Sida en Afrique: en Eswatini, une femme séropositive aide les autres malades à avoir une « mort digne »
Au lendemain du 8 mars, Journée Internationale des droits des Femmes, BBC nous fait découvrir Thembi Nkambule, une femme atteinte du Sida qui se dévoile au grand jour et qui est déterminée à aider tous ceux qui sont dans la même situation qu’elle à avoir une morte digne. Elle a déjà eu à accompagner des centaines de personnes qui sont mortes du Sida en Eswatini.
Thembi Nkambule réside en Afrique australe dans une ferme rurale dans l’Eswatini.
L’Eswatini est un pays africain dans lequel une personne sur quatre est séropositive. L’Eswatini est taxé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme « l’épicentre de l’épidémie mondiale du VIH et du Sida » ; une épidémie qui prend de l’ampleur à cause de l’apparition du Covid, selon les scientifiques.
Ce pays de « 1,3 million d’habitants présente toujours le taux de prévalence du VIH le plus élevé au monde, estimé à 26 % », malgré tous les efforts consentis dans la lutte contre le virus durant ces dernières décennies.
Il y a une vingtaine d’années, la situation était épouvantable.
Thembi a confié à BBC Afrique que les gens disparaissaient de l’université parce qu’ils avaient contracté le virus. « La mort était alors partout autour de nous ».
Elle avait entendu parler du Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH) pour la première fois en 1990. Elle était une mère qui s’était fraîchement mariée. Elle étudiait afin d’obtenir une licence en sciences humaines à l’université du Swaziland, actuel Eswatini.
Un don de sang mortel ?
Une campagne de don de sang avait été lancée dans l’université que fréquentait Thembi. Plusieurs de ses amis se sont portés volontaires et ont participé à cet acte salutaire en donnant leur sang. Mais des semaines plus tard, ils n’ont plus jamais mis pied dans le campus.
« Des rumeurs circulaient selon lesquelles leur sang avait été contaminé par une maladie mortelle. Rien n’a été confirmé par le gouvernement ou les autorités, mais les rumeurs disaient que lorsque vous avez contracté cette maladie, il n’y avait aucun espoir, vous êtes juste mort ».
Une grande frayeur s’est emparée de l’établissement. Thembi et ses autres amis avait les jetons. Ils avaient décidés de ne pas collaborer donc de ne pas faire don de leur sang, pensant « que si nous ne donnions pas de sang et que l’on nous disait que nous aussi nous avions du sang contaminé, nous pourrions être en sécurité ».
Après quelques années, Thembi est devenue enseignante dans un lycée où elle a commencé à entendre parler du virus. Dans cette période, il touchait déjà une grande partie de la population du pays, ses collègues de travail, ses amis et même ses apprenants.
Femme compatissante
« Thembi rendait visite à des personnes qu’elle savait mourir seules avec le VIH ».
Lorsqu’elle constate la disparition soudaine d’un proche, elle conclut qu’il a contacté le virus, parce qu’ils se cachaient et des semaines plus tard, elle apprenait leur mort dans les nécrologies du journal local. Mais la maladie n’était jamais mentionnée.
En 2000, la presse a commencé à publier des reportages sur le VIH du SIDA. Thembi s’est alors rendue à la bibliothèque et s’est mise à faire des recherches sur cette infection mondiale.
Elle s’est rendue compte que cela s’accompagnait « d’une stigmatisation universelle » et que la transmission se faisait majoritairement par le sexe.
Mais certains pasteurs prêchaient que « seuls ceux qui avaient une morale peu rigoureuse et qui avaient des pratiques sexuelles dépravées et diaboliques étaient infectés ».
Thembi n’y croyait pas un seul mot. Et pendant que tout le monde fuyait ces malades, elle se rendait chez eux pour leur tenir compagnie.
« Parfois, je frappais aux portes et la personne ne me laissait pas entrer. Ils avaient trop honte. Mais j’ai attendu et je leur ai dit que j’étais là s’ils voulaient me voir. Je n’avais pas peur d’eux ».
