Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi: Mémoire du chaudron épisode 65

Le lendemain de mon retour d’Abomey, je me rendis au siège de campagne à Bar Tito. À neuf heures du matin, le lieu grouillait déjà de monde. L’excitation particulière de ce jeudi matin se comprenait bien.

Nous étions à 24 heures de l’ouverture officielle de la campagne électorale. Les différentes directions départementales de campagne étaient là pour récupérer les affiches et affichettes. Pour des raisons d’ordre pratique, les départements de l’intérieur du pays avaient été servis plus tôt. Ceux du sud du pays avaient dépêché des missions dont certaines avaient visiblement passé la nuit là, sur place.

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Je montai à l’étage pour présenter mes civilités à la directrice nationale de campagne, Madame Vicencia Boco. Je la retrouvai à son bureau, au milieu d’un petit conciliabule. Je lui fis donc un discret petit signe de la main depuis l’entrée de son bureau qui était laissée ouverte, certainement à cause du nombre de personnes qui s’y étaient entassées. Je repartais quand elle se porta spontanément vers moi en créant un petit mouvement de chaises. « Tiburce, ça fait plaisir de te revoir, toi », me lança-t-elle. Elle avait le contact facile et avait vite appris, au milieu de l’hostilité ambiante, à créer les petits apartés qui lui permettaient de s’informer.

J’appréciais cette ténacité dont elle faisait preuve et qui n’était pas soupçonnable à première vue. « J’étais sur le terrain depuis une semaine, lui répondis-je. Je suis rentré d’Abomey hier dans la soirée ».  » C’est bien, reprit-elle, donc toi tu n’es pas de l’équipe du Novotel ? « . Un peu distrait, je répondis non, sans vraiment faire attention à la question.

Je redescendis les escaliers puis me retrouvai dans la première des deux pièces qui servaient de bureau pour l’équipe de communication. J’y trouvai un amoncellement de journaux. Cela faisait une dizaine de jours en effet que je n’y avais plus mis les pieds. Et apparemment, Charles Toko ne semblait pas non plus l’avoir fréquenté.

Je m’assis, puis jetai quelques regards sommaires sur la première page des journaux. Il n’y avait généralement pas grand-chose dans les journaux en période électorale. Vous y lisez ce que vous y avez mis. La vingtaine de journaux à parution régulière était, d’une manière ou d’une autre, sous le contrôle d’une ou de plusieurs chapelles politiques. C’était la période des vaches grasses et la Une de certaines parutions était truffée, sans le moindre scrupule, de titres contradictoires. On pouvait donc y retrouver côte-à-côte, « Godomey choisit Houngbédji » et  » Séverin Adjovi bloque Godomey et jette la clé à la mer ».

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C’était de bonne guerre et les recommandations récurrentes de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication en ces périodes électorales n’émoussaient pas grand-monde. En tout cas, pas un directeur de publication comme Aboubacar Takou dont le journal « Le Béninois libéré », créé quelques mois plus tôt, faisait partie, avec « Panorama » de Distel Amoussou et « L’indépendant » de John Akintola, des sources permanentes d’inquiétude.

Aboubakar Takou faisait pourtant partie des confrères de la presse écrite à qui me liait depuis la fin des années 90, une amitié stable. Nous sommes venus à la presse la même année. Moi au journal « Le Progrès » où, à l’ombre tutélaire de Édouard Loko, je tenais des chroniques satiriques, et lui, au journal « La Dépêche du soir ». Ce que je retiens du Takou de ces débuts-là, c’était sa moto « Mate 80 » qu’il astiquait de façon particulière et qu’il faisait pétarader avec un orgueil peu dissimulé. Takou aimait l’humour, la satire et le fou rire, et chaque fois que j’avais l’occasion de le rencontrer en compagnie de son confrère Belly Kpogodo avec qui il se présentait toujours en binôme sur les lieux de reportage, invités ou pas, il était capable de me réciter mon dernier trait d’humour dans la parution du jour de mon journal.

Tout au long de la pérégrination qui le fera passer de « La Dépêche du soir » au journal « Le Béninois libéré », en passant par le journal « Le Béninois », ce confrère rieur et épicurien, qui affichait déjà un goût prononcé pour les belles et la bonne chair, me garda une admiration et une grande amitié. Je me faisais le devoir de le lui rendre. Cet ami, court sur pieds, et qui entretint par la suite une barbichette de bouc après avoir teint un moment ses cheveux en une couleur beige injustifiable, avait le sens de la formule qui fâche et de la formule qui plaît. Il avait réussi à imposer son style, fait de harcèlements, de guérillas médiatiques, d’humour décapant et de formules décomplexées.

