stérile. Si lors de la révolution de 1989, tout un peuple s’est résigné à accepter l’ultime sacrifice du sang versé, ce n’est point pour qu’en 25 ans de démocratie pluraliste, le nombre de prétendants aux fonctions politiques triple, mais plutôt que germent les premières fleurs d’une république futuriste portée vers la réalisation du bien être socio-économique des générations successives post Alédjo. A quoi nous ont servi presque trois décennies de stabilité politique ? La réponse est tout aussi triste qu’elle est sans ambages. Si le Bénin a pu s’enorgueillir d’être le pionnier d’une démocratie politique qui, du reste, cherche toujours ses marques, l’ancien quartier latin d’Afrique n’est certainement pas devenue une démocratie économique. En effet, même s’ils peuvent considérer avoir joui de la liberté de manifester, du moins sous une tutelle exécutive dissuasive, la démocratie constitutionnelle inaugurée en 1990 a-t-elle offert aux béninois la liberté de se soigner sans s’endetter, manger à leur faim, étancher leur soif ou encore se doter de qualifications qui les rendent compétitifs aux plans africain et international ? J’en laisse la réponse aux techniciens, avec cependant la recommandation, non point de consulter les agrégats macro-économiques, promues par des institutions de périphérie mais les vendeuses à la sauvette du Littoral et du Zou, les enfants concasseurs de granite des Collines, les jeunes coupeurs de route de l’Atlantique et de l’Ouémé, les jeunes femmes des nouvelles banlieues et les jeunes diplômés qui, par dizaines de milliers, surgissent chaque année de centres universitaires de nos villes dites à statut particulier, universités où l’on ne leur enseigne que l’art de susciter des candidatures ou marcher à la gloire de l’une ou l’autre des élites auxquelles ont profité le pacte d’Alédjo. Comme les martyrs des printemps arabes et de l’automne Burkinabè, ces Bouazizis béninois vous diront certainement que la révolution d’Alédjo a été prise en otage, volée les élites pour leur compte et celui de leurs ordonnateurs.
Avec une lucidité cependant teintée de déception, il faut avoir le courage de dire qu’au lieu de nourrir les béninois, de leur « redonner leur dignité aux yeux du monde et de leur faire retrouver leur rôle de pionnier qui furent naguère les leurs », les vingt-six ans de stabilité politique depuis la conférence nationale n’ont pas fait une grande différence. En Afrique de l’ouest et en Afrique francophone en générale, seuls deux pays n’ont connu aucune crise politique majeure ni un changement anti-constitutionnel de gouvernement depuis 1990. Il s’agit du Bénin et du Sénégal. Avec l’avantage différentiel traditionnel du génie imputé aux béninois, comparaison avec leurs voisins peut être raison. Suite à presque dix années d’une crise socio-politique grave, la Côte d’Ivoire a redonné à ses citoyens leur fierté d’être citoyen du monde en seulement quatre années d’un premier mandat présidentiel. En à peine une année de transition consécutive à trois décennies d’un régime politique personnalisé, le Burkina Faso a réussi des réformes politiques que les latins d’Afrique ont échoué à conclure en vingt sept ans de stabilité. Le moins qu’on puisse conclure, c’est que la république du Bénin de 1990 a fait mentir le postulat selon lequel la démocratie politique est le levain de la félicité socio-économique.
On peut arguer que vingt-six années sont trop courtes pour espérer d’une démocratie politique qu’elle laisse poindre les premiers signes d’une démocratie socio-économique. La réponse n’est pas loin et les illustrations foisonnent tant ailleurs qu’en Afrique. Dans les années 1970, le Bénin, au même titre que de nombreux pays africains, exhibait des pointeurs socio-économiques similaires à ceux des pays d’Asie du sud Est. Ces derniers n’ont pas eu besoin de plus de trois décennies pour se mesurer aux économies les plus dynamiques de la planète et s’imposer dans le commerce international. Plus près du Bénin, l’exemple ivoirien cité plus haut s’offre à ceux qui ont pu visiter la Côte d’Ivoire dans le courant de l’année 2015. Il ne s’agit pas d’une question de temps mais de système, de structure, de volonté, d’intégrité et de vision sincère et dépersonnalisée. Le bilan est sans équivoque : le système de justice sociale proposé par la république d’Alédjo n’a pas fonctionné.
