« Aucun scrutin ne doit se tenir s’il met les électeurs béninois en danger »(lettre ouverte)
A travers une lettre ouverte adressée au chef de l’Etat, le président Patrice Talon, Me Fatiou Ousman, avocat au barreau français et citoyen attire l’attention du président de la République sur les risques liés au maintien des communales pour le 17 Mai prochain et martèle qu’aucun scrutin ne doit se tenir s’il met les électeurs béninois en danger.
Le maintien des élections communales du dimanche 17 Mai 2020 par les institutions de la République ne fait pas l’adhésion de tous. Des voix s’élèvent déjà pour dénoncer ce maintien, s’il devait mettre en péril la vie des citoyens. L’une de ces voix est celle du professionnel de droit, Me Fatiou Ousman, avocat et citoyen béninois qui par une lettre ouverte adressée au président de la république s’oppose à la tenue du scrutin pour le 17 Mai prochain s’il présente potentiellement des risques pour les électeurs.
Après avoir fait le tour de la situation à travers le monde et le mode de propagation du virus, Maitre Fatiou Ousman estime que « l’heure est grave et que l’inquiétude règne chez tous les Béninois qui ne peuvent pas compter sur notre système de santé dont les limites sont connues. ».
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Sur les différentes mesures prises par le gouvernement pour faire face à la propagation de la pandémie, le citoyen béninois qu’il est, juge ces mesures insuffisantes et pas à même de protéger les béninois les semaines à venir. « Vous avez rejeté toute idée de confinement généralisé aux motifs que les Béninois n’étaient pas socialement et économiquement organisés pour vivre confinés chez eux, le temps qu’un traitement efficace soit trouvé. », indique-t-il
Le refus d’un confinement général est lourd de conséquences
Au titre des mesures gouvernementales contestées par ce citoyen, il y a l’option du cordon sanitaire en lieu et place d’un confinement général. A le croire, d’autres pays, ayant un niveau de développement équivalent au Bénin, ont pourtant décidé ce confinement. Il en veut pour exemple, le Rwanda, le Niger, le togo, le Sénégal, le Mali, « qui ne sont pourtant pas des pays développés, ont adopté la méthode du confinement et ont pris des mesures sociales et économiques exceptionnelles pour accompagner les citoyens les plus pauvres et le secteur commercial impacté », lit-on dans sa lettre.
Pour lui, ces pays aussi ont une économie informelle importante, comme le Bénin. L’option qu’il qualifie d’hybride et qui consiste à isoler quelques communes dites à risque, renonçant à la fermeture de toutes les frontières et au dépistage systématique des Béninois, est selon lui lourde de conséquences.
La décision des présidents d’institution n’engage pas la république
Dans sa lettre ouverte adressée au chef de l’Etat, Me Fatiou Ousman, s’insurge contre les décisions prises par la conférence des présidents des institutions dont il remet en cause la légitimité. Une telle décision, martèle-t-il dans le contexte sanitaire ci-dessus décrit, est aussi incompréhensible qu’inconséquente. « J’aimerais d’abord contester toute légitimité à cette Conférence dite des Présidents d’Institutions de la République, un tel organe n’étant ni constitutionnel ni légal. » mentionne-t-il dans sa lettre.
Pour lui, les échanges entre le Président de la République et ses homologues à la tête des institutions sont des échanges informels qui n’engagent pas la République. « Les décisions émanant de cette rencontre n’ont ni valeur juridique ni légitimité. C’est donc la décision de l’Exécutif Béninois seul de maintenir le scrutin local du 17 mai 2020. C’est votre décision Monsieur le Président. » lit-on dans la lettre ouverte.
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Une décision fondée sur des motivations politiciennes
A croire Me Fatiou Ousman, la démarche du gouvernement ou des institutions de la République à maintenir les élections Communales au 17 Mai est à son avis une démarche politicienne bien loin de la mission de protection des citoyens béninois. Il s’étonne d’ailleurs que ces présidents d’institution aient pu échanger par vidéo conférence certainement par nécessite de se protéger mais envoient les populations dans des bureaux de vote, augmentant ainsi les possibilités de contagion à grande échelle.
