Bénin – crise sociale: les syndicalistes sont des héros, selon le Professeur Réné Ahouansou
Le professeur René AHOUANSOU apprécie la situation de crise qui secoue le pays depuis plusieurs mois.
Professeur de littérature et civilisation américaines, ancien secrétaire général de la Commission nationale pour l’Unesco, ancien secrétaire général de la commission de l’Unesco, René Ahouansou se désole de la médiocrité dont font montrent de plus en plus les intellectuels de ce pays dans la gestion de la chose publique.
A l’en croire, le Bénin n’est plus actuellement un pays de droit car « nous sommes gérés selon la volonté d’un individu et non selon la loi ». Pour lui, les syndicalistes sont des héros et la voie pour une sortie de crise est la voie de la loi.
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Analyse du professeur René Ahouansou:
L’intelligence déserte de plus en plus le forum et notre société s’enlise dans la médiocrité intellectuelle et morale qui fait le lit de la dictature.
Qui peut nier aujourd’hui que nous fonctionnons désormais au Bénin en dehors des lois et selon la volonté d’un homme? La Constitution est mise entre parenthèses, les lois sont contournées et perverties pour assouvir des désirs de puissance et domination?
La crise qui paralyse le Bénin en ce moment est le fait de notre incapacité à tirer les bonnes conclusions. Si le droit de grève est reconnu par tous les textes de la république, les députés qui votent les lois sont très mal fondés à s’attaquer à ce droit constitutionnel et aux Conventions internationales auxquelles notre pays a adhéré. Une lecture attentive de notre Constitution nous aurait permis d’éviter la première série de grèves suscitées par la maladresse et le désir de certains honorables députés d’en découdre avec les travailleurs pour faire plaisir au Chef de l’Etat dont la gouvernance vise à faire taire toutes les voix dissidentes.
Heureusement, le Chef de l’Etat s’est piégé lui-même car ses amis ont été plus loin que les textes ne les y autorisaient. Le Garde des Sceaux qui, tel la mouche du coche s’est employé à brandir toutes les menaces pour intimider les travailleurs et les obliger y à retourner au boulot, vaincus, démoralisés et abattus, la queue entre les jambes s’est retrouvé piégé lui aussi dans ses intimidations qui n’ont intimidé personne. Les menaces de radiation était aussi ridicules que politiquement suicidaires. L’impossibilité de radier des corporations entières étaient la démonstration par l’absurde que “chien qui aboie ne mord pas”.
Moins que tout le monde, le Garde des Sceaux avait le droit à l’erreur pour ce qui est de la bonne interprétation des textes de loi. Si la loi a déclaré que la grève déclenchée pour la satisfaction des droits acquis ne donne droit à aucune retenue sur salaire*, le gouvernement dont il est le porte-parole ne devait pas se piéger lui-même en fournissant gratuitement du combustible au mouvement de grève. Les arguties de grèves illégales sont une dernière tentative de semer la peur dans les rangs des travailleurs grévistes et c’est là que les faucons du gouvernement et de l’Assemblée nationale font honte par leur capacité à nier les réalités.
On ne peut pas avoir négocié avec des travailleurs pendant un certain temps pour se raviser et déclarer leur mouvement de grève illégal faute de pouvoir les faire plier. De toute évidence, les déclarations du Ministre Abdoulaye Bio Tchané seules suffisent pour établir le fait que le gouvernement qui déclare ces grèves illégales n’aurait pas dû commencer par négocier .On n’est pas fier de ces rafistolages juridiques qui donnent du Bénin une image ridicule d’apprentis sorciers qui ont déclenché un mouvement dans des desseins inavouables et se sont retrouvés pris à leur propre piège. Il faut rappeler à Maitre Djogbénou qu’il est après tout un chef de parti et que son poste ministériel actuel, il ne le gardera pas toute sa vie. Faut-il le rappeler, l’homme doit être au cœur de notre action politique et la politique est à la fois une pédagogie et un humanisme.
Les syndicalistes sont des héros
Ce n’est pas la première fois que le Bénin se retrouve paralysé par des mouvements de grèves à la suite des maladresses politiques mais il est désormais temps de nous laisser guider par les textes et non par nos émotions ou nos désirs malsains d’écrasement de toute opposition dans le pays.
