Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 56
Armand Zinzindohoué ! Je me dois de faire un zoom sur ce personnage qui, à lui tout seul, représente une grille de lecture sur les rapports qu’eut le candidat puis le président Yayi, avec les milieux évangéliques. Et comme je l’avais signalé dans un épisode précédent, mon premier contact physique avec lui eut lieu à Bar Tito, à l’occasion de cette première réunion de la direction nationale de campagne.
Mais j’entendais déjà beaucoup parler de lui. Je recevais, à travers mes amis du premier cercle d’évangéliques autour de Yayi, les échos de ces réunions de mobilisation qui se déroulaient au dernier niveau du domicile du « frère Armand « , derrière Akossombo.
Certains de ces comptes-rendus en disaient déjà long sur le tempérament de l’homme qui, parfois, n’hésitait pas à proposer une explication au corps-à-corps à certains de ses accusateurs. Je savais très bien que le milieu se détériorerait très vite lorsqu’on y introduisait l’argent et le pouvoir.
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Armand Zinzindohoué fut introduit au yayisme en même temps que François Gbénoukpo Noudégbessi. Mais Armand Zinzindohoué était déjà assez bien connu dans la communauté évangélique, étant le président de l’association des amis de Radio Maranatha, le seul média fédérateur, à l’époque, des églises évangéliques. Et c’est à l’infatigable pasteur Michel Alokpo que Yayi doit ces deux prises.
Ingénieur des Tp, Armand Zinzindohoué était dans un lien hiérarchique administratif avec François Noudégbessi que nous appelions « DC », car il était directeur de cabinet de Luc Gnancadja au ministère de l’Environnement. Inutile de préciser que Noudégbessi fut une prise précieuse pour Yayi que challengeait ouvertement l’ancien ministre de l’Environnement de Kérékou, dans la sphère évangélique.
Je pouvais parfois voir passer le « DC » à Cadjèhoun. Il venait souvent y moucharder. Car, à l’instar de tout leader politique, Yayi adorait le mouchardage. Je crois d’ailleurs que vous ne mesurez réellement votre emprise sur votre troupe que par la multiplication de ces séances de colportage de ragots vers vous. Le jour où vous commencerez à ne plus en recevoir, sachez que votre fin de séjour à la tête du groupe n’est plus loin.
Certaines personnes, dont le pasteur Michel Alokpo, le plus fin connaisseur du milieu évangélique béninois que j’ai jamais vu, savaient d’ailleurs que la méthode la plus efficace pour obtenir un rendez-vous rapide et régulier avec Yayi était de le mettre en appétit avec quelques bribes de « kpakpatoya », comme on le dit ailleurs. Mais vous serez bien naïfs en émettant un jugement moral sur cette boulimie de petits colportages d’informations qu’avait Yayi. Créez un budget pour cela, s’il le faut. Car, dit-on, qui a l’information a le pouvoir.
Yayi avait donc au quotidien, une foule d’informations plus ou moins fiables sur presque tout. Rien ne lui échappait sur la vie quotidienne, les arrière-cours et même quelques fois les grincements de lit de ses principaux futurs challengers politiques. Et il prenait très au sérieux la candidature de Luc Gnancadja qu’il accusait régulièrement le jeune et fringant pasteur Romain Zannou de soutenir et de promouvoir.
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C’est vrai que Yayi n’avait pas que des amis dans le milieu des pasteurs. Et l’un des tous premiers à lui avoir tourné le dos, l’accusant de toutes sortes de fourberies, est le pasteur Josué Ahounou, qui tenait ses offices religieux dans l’enceinte de l’ancienne maison du peuple de Cotonou 2.
Josué Ahounou faisait partie des premiers pasteurs ici, à soupçonner les ambitions politiques de Yayi. Il savait donc très bien que ce n’était pas la qualité de ses prédications qui attirait régulièrement le président de la Boad dans son église, encore moins la splendeur de l’une de ses ouailles.
Il eût bien voulu faire le jeu jusqu’au bout en devenant le coach du prétendant à la fonction présidentielle. Mais un, deux, puis trois grains de sable se glissèrent dans leur relation. Yayi, une fois au pouvoir, ne manqua pas de retourner la monnaie de sa pièce à ce pasteur qui, lui, préféra en 2006, le candidat Adrien Houngbédji.
Une violente dissidence secoua l’église, et l’un des porte-flambeaux du bras de fer contre le pasteur Ahounou fut, comme par hasard, promu ministre de l’Intérieur et des Cultes, pendant que le conflit trainait encore au tribunal. Il s’agit du pasteur Supplice Codjo.
Le candidat Yayi ne voulait aucune concurrence dans le milieu évangélique. Il savait très bien que son appartenance à cette communauté ne lui apporterait pas que du suffrage. Cette appartenance lui ouvrait grandes les portes que ses origines géographiques et socioculturelles lui auraient hermétiquement fermées au nez, et à double tour. Il existe bien une grille ou, disons pour être plus précis, un barème hiérarchisé de tolérance entre les différentes croyances au Bénin vis-à-vis du profil des hommes politiques.
Les plus tolérants sont les religions endogènes polythéistes. Les adeptes sont très guidés dans leurs choix politiques par le profil religieux de l’homme politique qui se présente à eux. Ils éliraient, sans aucune difficulté, un chrétien catholique ou évangélique, un musulman, un animiste, un franc-maçon, un rosicrucien ou n’importe quoi.