Un pouvoir judiciaire envahi par l’exécutif. Pour ceux qui pensent que la démocratie béninoise n’a pas été stérile, commençons par la justice sociale promise par la Constitution de 1990. Le constat est flagrant de ce que les fondamentaux d’une telle justice sociale ont été faussés dès Alédjo ou tout au moins bien peu après. En 1990, les élites ont, au nom du peuple, fait semblant d’adopter une démocratie constitutionnelle qui, dans tout autre système similaire, est fondée sur des principes clés tels que l’Etat de droit, un système judiciaire juste et indépendant, une distribution intelligente des pouvoirs et une séparation des mêmes pouvoirs visant la limitation du pouvoir excessif, arbitraire, personnel et exclusif. Il n’en n’a rien été ni dans la lettre de la Constitution ni dans l’esprit que lui ont imprimé les élites qui se sont succédées à la tête de l’Etat. Ainsi, alors qu’Alédjo proclame ardemment un pouvoir judiciaire indépendant des pouvoirs exécutif et législatif, le Conseil supérieur de la magistrature, organe qui gère le fonctionnement même du pouvoir judiciaire, est présidé par le chef du pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif recrute alors ses propres juges, les nomme, les démet, les radie, les promeut, les paye, les nourrit et les loge. Quant aux magistrats du ministère public qui, dans les grandes démocraties, sont les avocats du peuple, des faibles, de la veuve et de l’orphelin, de la société et de la communauté, leur pouvoir de poursuivre, de déposer, de faire juger ou libérer le justiciable est exercé sous le contrôle hiérarchique de l’exécutif contre lequel ils sont susceptibles de requérir puisqu’ils poursuivent à charge et à décharge. Dans un tel état de choses, la perception du pouvoir judiciaire comme protecteur des atteintes de l’exécutif à l’Etat de droit et la limitation de l’arbitraire n’est demeuré qu’un mirage. La réalisation de la justice, mieux de la justice sociale, est devenue un leurre.
Le sort que fait la Constitution d’Alédjo au pouvoir judiciaire est unique en Afrique et dans le concert des démocraties dites établies. En Afrique, le modèle d’organisation du système judiciaire adopté par le Bénin est au pire un scandale à l’Etat de droit, au meilleur, une curiosité du nouveau constitutionnalisme. Pour les béninois qui fréquent les foras internationaux sur la démocratie constitutionnelle et l’Etat de droit, les acteurs des systèmes judiciaires des Etats africains anglophones sont tout simplement choqués par l’expérience du Bénin et de ses pairs du système francophone. Même le siège de la tradition judiciaire dont le Bénin a hérité à l’indépendance s’est départi d’une robe pourtant jugée si moulante que le berceau africain de la démocratie constitutionnelle a cru devoir continuer à l’arborer. Pour mémoire, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré le centre névralgique du système français de poursuite inapte à exercer les fonctions d’un mécanisme judiciaire indépendant du pouvoir exécutif. En obéissance à sa Constitution et aux décisions judiciaires européennes et françaises, la France a expulsé l’exécutif du contrôle du Conseil supérieur de la magistrature et du Parquet depuis 2008 et 2010 respectivement.