Les braves femmes de Saint-Louis qui ont fièrement soutenu les hommes dans leur lutte contre les intérêts privés afin de garantir une vie humaine décente sont des héroïnes qui nous imposent le respect. Tous ces personnages romanesques plus grands que nature nous indiquent la voie d’un humanisme qui nous élève tous. Les héros c’est souvent à leur mort qu’on les encense. Il faut le faire aujourd’hui de leur vivant et tous les syndicalistes de notre pays, qui tiennent tête à l’oppression sont des héros, qui méritent notre respect. Ils se battent, non pas pour des primes mais pour la dignité de l’homme face à une dictature qui s’installe sous nos yeux, avec le consentement et la bénédiction de nos honorables députés qui diront demain qu’ils ne savaient pas ou qu’ils ne l’avaient pas vu venir.
Il est navrant que nous allions à l’école souvent pour ne rien apprendre de vraiment essentiel ou pour ne rien apprendre du tout.
La loi, rien que la loi
Il convient de rappeler à nouveau le mot CRISE tel que défini par une certaine littérature comme la rencontre d’une période qui finit et d”une autre qui commence. De tout temps cette rencontre de deux mouvements de l’histoire a donné lieu à des perturbations suivies de changements, qualitativement supérieurs. Ainsi Mai 1968 a été un de ces grands moments de l’histoire contemporaine qui a apporté de grands changements à la société française, dont l’introduction de régionalisation donnant la parole aux régions de France et l’élection des étudiants dans l’administration des universités. Mai 68 n’a pas été sans ses répercussions positives sur nous en Afrique francophone car affiliés à l’Union des Étudiants Français (Unef- Nouveau), nous luttions aussi pour la cogestion de nos universités et c’est grâce à cette lutte que les programmes ont pris en compte les réalités africaines ; que la littérature africaine est entrée par la grande porte dans les programmes d’études de nos universités africaines.
Nous devons avoir une vision progressiste de l’histoire, comme ‘une spirale ascendante et non comme une confrontation pour satisfaire nos petits égos ridicules qui s’effaceront comme des empreintes de pied dans le sable de la plage. “Ce n’est pas avec des états d’âme qu’on fait l’histoire” disait Georges Pompidou. Il nous faut transcender nos émotions et nos petites personnalités compliquées pour trancher les questions une bonne fois pour toutes et donner la parole à nos textes.
Nous disons trop souvent,” État de droit! État de droit!” à telle enseigne que l’expression trop galvaudée n’oblige plus personne à faire attention à ses faits et gestes qui pourraient être contraires à l’esprit des lois. Les comportements de la police dite républicaine doivent provoquer l’indignation chez ceux là mêmes qui l’utilisent pour écraser les manifestations populaires qui ne menacent ni vies humaines ni propriétés d’autrui Cela est encore une brutale violation de notre Constitution.
L’Assemblée nationale regarde et jubile. Honte à elle !
L’expression anglaise ” the rule of law” pour le moment a conservé toute sa force. La loi est l’autorité suprême et non la volonté de Patrice Talon.Le latin dit “Lex e Rex” : “la loi est roi” pour ainsi dire.
La présente grève doit aboutir à l’adoption définitive d’un Code de procédure dans la résolution des conflits sociaux au Bénin. Il faut récuser tous ceux qui veulent faire pression sur les travailleurs pour qu’ils n’aillent pas jusqu’au bout d’un processus rationnel qui doit aboutir à des changements qualitatifs supérieurs. La parole doit revenir au peuple dans le respect des lois. Perdre du temps aujourd’hui permettra d’en gagner à l’avenir dans l’application stricte des articles 42 à 50 de la loi 2015-18 portant Statut général de la Fonction publique. La loi! Rien que la loi ! Et pas la volonté d’un homme !
René Ahouansou
Professeur de littérature et civilisation américaines
Ancien secrétaire général de la Commission nationale pour l’Unesco
Ancien secrétaire général de la commission de l’Unesco
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