[Dossier] Bénin – Accès aux soins de santé publics (1/5) : des « prisonniers » d’hôpitaux
Dans les hôpitaux publics du Bénin, séjournent plusieurs patients guéris ou non mais tenus « prisonniers » pour frais de soins impayés. Cette situation préoccupante à plusieurs égards a motivé la rédaction de « Bénin Web Tv » à initier un reportage sur le sujet.
A cet effet, une équipe composée de trois journalistes a sillonné 13 hôpitaux du pays notamment le CNHU-HKM; l’hôpital de la mère et de l’enfant (HOMEL) de Cotonou; les Centres hospitaliers départementaux (CHD) de l’Ouémé-Plateau, Borgou-Alibori, Mono-Couffo; les Hôpitaux de zone d’Abomey-Calavi, d’Allada, de Comè, Covè, Dassa-Zoumè, Djougou, Kandi et Malanville. L’objectif est de rendre compte de la situation des patients à faible revenu face aux coûts des services sanitaires du service public.
Du portrait des patients « détenus » dans les hôpitaux pour frais de soins impayés aux réformes nécessaires pour faciliter l’accès aux soins de santé publics aux béninois à faibles revenus en passant par l’état des lieux des coûts des prestations sanitaires dans le secteur public (data des prix), l’univers des prises en charge et assistance sociale en République du Bénin; nous vous embarquons dans une aventure pour explorer l’accès des citoyens à faibles revenus aux soins de santé publics au Bénin.
1- Portraits des personnes indigentes
Un mal profond
Centre national hospitalier et universitaire (CNHU), lundi 13 mai 2019, il est environ 10h20min. A l’entrée principale dédiée aux usagers grouille du monde. Plus d’entrées fantaisistes comme par le passé. On a pu s’en apercevoir que tout est réglementé. Et comme les usagers de l’hôpital venus rendre visite à des parents ou amis malades, nous avons fait la queue et attendre la prochaine heure d’ouverture.
A 13h, nous avons eu accès à l’enceinte de ce grand hôpital du Bénin. Durant une heure d’horloge, des services ont été sillonnés à savoir, la maternité, la médecine, la dialyse, la pédiatrie, et la chirurgie. Des personnes indigentes, pauvres ou pauvres extrêmes dont les conditions et difficultés sanitaires sont lamentables ont été rencontrées. Les difficultés sont diverses et varient d’un individu à un autre. Pendant que l’équipe de reportage est arrivée à la pédiatrie, un jeune homme a éperdument retenu son attention.
« La santé de mon fils est primordiale »
B.K. 32 ans, cultivateur dans la commune de Sô-Ava. Il s’était isolé et manifestement désespéré. A distance, pendant qu’on échangeait avec des parents de patients qui narraient leurs conditions tristes et miteuses, on pouvait lire dans ses yeux, l’expression d’un homme à bout de souffle. Evidemment, nous nous sommes rapprochés de lui. Son histoire n’est pas aussi critique mais révèle tout de même ce que traversent les pauvres dans les hôpitaux publics.
B.K. est arrivé au CNHU, il y a trois semaines avec son fils âgé de trois ans environ, selon ses dires. L’enfant faisait la diarrhée et ses testicules enflés. Après les soins qui ont duré plusieurs jours, l’homme dit avoir déboursé près de 240.000 Fcfa. Pour faire face à ces dépenses, B.K. a dû vendre sa moto à vil prix et cédé son champ à tiers. Puisque dit-il, la santé de son fils est primordiale. Heureusement, le petit s’est retrouvé même si les séquelles sont encore visibles lors de notre passage.
Mais B.K. et son fils sont toujours maintenus dans la salle d’hospitalisation pour n’avoir pas payé la facture qui s’élève à 120.000 Fcfa environ (frais d’hospitalisation et autres soins) condition sine qua non pour obtenir le feu vert de la surveillance générale ou le col vert. Etant libérés, les repas journaliers leur sont coupés. N’ayant plus aucun sous, B.K. et son fils ne partagent que les repas des voisins de salle et dorment parfois à jeun.
Pendant qu’il narrait la situation, l’homme n’a pu s’empêcher de verser quelques gouttes de larmes tant le désespoir est à son comble. Il voyait en nous des donateurs venus pour payer les frais et lui permettre de regagner sa famille. Hélas !
Le cathéter comme le brassard du prisonnier…
Il sonnait environ 15h30min le 14 mai 2019. Le portail principal du Centre hospitalier départemental (CHD) de Parakou grouille de monde. Les entrées et les sorties sont soigneusement filtrées par le vigile, un homme de la cinquantaine. Visage grave avec de grosses lunettes de soleil, il ne laisse passer que les agents du centre, les parents de patients munis d’une ordonnance médicale ou des patients munis d’une autorisation de sortie, et quelques fois, des connaissances.
Il fait chaud. Le manguier situé à l’entrée du centre juste en face du bloc des urgences et de la réanimation offre un ombrage agréable à toutes personnes qui veulent échapper un instant aux sévices des rayons du soleil de cet après-midi du carême musulman. Sous ce manguier, S. M., une femme enceinte presqu’à terme, a élu domicile. Assise sur un pagne de fortune et adossée à un sac noir de taille moyenne contenant ses effets, elle raconte, le cœur dans la gorge, son calvaire.