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Mais paradoxalement, un homme politique qui exhiberait ostensiblement ses croyances animistes rencontrera l’indifférence des musulmans, une silencieuse méfiance des catholiques, puis un rejet catégorique des évangéliques pentecôtistes, avec multiplication de prières de combat dans plusieurs assemblées, afin que « Dieu épargne le pays de ce président babylonnien ».
Un candidat musulman passera facilement la grille des animistes, des catholiques, se fera observer sous toutes les coutures par les évangéliques non pentecôtistes, mais rencontrera le rejet des évangéliques pentecôtistes si malencontreusement un de ses rivaux y faisait circuler des informations sur un plan d’islamisation du pays dès l’élection de celui-ci. Tout réside, pour lui, dans la façon de polir l’image qu’il envoie à cette communauté.
Par contre, un candidat évangélique, pentecôtiste où non, passera plus facilement toutes les grilles des autres croyances. Personne, dans les autres milieux de croyances, n’a ainsi jamais fait procès au général Mathieu Kérékou de son pentecôtisme ostentatoire en 1996 et 2001. Pareil pour Yayi en 2006 et 2011, même si on peut dire que lui, savait brillamment faire cohabiter eau douce et eau salée dans le vase, sans que jamais l’une ne soupçonne la présence de l’autre. Tout un art !
Si donc un homme politique veut faire de la religion un élément identitaire de mobilisation politique, qu’il s’assure de bien maîtriser cette psycho-sociologie de nos religions. Dans le doute, je lui conseillerais carrément de s’abstenir et de choisir une autre arme de combat. Car les étiquettes et les préjugés existent bel et bien dans ces milieux et peuvent avoir la peau très dure.
Et pour ce que j’ai personnellement vu dans les différentes mobilisations des milieux évangéliques autour du général Mathieu Kérékou en 1996 et 2001, ensuite autour de Yayi en 2006, je peux affirmer que leur impact sur une campagne n’est pas que numérique. Le zèle et le chauvinisme qui caractérisent leur engagement deviennent très rapidement contagieux et ils prennent leur engagement aux côtés d’un candidat comme un appel divin, capables qu’ils sont de prêcher le nom d’un candidat de porte en porte, comme ils prêcheraient Jésus.
Je souhaiterais cependant, avec le recul, que les dirigeants de ces milieux se consacrent exclusivement à leur principal appel, celui de prêcher l’Évangile. Et si l’envie prenait à un pasteur de s’engager auprès d’un homme politique, qu’il ait l’honnêteté de rendre le tablier, de changer ouvertement et publiquement de statut. La manipulation des esprits à des fins politiciennes sonnera, un jour, si rien n’est fait, le glas de cette communauté, avec des répercussions négatives sur l’ensemble.
Nous avons vu et lu le rôle peu élogieux joué par certaines églises ivoiriennes dans le pourrissement de la crise qui entraîna la chute de Gbagbo. Des églises où, dit-on, des pasteurs sont parfois obligés de prêcher avec garde du corps, ou carrément un pistolet automatique dans la poche.
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Quant à moi, mon évangélisme n’aura son vrai sens que quand il me rapprochera de l’homme au lieu de m’en éloigner. De mes origines et de ma naissance, je tiens cette obligation d’ouverture sur les autres cultures et les autres croyances religieuses.
Mon père n’était pas seulement Fon de nom. Il l’était aussi dans l’âme. Il avait, je ne sais trop comment, réussi à reconstituer dans le secret de notre demeure parakoise du quartier Yéboubéri et en miniature, tout le panthéon animiste de ma famille à Dokpa-Toïzanli, à Abomey.
Il y reproduisait toutes les cérémonies familiales en cours à Abomey et nous faisait respecter tous les rites y afférents. Ma mère, par contre, était moins ancrée dans ce polythéisme. Son père, Ibrahim, était en effet un nomade musulman, originaire de Doumè, même si elle-même portera plus profondément la culture mahi-idaatcha de sa mère, princesse omodjagoun. J’ai passé toute mon enfance et toute mon adolescence à deux pas d’une mosquée.
Et l’évangélique que je suis aujourd’hui n’oublie pas la grande effervescence qui agitait Yéboubéri, mon quartier, lors des grandes célébrations islamiques. Je conserve dans ma mémoire, le goût incomparable du beignet traditionnel dendi appelé « massa », et surtout de cette désaltérante boisson locale sucrée-épicée que Bougnon, une copine de ma mère, nous envoyait à profusion tous les soirs de ramadan, comme si nous observions aussi le jeûne musulman.
Mes camarades de classe à l’école primaire publique « Centre » de Parakou étaient essentiellement musulmans, même si je trouvais souvent disgracieuse cette marque noire qu’ils finissaient toujours par avoir au milieu du front, à force d’exécuter les cinq prières quotidiennes.
Je suis encore capable, aujourd’hui, de dire l’appel du muezzin du début jusqu’à la fin. Tout ceci enlève-t-il quelque chose à mon bien-être et à mon bien-vivre d’aujourd’hui ? Non, et absolument non ! L’affrontement électoral entre Luc Gnancadja et Boni Yayi connut des pics. Ces moments où tous les coups furent permis. Et un de ces moments particuliers mérite d’être désormais partagé avec vous.
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