« Loin de moi l’envie de vous prêter des intentions, mais je ne peux m’empêcher de penser que le maintien obstiné du scrutin communal du 17 mai 2020, alors que le pic de la pandémie se rapproche, a des fondements très éloignés de la santé des Béninois. Pourtant, la question de la vie et de la santé des citoyens s’impose à tout agenda politique et à tout processus électoral. » écrit-il dans sa lettre qu’il conclut par une exhortation: « Je vous demande, avec solennité et émotion, de mettre de côté tout agenda politique ou électoral et de placer la santé de vos concitoyens au centre de la décision politique. »
Lettre ouverte au président Patrice Talon:
Pour le report de l’élection communale du 17 mai 2020
Pas d’élection communale le 17 mai 2020
Notre Vie d’abord.
Monsieur le Président de La République,
C’est avec gravité que je m’adresse à vous en tant que citoyen béninois concerné et inquiet, face à la situation exceptionnelle que nous vivons depuis plusieurs semaines.
Le monde est frappé par une crise sanitaire inédite liée à la propagation du Coronavirus aussi appelé covid-19. A ce jour 1 653 204 personnes ont été contaminées par ce virus et 102 088 en sont mortes, la majorité dans des pays ayant les systèmes de santé les plus performants et avancés.
Si, en Afrique, pour l’heure on dénombre 9 000 cas recensés et près de 400 morts (52 pays touchés sur les 54), il s’agit d’un bilan en trompe-l’œil qui n’est nullement rassurant pour les experts ni la communauté scientifique. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), rompant avec sa prudence habituelle, a très tôt prévenu le continent africain de « se préparer au pire ». Le prix Nobel de la Paix 2018, le Professeur Denis MUKWEGE, dans les colonnes du Journal français LE MONDE (édition du 28 mars 2020), a lancé un appel à « éviter la pandémie ».
En ce qui concerne notre pays le Bénin, le nombre de personnes affectées a triplé en moins de trois semaines pour atteindre 35 cas confirmés et 1 décès. Le premier cas a été diagnostiqué le 16 mars 2020. Un foyer de 130 personnes potentiellement contaminées aurait été détecté dans le centre. La courbe de la propagation est donc ascendante, ce qui laisse craindre une augmentation importante du nombre de citoyens béninois touchés par ce virus meurtrier. L’observation de l’évolution de cette pandémie dans les pays les plus touchés est assez édifiante sur les risques pour le Bénin.
En France par exemple, la pandémie de covid-19 a été identifiée le 24 janvier 2020 et concernait alors trois premiers cas. Dès le 14 mars 2020, soit 49 jours plus tard, l’épidémie est passée au stade 3 de sorte que tous les lieux recevant du public, non indispensables à la vie, ont été fermés. Depuis le 17 mars 2020 à 12 h, la population est confinée à domicile. Au 11 avril, le bilan cumulatif fait état de 93 790 cas confirmés et 13 832 morts.
En Italie, la pandémie de covid-19 s’est propagée à partir du 31 janvier 2020, après que deux touristes chinois ont été testés positifs. Au 28 février 2020, l’Italie comptait déjà 21 décès et 888 cas confirmés. Au 9 mars, le nombre de personnes recensées positives à la maladie dans le pays s’élevait à 9 172, dont 463 morts et 724 guéris. Le 10 mars, tout le pays a été placé en confinement. Deuxième pays le plus touché tant par le nombre d’infections que par celui des décès, l’Italie recense au 11 avril 2020 152 271 cas de COVID 19 et 19 468 décès.