Une justice politique qui viole la justice sociale. Le mensonge d’un pouvoir judiciaire protecteur des faibles contre la tyrannie du Prince n’est pas la seule illusion inhérente à Alédjo. Alors que sur le pallier de la justiciabilité des petits crimes le système judicaire ordinaire est placé sous la ferme emprise de l’exécutif, la Constitution béninoise de 1990 a créé pour les élites princières un mécanisme de réédition des comptes qui viole la justice sociale. En effet, bien qu’il soit largement admis que la grande corruption constitue une violation des droits économiques et sociaux, sa répression au Bénin a été confiée à un tribunal politique : la Haute cour de justice. Par l’expérience qu’en a fait le Bénin deux décennies durant, la Haute cour de justice est l’exemple du modèle de copier-coller le plus mal domestiqué adopté par des africains longtemps affublés du ronflant épithète de latins de l’Afrique. Pendant que les latins d’Afrique s’accrochent obstinément à ce mécanisme scandaleusement inefficace, ses géniteurs Français l’ont jugé si peu civilisé, qu’ils ont décidé depuis 2007 de n’en faire plus qu’une machine de justice morale à destituer un président de la république judiciairement irresponsable et auréolé d’une immunité d’exercice. Au moins eux sont conséquents. Les élites d’Alédjo ont, elles, décidé d’ériger un tribunal censé, selon la Constitution, lutter contre l’impunité des membres du gouvernement auteurs ou co-auteurs, entre autres, de violations graves des droits de l’homme, détournements de deniers publics, corruption et enrichissement illicite. En somme, pour lutter contre la corruption au sommet de l’Etat afin de réaliser une justice sociale par un investissement efficace des ressources publiques qui garantisse le développement socio-économique promis à Alédjo, les élites d’alors ont choisi un système par lequel ils peuvent désigner leurs propres juges. Et pour ajouter à l’arrogance de cette oligarchie constitutionnalisée qui nargue le peuple affamé, le tribunal des gouvernants est composé de leurs anciens complices souvent passés sous la tente immunisé d’un Parlement dont je reviendrai plus loin à la gangrène du fait majoritaire. C’est vrai que dans une sociologie politique où la médiocrité est promue et l’excellence étouffée, l’impunité est confortée par le culte de la sanction promotion ou de l’absence totale de sanction. Le terrain social est alors rendu fertile pour la culture de céréales déstabilisatrices telles que la frustration, la division, la résignation et l’implosion. L’impunité est la règle et la sanction sélective et marginale est l’exception. Rassurez-vous, tout va très bien dans la république d’Alédjo. La preuve en est que cette république nous a aussi été offerte avec, au contraire du régime dit présidentiel inscrit en noir et blanc, un présidentialisme impérial. Les lecteurs excuseront du peu la tautologie. Nous sommes au quartier latin.
Une juristocratie en lieu d’une démocratie. Dans l’hyper présidentialisme que nous a donné Alédjo, le Prince peut tout. En sus de s’offrir le luxe constitutionnel d’un contrôle réel du pouvoir judiciaire, le Prince surfe bien sur la vague de l’inutilité flagrante du juge des crimes politico-économiques. Mais le plus outrageant pour le constitutionnalisme inauguré à Alédjo, c’est que même les gardiens de l’édifice constitutionnel sont eux aussi nommés par le Prince. Me posant en permanence comme un fervent dévot de l’illustre et honorable juge constitutionnel béninois, je romprais avec ma logique de légaliste et d’intellectuel honnête si je ne rendais hommage aux prouesses de l’une des cours constitutionnelles les plus adulées en Afrique et dans le monde tant pour