Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 89
Yayi Boni naît à Tchaourou au début des années 50. Quatrième garçon de son père, il ne doit pourtant son éducation qu’à son oncle Aboumon, cousin de celui-ci, dont l’autorité planait sur toute la famille. Cependant, les événements malheureux successifs qui surviennent sur la descendance directe de son père génétique impacteront, à mon avis, profondément la formation de sa personnalité et la perception de ses rapports personnels avec ses nombreux cousins paternels, et de façon plus générale, avec ses interlocuteurs. Je souhaite lui laisser l’autorité de la décision de parler de certains de ces événements quand il comprendra qu’il faut fermer la baraque politique et écrire ses mémoires pour la postérité.
Une chose est sûre, il n’était pas bien parti dans la vie. Et cela explique la combativité dont il fut capable plus tard face aux défis de son existence. Combativité, oui, mais complexes et susceptibilités surtout. C’est sous l’autorité de son oncle qu’il grandit, bien que son père soit là. Les circonstances de sa scolarisation, déjà relatées dans maints ouvrages, révélaient déjà une grande pulsion chez ce jeune garçon qui voyait ses cousins partir à l’école chaque matin, alors que lui devait se rendre au champ, avec son oncle. On peut dire certaines choses sans y mettre les mots. Et c’est ce que j’essaie de faire.
Le petit garçon eût bien voulu, comme les autres, se rendre à l’école. Mais, ce n’était ni lui, ni son père biologique qui en décidait. Et celui qui trouva que sa place serait plutôt au champ ne le fit guère par méchanceté. Dans les circonstances du moment, cela paraissait même plutôt logique et normal. Le petit Boni voyait les choses autrement. Et profitant d’une des absences de son oncle parti vendre son tabac dans les hameaux voisins, il se fit conduire à l’école communale par l’un de ses cousins.
L’ambiance, au retour de l’oncle, fut houleuse. Mais, le fait était déjà accompli. En plus, cet oncle n’avait pas un intérêt particulier à le garder au champ. Peut-être doutait-il simplement de ses aptitudes pour l’école. Il finira par laisser faire, voyant une si grande détermination chez l’enfant. Et naturellement, le petit garçon eut une scolarité facile, pas parce qu’il fut autrement brillant, mais parce que, contrairement à ses camarades de classe, lui avait décidé, de son propre chef, d’aller à l’école.
Je ne compris que plus tard les nombreux changements radicaux de sujet que faisait Yayi, quand quelques fois, au cours des interminables causeries qui meublaient nos voyages à travers le pays, j’entreprenais de lui raconter les circonstances dans lesquelles je commençai l’école. La similitude, même partielle, avec sa propre histoire, réveillait peut-être chez lui des blessures. Mais, tout finit si bien entre lui et son oncle qu’il le fit plus tard partir à la Mecque ; ce qui constitue le cadeau suprême que l’on peut faire à un musulman fervent. Et ce fut cet oncle qui, au soir de sa vie, laissa une déclaration prémonitoire qui s’accomplira des décennies plus tard. « Il se produira, dans cette famille si modeste, un événement de portée nationale. Mais, je ne serai plus là pour le voir », avait-il dit, avant de rendre l’âme.
Les rapports entre Yayi et ses cousins, dont la plupart se désolidarisèrent rapidement, furent-ils marqués par ce bégaiement de son destin aux portes de l’école ? Pas facile de le dire, surtout que André Aboumon, l’aîné de ses cousins, fils biologique du patriarche Aboumon, et qui, le premier, occupa un poste administratif, devint une sorte de tuteur et de soutien matériel pour le jeune Yayi. André était agent du développement rural et, à la suite de son père, était devenu, pour un moment, le pilier central de la famille.
Yayi, après son baccalauréat, partit pour l’université nationale du Bénin, après avoir raté de très peu de se retrouver dans un institut de formation aux métiers de l’assurance, à Yaoundé. Sur insistance de Abdoulaye Issa, jeune leader aux réflexes déjà futuristes, Yayi abandonna, la mort dans l’âme, ce billet d’avion conséquent à la bourse d’étude qu’il avait obtenue pour le Cameroun. Il s’inscrit à la faculté des sciences économiques. C’est à ce moment qu’il rencontra sa première épouse dont il eut sa première fille, Solange.