L’exemple américain est de loin le plus éloquent puisque la pandémie s’est signalée autour du 21 janvier 2020. Au 11 mars, le nombre de personnes infectées est passé à 1 010 cas dont 30 décès. Une semaine plus tard, il y avait 13 816 cas testés positifs et 207 morts. Au 11 avril 2020, 529 768 cas et 20 456 décès sont recensés aux USA.
Ces trois pays ont un point commun : celui d’avoir pris cette pandémie à la légère lorsqu’elle s’est déclarée et de l’avoir laissé s’installer avant d’agir de manière drastique.
Ces chiffres et la rapidité avec laquelle le Virus s’est propagé ailleurs dans le monde font froid dans le dos.
La plupart des études basées sur l’observation du covid-19 dans le monde établissent que les pays africains, dont le Bénin, seront durement frappés dans les prochaines semaines, le mois de mai 2020 étant identifié comme le pic de la pandémie en Afrique.
D’après les études d’une équipe de scientifiques de la « London School of Hygiene and Tropical Medicine », le nombre de personnes infectées par le Covid19 en Afrique pourrait atteindre 450.000 d’ici début mai 2020.
L’heure est extrêmement grave, Monsieur le Président.
L’inquiétude règne chez tous les Béninois qui ne peuvent pas compter sur notre système de santé dont les limites sont connues.
Les mesures prises par votre Gouvernement, si elles ont le mérite d’exister, me semblent insuffisantes à protéger les Béninois et à faire face à la propagation massive de ce virus dans les prochaines semaines.
Vous avez rejeté toute idée de confinement généralisé aux motifs que les Béninois n’étaient pas socialement et économiquement organisés pour vivre confinés chez eux, le temps qu’un traitement efficace soit trouvé.
D’autres pays, ayant un niveau de développement équivalent au Bénin, ont pourtant décidé ce confinement.
A titre d’exemple, le Rwanda, le Niger, le togo, le Sénégal, le Mali, qui ne sont pourtant pas des pays développés, ont adopté la méthode du confinement et ont pris des mesures sociales et économiques exceptionnelles pour accompagner les citoyens les plus pauvres et le secteur commercial impacté.
Et pourtant, ces pays aussi ont une économie informelle importante, comme le Bénin.
Le gouvernement béninois a étrangement opté pour un système hybride dit de cordons sanitaires partiels, sorte de confinement limité aux zones dites à risque, renonçant à la fermeture de toutes les frontières et au dépistage systématique des Béninois.
Cette décision est lourde de conséquences puisque si les écoles et universités ont été fermées jusqu’au 10 mai 2020, les marchés restent ouverts et les transports en commun sont autorisés, favorisant ainsi une proximité dangereuse.
C’est pourtant dans ce contexte particulièrement anxiogène que doit se tenir un scrutin communal le 17 mai 2020 sous l’égide de la CENA.
C’est dans ces mêmes circonstances et contre toute attente qu’en votre qualité de Chef de l’Etat, et après avoir consulté les responsables des institutions de la République, vous avez décidé de maintenir la tenue de ce scrutin du 17 mai 2020.
Une telle décision, dans le contexte sanitaire ci-dessus décrit, est aussi incompréhensible qu’inconséquente.
J’aimerais d’abord contester toute légitimité à cette Conférence dite des Présidents d’Institutions de la République, un tel organe n’étant ni constitutionnel ni légal.
Les échanges entre le Président de la République et ses homologues à la tête des institutions sont des échanges informels qui n’engagent pas la République.
Les décisions émanant de cette rencontre n’ont ni valeur juridique ni légitimité.
C’est donc la décision de l’Exécutif Béninois seul de maintenir le scrutin local du 17 mai 2020.
C’est votre décision Monsieur le Président.
Au passage, je constate, avec étonnement, que cette réunion des institutions s’est tenue par le biais d’une visioconférence.
Ainsi tandis qu’elles évitaient tout contact, à l’abri dans leurs bureaux respectifs, nos autorités ont décidé de poursuivre le processus électoral et d’envoyer les citoyens dans des bureaux de vote, augmentant ainsi les possibilités de contagion à grande échelle.