la notoriété des sages qui y ont jusque là siégé que pour la qualité de la justice qu’elle rend. Mais la douceur d’une mère ne peut faire oublier au plus reconnaissant des enfants les fessées indues auxquelles l’ont résigné les décisions maternelles insusceptibles de recours. Je commence par postuler que ce n’est pas la faute de ces personnalités les plus respectées du consortium intellectuel béninois. Supposons qu’il s’agit d’une juristocratie autorisée par la Constitution. Le moins qu’on puisse dire après vingt-six ans de pratique, c’est qu’en s’adossant au fait majoritaire monté en puissance dans les démocraties africaines, le président de la République au Bénin finit par désigner tous les membres de la Cour constitutionnelle. Sur le fondement de la théorie de l’apparence passée en autorité dans le contentieux de l’impartialité de la justice, les enjeux de la justice constitutionnelle sont bien trop importants pour que le citoyen lambda consolide sa foi en l’indépendance de la justice. La raison en est que dans la justice constitutionnelle kelsénienne adoptée par le Bénin, le juge constitutionnel est l’alpha et l’oméga de la justice sociale s’il n’est le principe actif de la réalisation du constitutionnalisme. De manière déterminante, c’est bien le juge constitutionnel qui détermine la direction du pouvoir d’Etat, qui dit si la révision est autorisée, constitutionnelle ou inconstitutionnelle ; si un tel candidat a remporté l’élection présidentielle plutôt qu’un tel autre; si la coalition au pouvoir a remporté la majorité des sièges au Parlement ; si la loi adoptée par le Parlement est conforme à la Constitution, si le juge judiciaire a rendu la justice de manière équitable et, même, si le peuple peut, par référendum, réviser la Constitution qu’il s’est lui même donnée.
Dans un système où le juge constitutionnel concentre autant de pouvoirs, le constitutionnalisme se résout en une incantation chimérique lorsqu’un tel juge est nommé par les élites dont il est censé limiter l’action, le pouvoir et l’arbitraire. Et pourtant, les latins d’Afrique s’en accommodent sans sourciller. Par la juristocratie ainsi constitutionnalisée, les gouvernants réinvente une démocratie tropicalisée dans laquelle ils jettent à la Cour constitutionnelle les patates chaudes susceptibles de leur coûter le désaveu des électeurs. C’est la Cour qui proclame une victoire au premier tour et l’inconstitutionnalité des lois adoptées par l’opposition politique dès lors qu’elle est en majorité au Parlement ; toutes les fois que la coalition présidentielle perd la majorité au Parlement, les élites au pouvoir peuvent instrumentaliser la Cour constitutionnelle qui, telle une seconde chambre du Parlement, brise le législateur impétueux ; et, tenez-vous bien, les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Je finis par postuler que la position du juge constitutionnel béninois comporte aussi le potentiel d’une judiciarisation volontaire des questions politiques. La vérité, c’est que les juges sont aussi de l’élite et ont par conséquent des intérêts élitistes, nécessairement personnels. Ceci n’est pas propre au juge constitutionnel béninois qui comme la plupart de ses pairs de systèmes similaires est avant tout un juge malheureusement plus politique que juridique. Enfin, le système constitutionnel l’y prédispose et il choisit bien rarement de s’en offusquer outre mesure pour des raisons que trahissent souvent les circonstances politiques du moment de ses décisions. En toute honnêteté, le juge aurait également bien pu s’élever en protecteur de la démocratie. La décision de la Cour constitutionnelle du Bénin sur les options fondamentales en est un exemple controversé.