Les difficultés matérielles et financières s’amoncelèrent alors dans sa petite chambre d’étudiant à Gbégamey, non loin de la « Place Bulgarie », et c’est avec la carte de visite de ce même Abdoulaye Issa qu’il se présenta, un peu plus tard, dans le bureau du directeur général de la Banque commerciale du Bénin, BCB, qui n’était rien d’autre qu’un certain Bruno Amoussou.
« C’était un jeune homme travailleur, mais peu structuré », se souvient le renard de Djakotomey. Yayi garda un contact régulier et très suivi avec ses cousins restés à Tchaourou, jusqu’à ce qu’une violente attaque occulte, dont il se tira de justesse, l’éloigne de son Tchaourou natal. Il prit aussi radicalement ses distances avec la famille quand, quelque temps après, il partit pour la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, BCEAO, à Dakar. Ce séjour dakarois fut, pour lui, un long tuyau noir, tant au plan professionnel que privé.
Au plan professionnel, son séjour dans les locaux de l’institution régionale fut une longue succession de frustrations et de prostrations. Il lui était, par exemple, impossible d’emprunter le même ascenseur que Pascal Irénée Koukpaki, qui faisait figure de nabab, vu ses excellentes relations avec le gouverneur ivoirien. Demander et obtenir une simple photocopie au pôle de secrétariat relevait pour lui d’un parcours du combattant. Il se sentait rejeté, mal aimé. Il eût bien voulu entretenir des relations de fraternité avec son frère du nord, Abdoulaye Bio Tchané. Mais, les deux hommes n’ont ni la même essence, ni le même tempérament. Et leurs relations furent de façade.
Dans le même temps, des inquiétudes se renforçaient au village, chez ses frères et cousins, qui soupçonnaient son éloignement d’avoir été provoqué par des voies occultes. Yayi venait bien à Cotonou quelques fois, mais évitait tout contact avec la famille. Grâce à l’entregent du docteur Pierre Boni, fondateur de la « Clinique Boni », beau-frère du président Nicéphore Soglo, Yayi fut rappelé au pays pour servir à la présidence de la République en tant que conseiller à l’économie du chef de l’État. Les appuis de ce même Pierre Boni seront décisifs pour l’aider à décrocher le prestigieux poste de président de la Banque ouest-africaine de développement, BOAD, à la place du ministre des Finances, Paul Dossou, et face aux appétits des prétendants comme Yacouba Fassassi et Guy Amédée Adjanonhoun.
Certaines sources situent à cette époque la naissance des ambitions présidentielles du petit neveu du patriarche Aboumon. Le calcul, fort simpliste, était celui-ci : le président Nicéphore Soglo rempile en 1996. Puis forclos en 2001, il libère le plancher. La première projection de Yayi se faisait donc sur l’horizon 2001. Mais, les choses ne se passèrent pas exactement comme prévues. Soglo perd les élections en 1996. Entre-temps, Yayi renoue avec son Tchaourou natal où il bat campagne pour Soglo, aux côtés de son aîné, le légendaire ministre de l’Education nationale, Dramane Karim, dont on se rappellera longtemps la silhouette émaciée et les épais verres correcteurs à grosse monture.
Yayi renoue donc avec Tchaourou, mais le scrutin présidentiel tourna à la correction pour lui et le ministre Karim. Plus tard, des informations parvenues au candidat malheureux Nicéphore Soglo dénonceront une certaine duplicité de sa part, l’accusant d’avoir battu campagne pour Kérékou. Cette accusation, bien que gratuite et fausse, se retournera en faveur du jeune président de la Banque ouest-africaine de développement dont la tête fut vainement réclamée par les princes du nouveau régime.
Il put se réconcilier plus tard avec Tchaourou, par le projet d’extension du réseau électrique qu’il fit financer par la BOAD et qui part de Parakou, pour chuter à l’hôpital de Papanè. L’électrification de Tchaourou fut un acte majeur qui le positionna de façon irréversible dans un Tchaourou où il ne faisait guère figure de grand leader.
C’est vers ce Tchaourou que se dirige, dans le crépuscule de ce samedi, neuvième jour de campagne, notre cortège électoral, après un meeting pharaonique dont l’un des objectifs était de donner la réponse au candidat Adrien Houngbédji qui y avait fait stade comble quelques jours plus tôt.
En route pour Tchaourou, là où Yayi faillit rater l’école…!
Tiburce Adagbè
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