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C’était une fourmi qu’il fallait ne pas avoir dans sa chaussette. Mais mon amitié avec Aboubakar Takou sera mise à rude épreuve aux lendemains de la parution du « Béninois libéré » qu’il obtint avec le soutien d’un lieutenant du candidat Adrien Houngbédji. La ligne du journal était donc frontalement opposée aux intérêts de mon candidat, Yayi Boni. Nous fîmes souvent pression pour éviter des incidents de tirs entre nous. Mais, je maintenais en permanence la main sur la gâchette chaque fois que me parvenait à Bar Tito, la parution du jour de son journal.

Je ne vous reparlerai plus de Distel. J’en ai déjà dit assez sur lui. La première fois que je l’aperçus remonte à l’année 1993. Très actif dans les nombreux mouvements de grève qui agitaient alors le campus universitaire d’Abomey-Calavi sous la conduite d’un certain Séraphin Agbahoungbata, nous étions réunis en assemblée générale dans la cour sablonneuse de la faculté des sciences de la santé à Cotonou. Le climat était très tendu entre nous et le ministre de l’Intérieur d’alors, Antoine Alabi Gbègan.

À ce meeting qui faisait suite au rejet d’une demande de manifestation devant le ministère de l’Enseignement supérieur, tenu à l’époque par Dramane Karim, Séraphin Agbahoungbata nous demanda d’applaudir avec vigueur un journaliste qu’il présenta comme un ami des étudiants et dont le journal serait persécuté par le régime du président Soglo.

Je ne réussis à apercevoir un bout du tee-shirt rouge de ce journaliste court et trapu que lorsqu’il se hissa sur un escabeau. Il se présenta avec beaucoup de gravité. Il s’appelle Distel Amoussou, directeur de publication du journal « Panorama des faits divers ». Nos chemins se rencontrèrent cinq ans plus tard, au siège du journal « Le Progrès », où nous devînmes collègues. Au-delà des immenses bouffées de « Gauloise » dont il enfumait la rédaction, je garde de son passage dans ce journal, son goût immodéré du scoop et parfois du sensationnel.

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Distel m’appréciait et le respect entre nous était mutuel. Mais je savais qu’avec lui, le point de basculement n’était jamais très loin et lorsque, parti du journal « Le Progrès », il redonna vie à son journal en hibernation, je le mis immédiatement dans mes préoccupations quotidiennes. Tant qu’il était à l’abri du besoin, tout le monde était en paix.

John Akintola, pour finir ! Mes relations avec lui ne furent jamais, à proprement parler, étanches. J’avais souvent côtoyé, dans l’ambiance surchauffée du restaurant universitaire, cet étudiant enrobé dont je m’étais souvent demandé pourquoi on l’appelait « John » et non simplement « Jean », et qui se donnait, parfois avec passion et fougue, pour le maintien de l’ordre et la lutte contre ceux que nous appelions « fraudeurs » parce qu’ils touchaient, en contournant la discipline des rangs, à la porte du restaurant. Il était étudiant en philosophie, mais quand je le retrouvai quelques années plus tard dans la presse, il était un chroniqueur sportif passionné, avec un goût prononcé pour les intrigues et les jeux de couloir si caractéristiques à l’univers sportif béninois. Tout son tempérament apparaîtra dans les gros titres qu’affichera « L’indépendant », le journal qu’il lança et dont il fut d’abord le directeur de publication, avant de devenir très rapidement le directeur général, sous la pression des innombrables procès en diffamation.

Je n’ai jamais compris la mine de compassion qu’il affichait souvent quand je faisais un détour dans son bureau à Vêdoko, en allant passer une commande dans le journal « L’informateur » de mon ami Clément Adéchian, avec qui il partageait le même bâtiment. John Akintola était très proche de Charles Toko à qui il mouchardait quelques intrigues que ne manquait pas de monter Malick Gomina dont il était également le confident.

Je fouillais donc les journaux avec, pour priorité, ces trois kamikazes, lorsque mon téléphone sonna. C’était Charles. Cela faisait un moment que je ne l’avais plus vu. Il me demanda ma position, puis me demanda de le rejoindre au Novotel dans l’après-midi à 16 heures.

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Novotel…! C’était la seconde fois que j’entendais le nom de l’hôtel ce matin-là. Qu’est-ce qu’il s’y passe ? Quel rapport entre un hôtel et une campagne électorale ? J’y verrai bien clair dans quelques heures.

Tiburce Adagbe