Une présidence impériale confortée par le fait majoritaire. Le présidentialisme impérial d’Alédjo qui enfonce solidement ses tentacules dans les pouvoirs législatifs et judicaires est amplifié par le fait majoritaire. On peut se consoler de ce que ceci est commun dans le nouveau constitutionnalisme africain. Au Bénin, le système politique créé par l’ordre constitutionnel de 1990 vit au rythme d’une obsession de l’exécutif à détenir une majorité permanente et docile à l’Assemblée nationale. Alors que dans les grandes démocraties, le législatif est censé s’imposer comme une institution de contre pouvoir à travers un contrôle efficace de l’exécutif au nom du peuple souverain, le multipartisme intégral introduit au Bénin a dénué la démocratie représentative et la séparation des pouvoirs de tout fondement. C’est au point où les démocrates béninois en sont parvenus à imprimer dans l’inconscient politique national que le succès du mandat présidentiel rime impérativement avec un contrôle absolu de l’Assemblée nationale et que la vitalité de la démocratie représentative doit se matérialiser par la création d’un parti politique par village. En seulement un quart de siècle de démocratie, le Bénin est ainsi devenu le pays au mille partis politiques. On ne peut occulter en passant que la tendance générale de l’Assemblée nationale du Bénin prise en otage par les partis politiques semble être celle d’un Parlement de fonctionnement plutôt qu’un Parlement de développement. L’observateur conséquent ne saurait être surpris qu’en conséquence, au lieu de se consacrer à honorer les requêtes sociales pour lesquelles l’ont investi les électeurs, le président de la république emploie le clair de son mandat et les ressources de l’Etat à satisfaire les intérêts de chefs de partis qui le tiennent en kidnapping politique. Bienvenue dans la république d’Alédjo, le lieu où l’argent règne en maître incontesté du jeu démocratique. Parlant de jeu démocratique, le comble de la comédie politique proposée par l’ordre constitutionnel de 1990 est l’introduction et le maintien d’un système électoral qui viole la démocratie représentative.
Les mensonges électoraux de la démocratie représentative. Je ne suis pas sûr de savoir quel degré d’outrage pourrait susciter la déclaration selon laquelle il n’y a jamais eu d’élection présidentielle au Bénin depuis 1991, enfin peut-être une et demie. Les élites d’Alédjo étaient si futuristes qu’elles ont instauré un régime dans lequel la démocratie représentative reçoit une attention minimaliste aux sorties d’un régime de parti unique pourtant marqué par la violation constante du droit des peuples à choisir leurs dirigeants. Ainsi, on ne s’est pas rendu compte de l’importance d’une institution aussi critique que la Commission électorale nationale qui, deux décennies durant, est passée successivement du giron des tous puissants ministères de l’intérieur à celui de politiciens organisateurs d’élections tellement libres et transparentes qu’elles ont pu se tenir sans liste électorale. De laboratoire de la démocratie, les latins d’Afrique sont vite devenus les précurseurs d’élections à un tour. Conjoncture oblige, il faut faire des économies pour le contribuable. Dans des circonstances où les politiciens échouent à se faire élire puis réélire par des processus électoraux limpides et sur la base de résultats socio-économiques francs et vierges de tous crimes économiques, la limitation des mandats présidentiels trouve une légitimité incontestable. La démocratie constitutionnelle ayant valeur universelle, un peu de comparaison ne peut qu’être raison. Quoiqu’ils se situent à de telles antipodes continentales, Lula et Merkel évoquent dans l’opinion publique mondiale des valeurs de gouvernance communes. En ce qui concerne l’Afrique, on peut oser affirmer que ce qui rapproche le système Kagamé du modèle Merkel c’est moins le nombre de mandats présidentiels que la clarté du système électoral et la franchise des prouesses économiques validées par des institutions internationales indépendantes. Il faut s’empresser de dire que ce sont les mêmes standards qui font hésiter à comparer la tentative de prolongation rwandaise à la prolongation juristocratique burundaise. Pour revenir au bercail, il est plutôt difficile de conclure que le modèle choisi à Alédjo a doté le Bénin des moyens nécessaires à la réalisation de la démocratie représentative pourtant savamment prônée par la Constitution. En lieu et place, les failles de la Constitution ont permis l’instauration d’un système électoral où la fraude et le vol ont remplacé la liberté et la transparence ; où l’argent a pris le pas sur les projets de société. Dans une démocratie où la fortune personnelle des candidats passe en premier sur la liste des conditions de succès, même les latins peuvent souffrir de ne pas avoir organisé le moindre face-à-face d’idées entre deux candidats en cinq élections présidentielles.