Thembi atteinte du SIDA
Tout avait commencé avec une terrible toux en 2002. Thembi croyait au début que c’était un simple rhume. Mais non… puisqu’elle a persisté jusqu’à un jour où elle s’est dit, «peut-être que cette toux ne disparaîtra pas parce qu’elle est due au VIH« .
Thembi s’est rendue à l’hôpital où ses soupçons se sont avérés à travers un test du VIH.
C’était comme si le ciel lui était tombé dessus. Les semaines qui ont suivi le diagnostic ont été un véritable enfer pour elle sur le plan psychologique. Des milliers de questions l’a hantait. Les antirétroviraux coûtaient 50 dollars par mois à l’époque.
« Comment j’ai attrapé ça ? Que va-t-il arriver à mes trois enfants ? Comment puis-je me permettre cela ? Quand vais-je mourir ? »
La warrior n’a pas gardé sa maladie secrète. Elle a pris son courage à deux mains et c’est avec le cœur serré qu’elle l’a annoncé à sa famille et ses proches.
« Je savais que quoi qu’il m’arrive, j’aurais besoin de l’aide et du soutien des personnes que j’aime. Si je me cachais dans la honte et le secret, autant mourir «
Après son diagnostic, la battante a découvert un programme nommé « People Living With HIV » qui l’a accompagnée dans cette épreuve.
En 2002, Thembi était loin d’imaginer qu’elle deviendrait un jour la directrice nationale du programme. A cause de son histoire avec le virus, de nombreux malades se sont confiés à elle.
« Thembi a été appelée à être témoin des cartes postales les plus intimes et les plus dévastatrices de la vie des personnes atteintes du VIH et du Sida ; des centaines et des centaines de morts ».
Comment s’est-elle engagée dans ce combat pour une mort digne ?
Un nombre important de malades ont demandé à Thembi, une séropositive comme eux, qu’ils voulaient qu’elle soit à leurs côtés dans les derniers moments de leur vie.
« Je prends cela très au sérieux. Je peux voir ce qu’ils attendent de moi à ce moment-là sans même qu’ils aient besoin de dire quoi que ce soit. Certains veulent que je les prenne dans mes bras.
D’autres ne veulent pas être touchés, mais ils veulent que quelqu’un soit présent. Je traite chaque personne comme un individu. Je leur donne cette dignité ».
La femme forte s’est alors décidée à leur donner une mort digne.
Pour Thembi, « une bonne mort est de mourir avec dignité, sans avoir de secrets. Une bonne mort, c’est la paix. Avec le VIH et le Sida, il est souvent difficile pour les gens de se donner cette paix. Pour quitter ce monde sans regrets. Je leur dis qu’au bout du compte, la vie consiste à trouver la paix en soi pour les décisions que vous avez prises dans les circonstances où vous vous trouviez. Les autres vous traiteront de la même façon que vous vous traitez vous-mêmes ».
Elle a ajoute que « personne ne peut vous faire honte si vous ne vous ne l’avez pas vous-même. Et personne ne devrait avoir honte d’une maladie ».
Les types de morts
Avec le SIDA, il existe trois types de morts, selon Thembi.
La première est la plus fréquente. La personne la regarde avec des yeux vides qui disent : « C’est fini. J’ai abandonné ».
Le deuxième type est que « la personne a un message, ou parfois un avertissement, pour les gens qu’elle va laisser derrière elle. Il y a une leçon qu’elle a apprise et qu’elle veut faire passer ».
La troisième manière et qui est la meilleure façon de mourir du VIH du Sida, d’après Thembi, c’est une mort digne.
Elle décrit cette mort, en expliquant que « la personne est sur le point de mourir en sachant qu’elle laissera sa famille et sa communauté en bon ordre et que tous les conflits seront résolus ».
Elle trouve que la malade peut se passer de sa présence dans ce dernier cas.
En cette année 2021, moins de personnes contractent le VIH ou meurent du Sida à Eswatini, comparé à l’année dans laquelle elle a été diagnostiquée, a précisé Thembi. Mais avec les restrictions du Covid, rien n’est encore gagné.
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