Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 58
Nous faisons ensemble ces constats : trois décennies après la conférence nationale des forces vives de février 1990, aucun président de parti politique n’est devenu président de la République. Personne, ayant pris part, victorieusement ou non, à une compétition électorale secondaire, n’est devenu président de la République. Pour être plus précis, aucun ancien maire, aucun ancien député, aucun ancien président de l’Assemblée nationale, n’est devenu président de la République.
À ces constats, j’ajouterai deux autres sur lesquels vous pourrez ne pas être d’accord si vous n’affinez pas vos observations : personne n’a encore gagné une élection présidentielle après en avoir perdu la précédente. Je vous vois en train de m’opposer le cas de Kérékou, vaincu en 1991, et qui remporte la présidentielle de 1996. Dans ce cas, je vous renvoie à l’épisode 55 de mes chroniques et à l’anecdote de ce Peulh de Kalalé qui, en 2001, n’avait jamais su qu’il y avait eu une interruption de 5 ans dans le long règne de Kérékou. Et surtout, n’oublions pas que tout au long de l’unique mandat présidentiel de Nicéphore Soglo, une frange importante de la population béninoise mettait silencieusement en doute la sincérité des résultats du scrutin présidentiel de 1991.
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Enfin, je fais également le constat que personne n’a encore été président de la République après avoir servi sous un autre chef d’Etat. Là aussi, vous me parlerez de Nicéphore Soglo qui a compéti en 1991 en tant que premier ministre. Mais je vous opposerais ce détail fondamental : le premier ministre Nicéphore Soglo ne tenait pas la légitimité de son titre de son rival politique Mathieu Kérékou.
Ces constats sont-ils suffisants pour élaborer une théorie solide et fiable, applicable dans l’environnement politique béninois ? Je dirai d’abord…prudence, car nous sommes en sciences sociales, avec une matière ondoyante et fluctuante. Je dirai ensuite oui, parce qu’il y a, dans la répétition de ces constats en trente années de vie de notre modèle démocratique, un message. Et ce message, quels que soient les mots et les formules utilisés, se résume à ceci : un président de la République ne peut ou ne doit pas être un homme comme les autres.
Il ne peut et ne doit pas être un homme ordinaire. Il ne peut qu’être un homme providentiel. Alors, me direz-vous, à raison d’ailleurs, comment remplir le critère de fief électoral sans avoir jamais pris part à une compétition électorale ? Et là, je vous dirai ceci : ce n’est pas votre fief qui vous fait. Mais votre fief s’aligne derrière vous après avoir constaté, dans le physique et dans le spirituel, que c’est vous l’homme.
Bon, là, vous direz que j’introduis dans une démonstration scientifique, la notion du spirituel, qui est avant tout subjective. Mais je vous dis avec conviction que le mot « providentiel » vient de « providence », qui implique un ensemble de paramètres qu’aucune science cartésienne ne peut totalement appréhender. Sinon, comment expliquez-vous par exemple que le paysan de Djidja, après avoir longuement fixé le poster d’un candidat à l’élection présidentielle, déclare en fongbe « gan djè wé »? Ce qui, en français, signifie à peu près « tu es fait pour être chef ». N’allez surtout pas croire que l’esthétique de votre poster y est pour quelque chose.
Pour donc en revenir à notre digression sur le rapport avec le fief, je dirai que cela se passe dans les deux sens. Le fief ne vous fait pas. Le fief vous soutient après avoir constaté l’opportunité que vous représentez pour lui.
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Prenons quelques illustrations : Nicéphore Soglo n’aurait jamais eu le fief qui a toujours été le sien s’il n’avait pas été désigné premier ministre de la transition dans une salle. Le fief s’est alligné ensuite derrière lui. Kérékou n’aurait jamais été ce leader incontesté du nord s’il n’avait pas été choisi par ses frères d’armes pour conduire la révolution du 26 octobre 1972. Le nord s’est ensuite aligné derrière lui et lui est resté fidèle, malgré le peu de traces que son règne laissera dans cette partie du pays.