Et parlant de candidats, l’incapacité perpétuelle permanente d’un système électoral né handicapé et le dévoiement de la démocratie représentative par le cancer des partis politiques a engendré un enfant prénommé « Oiseau Rare » par prémonition. Entendu que ce sont les oiseaux qui manquent le moins dans les cieux radieux du Bénin, il faut croire que « Rare » tient lieu de patronyme. Aux Etats-Unis, en Australie, en Grande Bretagne, en Chine, en Afrique du Sud ou même en Tanzanie, on peut toujours sans risque de se tromper, indiquer l’homme du sérail politique qui va succéder au Chef de l’exécutif en fonction. Là-bas, les partis politiques appartiennent aux électeurs qui y dictent leur loi : le droit de vote. Les fonds de campagne sont levés de la poche de ceux-là même qui vont désigner puis élire le prochain président qui s’est élevé des entrailles du parti au gré d’une maîtrise éprouvée des questions d’intérêts publics dont les groupes se prononcent sur la substantifique moelle. Au Bénin, le multipartisme intégrale a fait du candidat, le Prométhée, omnipotent et omniprésent. Il ou elle ne change pas au fil des élections successives, c’est le parti qui se métamorphose à son gré. C’est le bras financier, la caution morale, le leader charismatique, le fils du terroir, le chantre de l’unité nationale, le développeur, le messie, l’élu de Dieu, le seul, l’unique et l’incomparable.
Alignés sur l’analphabétisme en campagne et l’illettrisme politique dans les cités du pays de Béhanzin, ces superlatifs dithyrambiques achèvent de faire de la désignation puis de l’élection des candidats, notamment aux élections législatives et présidentielles, un choix plus par émotion, par poussée régionaliste et par avarice citoyen que par jugement politique. De plein pied dans le 21e siècle où ils devraient avoir, en cinquante ans de préliminaires démocratiques, réglé les questions fondamentales de leur existence en tant que nation souveraine, les béninois sont encore embourbés dans les atermoiements de la désignation automatique et systématique de leurs gouvernants successifs. Un peuple qui ne peut déterminer ses repères, doit pouvoir avec courage se renvoyer à ses origines, sauf à s’être résolu d’avancer vers le néant, vers « l’oiseau » dont le patronyme « rare ».
La confusion des forces d’équilibre socio-politiques. Certaines élites se sont offusquées de la soudaine descente dans l’arène des hommes d’affaires, leurs désormais désillusionnés bienfaiteurs. Même si l’on peut avoir des raisons de désapprouver une telle descente, il faut convenir qu’elle est la conséquence de ce que les élites politiques ont violé tous les principes de la démocratie représentative. C’est d’ailleurs la même raison qui justifie l’impérieuse et urgente nécessité de passer à Alédjo 2. C’est en fait, qu’à l’équilibre des grandes nations concourent en général trois grandes forces, celles de droite, de gauche et du centre ou du milieu. Je ne parle pas de courantes politiques mais de forces d’équilibre d’une nation et de sa société politique. A droite, on détient le pouvoir et on tend à le conserver mais surtout à en abuser. A gauche, on aspire à se saisir du pouvoir aux mêmes fins qu’à droite. Enfin, au milieu, on contient les poussées expansionnistes de la droite tout en apaisant les velléités de rébellion de la gauche le temps qu’elle prenne le pouvoir. Tant l’on peut se réjouir de s’entendre dire qu’une seule entité du milieu a pu sauver le peuple de la tyrannie en empêchant une révision opportuniste de la Constitution, tant l’on devrait s’interroger de savoir qui arrêtera cette entité une fois qu’elle sera à droite. Le but n’est pas ici de contester la légitimité d’ambitions présidentielles du reste visiblement légales. Il ne s’agit que de partager des réflexions logiques sur la démocratie constitutionnelle du Bénin en vingt six ans d’exécution.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le centre s’est vidé de sa substance à mesure que se déclinait la démocratie proposée à Alédjo. Il eut fallu indiquer qu’au centre se concentrent les forces humaines (sociales, civiles, …), les forces spirituelles et les forces financières ou d’argent. Après deux décennies d’expérience démocratique, les figures de proue du centre ont essaimé vers la droite. Mais à en croire la logique déclinée plus haut, c’est plutôt au centre que se trouve le pouvoir et non à droite. C’est bien pour cette raison qu’il y a un danger à laisser le centre inoccupé comme il est en 2016 à une heure aussi critique du destin de tout un peuple. C’est l’heure où les ouvriers de la refonte doivent descendre dans l’arène pour se saisir du pouvoir et en imposer aux agitateurs d’ambitions déclarées, avouées, niées ou suscitées. Cet exercice doit se faire par l’exigence d’Alédjo 2.