« Je suis ici depuis cinq jours parce que je n’ai pas encore pu payer mes frais de consultation et d’hospitalisation qui s’élèvent à quinze mille trois cent (15.300) francs cfa ». A peine elle finit la phrase qu’elle se fond en larme. S. M. est étudiante en année de Licence à l’Université de Parakou. Agée de 25 ans, elle ne présente pas l’apparence d’une jeune fille de son âge : air mélancolique ; cheveux ébouriffés (relevés et en désordres) à peine recouverts d’un minuscule foulard rouge foncé ; des pieds légèrement enflés, elle arrive difficilement à marcher. Après quelques minutes de sanglot mêlé de lamentation dans sa langue locale, le « adja », elle retrouve ses esprits et continue son récit.
« Je suis admise au centre parce que je sentais des douleurs atroces au bas ventre. J’avais cru que c’était déjà l’accouchement. J’ai eu beaucoup peur parce que je n’étais qu’à 7 mois de grossesse. Selon l’échographie que j’avais faite, je serais enceinte des jumeaux. Quand je suis admise au centre, j’ai été consultée par les sages-femmes qui m’ont prescrit un traitement et demandé des analyses. Avec l’argent que j’avais sur moi, j’ai pu payer toutes les ordonnances et les analyses demandées. J’ai passé quatre jours en hospitalisation/observation.
Quand mon état s’est stabilisé, les sages-femmes m’ont autorisé à rentrer mais ça fait cinq jours que je ne pourrai pas sortir du centre parce que je n’ai pas encore pu payer les frais de consultation et d’hospitalisation. Comme je n’ai pas soldé les frais, on ne m’a pas retiré du bras le cathéter. C’est comme le brassard du prisonnier puisque les vigiles ne laissent pas sortir les personnes portant un cathéter.
J’étais là à trainer dans la cour de l’hôpital quand quelqu’un m’a dit d’aller poser mon problème au Service social de l’hôpital. Quand j’y suis allée, on m’a remis une fiche de prise en charge de personnes indigentes que je dois faire signer par le service traitant et trois autres services avant de la faire valider par le Directeur de l’hôpital.
Avec mon état, j’ai eu beaucoup de mal à parcourir seule tous ces services. Je suis venue à l’hôpital avec mon « mari ». Quand notre argent a commencé par finir, il a dit qu’il ira en prendre chez son frère à Boukoumbé. Depuis six jours qu’il est parti, je n’ai plus de ses nouvelles. Il est devenu injoignable. Lui et moi, ne sommes pas de Parakou. On n’a donc pas de parent ici. Je suis donc restée seule dans l’hôpital depuis son départ sans l’aide de personne, même pas celle d’un(e) ami(e) de la fac. Quand j’ai fini de faire valider ma fiche de prise en charge d’indigence, j’ai été autorisée à quitter l’hôpital. Le cathéter m’a été retiré du bras. »
Un cas désespéré à Comè
Il sonnait environ 11h05min, lundi 13 mai 2019 quand l’équipe de reportage fait son entrée dans l’hôpital de zone de Comè qui couvre les communes de Grand Popo, Comé, Bopa et Houéyogbé. A l’instar d’autres centres de santé publics sillonnés, aucune entrée fantaisiste n’est admise. Le portail principal réservé aux usagers de l’hôpital était bien filtré par les portiers. Ici, l’équipe est tombée sur une dame gardée dans la salle 8 du pavillon 10 de la pédiatrie. En effet, maman D.G. est venue de la maternité de l’arrondissement de Sey avec son petit garçon D.G. âgé de 14 mois. Ce dernier avait un abcès au niveau de la jambe gauche qui a légèrement touché son testicule.
N’ayant pas les moyens pour faire face aux dépenses, le père de l’enfant a dû vendre sa moto, selon les propos de la mère de l’enfant. Mieux, ils ont également bénéficié du soutien des parents afin de sauver le petit garçon. Mais malgré tout, ils restent devoir encore à l’hôpital qui les retient (elle et l’enfant) depuis deux mois environ, a-t-elle fait savoir à l’équipe. Si elle sait au moins qu’ils ont dépensé près de 150.000 fcfa, elle n’a pas idée de ce qu’ils doivent encore à l’hôpital. Le hic, c’est que son mari l’aurait abandonnée dans cette situation avec l’enfant.
« Cela faisait 3 mois, le 11 mai 2019 que nous sommes venus dans cet hôpital. Le père était obligé de vendre sa moto parce qu’il n’a pas l’argent. Il est électricien-bâtiment mais le travail ne marche plus. Depuis un mois, je n’ai plus de ses nouvelles. Il n’est plus jamais venu nous revoir ici. Nous leur devons les frais d’hospitalisation. Cependant, j’ai l’opportunité de sortir pour voir une cousine qui n’est pas loin de l’hôpital. C’est elle qui me soutient dans cette dure épreuve de même que certains agents de santé qui, m’offrent des vivres et de l’argent parfois. Je suis très contente que mon garçon aille beaucoup mieux », a-t-elle confié tout désespérément malgré que le service social de l’hôpital s’intéresse à son cas.
A suivre…
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