Yayi, en 2006, apparaissait comme l’unique vraie opportunité des Collines et du septentrion. Ces départements se sont alignés derrière lui. Mais attention! Mon raisonnement n’est valable que dans le cadre d’une élection présidentielle. Ici, vous êtes d’abord porteur de quelque chose. Dès que cela se révèle, votre fief s’aligne derrière vous. Car, a contrario, un fief peut forger un destin de maire. Un fief peut forger un destin de député.
Mais jusqu’ici, le fief s’est toujours aligné derrière un destin présidentiel. Le cas de Patrice Talon, en 2016, ne déroge pas à la règle. Le déclic qui transformera Abomey et les régions fon en son fief est parti de cette polémique providentielle autour du retrait de son acte de naissance à Abomey. Le soutien de Nicéphore Soglo durant la campagne électorale a été déterminant certes, mais c’est cette polémique amplifiée autour des difficultés du retrait de son acte de naissance à Abomey qui le révéla au peuple fon comme un « fils de la maison « .
Un savant tricotage fut ensuite fait autour du sang maternel Guêdêgbé qui coule dans ses veines. La mayonnaise ne pouvait que prendre. Mais je l’affirme, dans ce cas également, ce n’est pas le fief qui a fait Patrice Talon. Le fief n’aurait d’ailleurs pas pu le faire. Car il n’existe pas de Talon à Abomey. Une fois établie cette antériorité entre l’homme, ce qu’il porte en lui, et l’apparition du fief, je déduis que la notion d’homme providentiel déterminera l’issue de nos élections présidentielles, aussi longtemps que nous conserverons en l’état notre système partisan.
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Car notre perception du chef, du « to xosú » en fongbe et du « kpara kpèi » en dendi, nous vient du plus profond de notre héritage culturel qui n’admet pas qu’un vrai chef soit élu. Un chef est chef. Et quand on le repère, on fait profil bas et on le soutient. Or nous n’avons pas fondamentalement changé en plusieurs siècles. Nous sommes entrés dans la modernité sans rupture violente. Les institutions politiques françaises, que nous copions à la lettre, sont issues d’une révolution brutale et sanglante qui, en transformant en 1791 la société française, aura métamorphosé le citoyen français, le mettant en phase avec les nouvelles institutions politiques qu’elle secréta.
Quand avons-nous fait notre révolution ?
Avons-nous vraiment eu une réelle rupture culturelle depuis la chute de Béhanzin en 1894, l’annexion des différents royaumes et chefferies du septentrion et la création de la colonie du Dahomey ? Je crois bien que non. Alors, pourquoi voulons-nous que l’électeur ait une autre conception de l’élection présidentielle alors que chez lui, le choix du chef de collectivité continue de se faire par consultation de l’oracle ?Comprenons donc que depuis la mise en place des institutions issues de la conférence nationale, l’électeur béninois, foncièrement conservateur, a toujours exprimé sa culture et son héritage historique à travers les différentes élections présidentielles. Pour lui, personne ne fait un chef. On le sent venir et on le soutient.
Ce raisonnement explique pourquoi la présentation d’un projet de société intéresse si peu l’électeur béninois pendant les élections présidentielles. Ce n’est pas une question d’analphabétisme, car des initiatives pour lui expliquer le projet dans sa langue maternelle rencontrent le même désintérêt. Il ne croit pas encore que c’est lui qui, par son vote, choisit le chef. Lui-même est plutôt curieux de savoir qui est le choix de Dieu parmi tous les prétendants. Et quand il croit avoir eu sa réponse, le discours électoral, les affiches électorales sophistiquées n’y changent que peu de chose.
Apparaître comme le choix de la providence est donc capital. Et en 2006, certains événements imprévus et totalement irrationnels, que j’ai déjà rapportés dans les épisodes précédents, nous avaient placés dans cette posture très avantageuse. Même si nous connûmes nos grands moments de doute et de désespoir. Un de ces moments mérite particulièrement d’être rapporté…
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