Des hommes forts ou des institutions fortes ? En concluant ce réquisitoire pour le moins déshonorant pour les béninois, le chemin est dégagé pour aborder la question de savoir si le problème est dans le système ou dans les hommes. En dépit de la force des arguments en faveur des faiblesses patentes du système, l’honnêteté recommande de ne pas écarter le potentiel d’une cause humaine. Il serait naïf de nier le rôle du matériau humain béninois dans l’échec du système sorti de la boîte à génie d’Alédjo. Ceci dit, la difficulté de cette thèse réside en ce qu’elle consisterait à considérer que les béninois sont tellement incapables de bien et de démocratie fertile qu’ils n’ont pu faire fonctionner un système taillé à la perfection. En syllogisme, on devrait alors considérer que les américains et les européens sont nés démocrates et que les béninois sont nés anti-démocrates, corrompus et barbares. La boutade d’Obama prend ici son sens : des institutions fortes et non des hommes forts. L’africain n’est pas plus corrompu que l’américain ou l’asiatique. Ils partagent l’essence de tout être humain : la corruption. Les hommes sont d’essence corrompus. Ce qui les différencie, c’est bien que l’homme nait bon et que c’est la société, donc les systèmes, qui le corrompt … ou le bonifie ! Les américains et les européens sont démocrates parce que les institutions les y ont contraints. Les africains le sont moins parce qu’ils ont tropicalisé la démocratie ; ils n’ont par conséquent que le résultat de leur incapacité à fabriquer de bons systèmes mais sans doute à y obéir. C’est sur ce point que je ne m’accorde que partiellement avec Obama, du moins sur la sémantique. L’Afrique a besoin aussi bien d’institutions fortes que d’hommes forts mais plutôt d’une force de caractère et de formatage, forts d’une vision , forts du détachement matériel, de l’attachement au bien et à la félicité commune, fort de l’amour de la patrie, d’une Conscience Supérieure, forts de la capacité à sanctionner, forts du rejet total de l’impunité, forts de la capacité à positionner leurs peuples au cœur des grands mouvements technologiques et scientifiques internationaux, forts d’un esprit d’unité nationale, du rejet de la division et du régionalisme. Mais c’est déjà par le système qu’il faut commencer. La Constitution de 1990 est belle, sacrée, séduisante et les béninois peuvent être légitimés à lui vouer un attachement historico-affectif inconsidéré. Mais lorsque vous ne tenez plus dans le plus beau de vos costumes, vous n’avez d’autre choix que de vous en faire un autre. Les vices inhérents à la république d’Alédjo ont montré tant de limites que la plupart des grandes crises de gouvernance socio-politique récentes nous ramènent toutes vers la Constitution d’Alédjo et les institutions qu’elle a créées.