Cette incroyable démarche éclairera tout un chacun sur les responsabilités politique et pénale consistant à exposer gravement les autres tout en se protégeant soi-même.
Alors que l’Ethiopie a reporté sine die ses élections générales prévues en août 2020, que la France a reporté dans les mêmes conditions le second tour de ses Communales et que les USA redoutent la tenue d’une campagne électorale dans un tel contexte sanitaire, le Bénin s’illustrerait encore négativement.
Après les élections législatives controversées et exclusives d’avril 2019, après la répression meurtrière des manifestations des 1er et 2 mai 2019, après les morts non élucidées de Tchaourou, Savè et Kilbo, il s’agit une fois de plus d’un très mauvais signal envoyé aux Béninois qui vous ont pourtant accordé leur vote à 65% en 2016.
Manifestement, le Gouvernement, celui que vous dirigez, ne semble pas avoir fait la meilleure option dans la protection des citoyens béninois.
A l’évidence, une telle décision ne peut qu’être fondée sur des motivations politiciennes, bien loin de la mission de protection des citoyens béninois.
Comment ne pas y voir en effet la volonté, votre volonté Monsieur le Président, de mener, vaille que vaille, cette élection à son terme pour valider et légitimer la révision constitutionnelle du 1er novembre 2019 et l’introduction du parrainage politique pour tout candidat à l’élection présidentielle dès 2021 ?
Loin de moi l’envie de vous prêter des intentions, mais je ne peux m’empêcher de penser que le maintien obstiné du scrutin communal du 17 mai 2020, alors que le pic de la pandémie se rapproche, a des fondements très éloignés de la santé des Béninois.
Pourtant, la question de la vie et de la santé des citoyens s’impose à tout agenda politique et à tout processus électoral.
Les urnes, surtout dans un contexte de recul démocratique amorcé depuis plusieurs années, ne doivent pas avoir plus d’importance que la santé des Béninois.
Si important et capital soit-il, aux yeux du régime actuel, aucun scrutin ne doit se tenir s’il met les électeurs béninois en danger.
Ce sera pourtant le cas de ce scrutin prévu le 17 mai 2020.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que j’en appelle à votre sens des responsabilités et à votre patriotisme pour qu’un projet de loi soit immédiatement introduit pour reporter sine die l’élection communale du 17 mai 2020.
L’Assemblée vous étant entièrement acquise, en l’absence d’opposition, il est certain que les 83 députés voteront cette loi « les yeux fermés ».
Les circonstances exceptionnelles actuelles auraient d’ailleurs pu conduire vos Députés à s’auto-saisir par l’introduction d’une proposition de loi dans le sens du report de ce scrutin. Leur silence sur cette situation est éloquent.
Monsieur le Président, ma démarche n’est ni politique ni partisane.
Cette lettre est le cri de cœur d’un Béninois qui s’inquiète pour ses proches et ses compatriotes qui vivent dans un pays menacé par une pandémie hautement meurtrière.
Je veux croire qu’en tant que Chef de la Nation vous partagez cette inquiétude et que, mettant de côté tout calcul politicien et revêtant à nouveau votre habit de Protecteur des Béninois, vous prendrez la bonne décision.
Face à cette urgence sanitaire du covid-19, nous ne pouvons – nous ne devons – pas prendre le risque d’une crise humanitaire dont les conséquences seraient désastreuses pour le Bénin et les Béninois.
C’est votre mission de nous protéger Monsieur le Président, pas de nous exposer à un risque sanitaire.
Je vous demande, avec solennité et émotion, de mettre de côté tout agenda politique ou électoral et de placer la santé de vos concitoyens au centre de la décision politique.
Pas d’élection communale le 17 mai 2020.
La vie d’abord. Notre vie d’abord.
Notre vie compte.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’assurance de ma haute considération.
Fatiou OUSMAN,
Avocat
Citoyen Concerné
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