Elle est séduisante et réaliste l’idée de lever une armée de combattants pour exécuter Alédjo 2. En l’état actuel des choses, le Bénin se trouve dans le besoin pressant de profondes réformes face à un système usé, abusé et à bout de souffle. Ce qu’il faut imposer à tous les candidats à l’élection présidentielle de février 2016, c’est de faire le serment solennel d’enclencher des réformes constitutionnelles et structurelles sur les deux premières années d’un mandat qui devrait être de préférence unique puisqu’il y a lieu de procéder à une transition constitutionnelle. Le mouvement du 19 mai 2015 doit être parachevé en étendant le sauvetage à l’ensemble des véritables demandes des « masses populaires de nos villes et de nos campagnes » qui ont consenti des sacrifices pour que se tienne la Conférence nationale de 1990. La république constitutionnelle ne changera pas, mais la révision devra être profonde pour rendre les précurseurs de la démocratie en Afrique suffisamment dignes de se tenir en face de leurs pairs Sud-africains et Kenyans. En même temps, il faudra aller rechercher d’entre les dix millions de béninoises et béninois, les ouvriers de la dissolution de la république d’Alédjo. Il faut se prémunir de penser qu’il n’y a pas au Bénin la masse critique de citoyens nécessaire à exiger, enclencher et exécuter un sauvetage de la république que le peuple avait imposée par révolution populaire à Alédjo. Il relèverait d’une lâcheté historique de se résigner à l’idée que les béninois sont tellement mauvaise graine, cupides, vaniteux, sans honneur et ignares qu’ils ne sont pas capables de bien. Je suis pour ma part persuadé qu’il y a bien des Magufulis, des Kagamés et des Lulas dans les rangs des latins d’Afrique. C’est donc de gré ou de force que le Bénin devra retourner à Alédjo pour, d’une part, se réconcilier avec lui-même et, d’autre part, dégivrer les piliers paralysants de ce système infertile.
Une marche à pas forcés. A l’heure où le Bénin est au pinacle de sa faillite politico-morale, ce n’est pas dans la perpétuation d’un système électoral travesti qu’il faut s’investir mais plutôt à l’imposition pendant la campagne électorale de l’idée d’un mandat de transition dont les deux premières années devront servir à aller vers Alédjo 2. Le Bénin est un pot de terre qui s’est fragilisé entre les mains d’élites mal outillés pour le raffermir. Il faut donner à l’élite de 2016 deux outils fondamentaux : une Constitution forte et un esprit téméraire. Ne pas exiger une Constitution forte, c’est confirmer qu’à chaque élection, les béninois doivent caresser le rêve béat d’espérer que Dieu leur envoie des anges qui se refuseront d’user des pouvoirs déséquilibrés et impériaux que leur offre le système. Autrement formulé, avec les mécanismes institutionnels d’Alédjo, il n’est pas surprenant que l’on organise des marches et veillées de prières suppliant le ciel fasse descendre un président ange, des ministres saints et des députés vierges pour transformer nos outils démocratiques moyenâgeux en des machines technologiques à fabriquer un constitutionnalisme du 21e siècle. Il faudra donc impérativement réformer le système pour bonifier les hommes. Alédjo 2 doit s’imposer comme l’enjeu principal de l’élection présidentiel de février 2016. Il est de notoriété que le débat de l’accès aux fonctions publiques au Bénin ne porte pas sur les orientations idéologiques de grands courants politiques mais sur l’argent, l’ethnie et le contrôle du système électoral. Par conséquent, au lieu de gaspiller les ressources à reproduire le même débat une énième fois, c’est sur l’échec d’Alédjo et la réalisation d’Alédjo 2 que chacun des candidats devra se prononcer de manière solennelle avant même l’élection. Le processus vers Alédjo 2 se fera par de nouvelles révolutions, non point armées, mais tout de même violentes, psychologiquement, spirituellement puis constitutionnellement. Alédjo 2 n’est pas une requête, ni un plaidoyer, c’est un impératif. Les béninois devront choisir entre les modèles de la Conférence nationale civilisée, du printemps arabe ou de l’automne burkinabè.
Dr. Horace S. ADJOLOHOUN
Expert en gouvernance constitutionnelle,
droits de l’homme et démocratie
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