« L’élection présidentielle de 2021 sera celle de la rupture constitutionnelle pour quatre raisons », Me Ibrahim Salami

Ibrahim Salami - Agrégé de droit

A quelques mois de la tenue effective de l’élection présidentielle de 2021, la question du parrainage fait toujours débat au sein de l’opinion et alimente l’analyse de politologues et juristes. Pour Me Ibrahim Salami, le présidentielle de 2021 sera celle de la rupture constitutionnelle.

Dans une tribune publiée sur les réseaux sociaux, Me Ibrahim David Salami, agrégé des facultés de droit, professeur titulaire de droit public et
avocat au barreau du Bénin, s’est penché sur la question de parrainage à l’élection présidentielle de 2021, qui cristallise les énergies.

« Depuis 30 ans, le Bénin a opté pour le Renouveau démocratique, un régime politique qui a favorisé des élections régulières, l’alternance, bref, un modèle de démocratie. Ce modèle est-il révolu ? Que reste t-il de ce modèle dans le domaine électoral ? » C’est par ces interrogations que l’homme de droit entame son analyse sur la question qui taraude ces derniers temps, l’esprit de beaucoup de béninois.

A en croire le professeur Ibrahim David Salami, la question mérite d’être posée, les yeux ouverts, pendant que le Bénin s’apprête à organiser en 2021 sa septième élection présidentielle sans interruption depuis l’avènement du renouveau démocratique en 1990.

Pour l’homme de droit, cette élection interviendra après les élections législatives les plus controversées de l’ histoire constitutionnelle contemporaine, soldées par la participation des deux seuls partis de la mouvance présidentielle et un parlement sans opposition.

Le contexte ainsi présenté, justifie, selon le juriste, les plaintes, les complaintes et les polémiques que suscite la question de parrainage quand on sait que, dès le départ, le jeu est faussé et l’égalité de chance brisée.

La présidentielle de 2021 sera celle de la rupture constitutionnelle

Dans son analyse de la situation juridico-politique actuelle, l’agrégé de droit estime que « l’élection présidentielle de 2021 sera celle de la rupture constitutionnelle pour quatre raisons« .

Primo, elle sera la première postérieure et consécutive à la révision de la Constitution, indique-t-il. Secundo, celle élection précise-t-il fera élire pour la première fois un duo présidentiel (président et vice-président). Tertio, poursuit Me Ibrahim David Salami, cette élection consacrera l’introduction et la mise en œuvre, dans le système électoral réformé, d’un nouveau critère de validation des candidatures : le parrainage. Et enfin,quatro, c’est bien le duo de candidats qui doit être parrainé, indique-t-il.

L’implication politico-juridique de la question du parrainage

Issu des réformes politiques et constitutionnelles, notamment la première révision de la Constitution béninoise et l’élaboration d’un nouveau code électoral en novembre 2019 par le parlement sans opposition, le parrainage est une étape cruciale qui déterminera, de façon décisive, la capacité d’un candidat à se présenter à l’élection présidentielle.

Selon Me Salami, avant le Bénin, de nombreux pays avaient recouru au parrainage sous des formes diverses, comme un outil de régulation de l’élection présidentielle. « C’est le cas de la France, de la Côte d’Ivoire, de l’Autriche, de la Finlande, de la Pologne, de la Roumanie, etc. », précise-t-il.

Cependant, il invite à faire la distinction entre le parrainage citoyen du parrainage politique. Le parrainage citoyen suppose que le potentiel candidat doit obtenir le soutien d’un nombre déterminé de citoyens alors que le parrainage politique exige le soutien soit d’un ou plusieurs partis politiques, soit d’un nombre déterminé d’élus (maire, conseiller, sénateur, député, etc.).

Pour l’agrégé de droit, le parrainage citoyen est un mode de sélection des candidats où une candidature est validée lorsqu’un certain nombre de citoyens, donnant leur accord à cette candidature, est atteint. Par exemple, au Portugal, pays qui comporte, en 2014, environ 10 millions d’habitants, une candidature à l’élection présidentielle est validée lorsqu’elle est approuvée par 7500 électeurs. En Roumanie, pays comportant environ 20 millions d’habitants en 2014, poursuit-il, il faut 200 000 électeurs pour qu’une candidature soit acceptée.

Selon lui, le parrainage citoyen peut être conçu comme alternatif ou complémentaire du parrainage d’élus. « Par exemple, en Slovaquie, une candidature aux élections présidentielles peut être approuvée soit par un minimum de 15 000 citoyens, soit par 15 députés du Conseil National. Le système slovaque paraît ainsi plus ouvert et plus démocratique.« , indique-t-il.

Au Bénin, la présidentielle de 2016 a été la plus ouverte

A en croire Me Ibrahim Salami, les élections présidentielles organisées au Bénin en 2016 ont été des plus ouvertes pour avoir connu la participation de 48 candidatures (44 indépendants, 4 soutenus de partis politiques). Un nombre assez important qui justifie cette réforme que le régime de la rupture a présentée comme une avancée dans l’assainissement de la démocratie béninoise.

Mais l’approche des élections fait resurgir immanquablement le débat sur son opportunité. « Le parrainage d’un candidat au premier tour de l’élection présidentielle par les élus de la République est jugé tantôt anti-démocratique, tantôt régulateur, tantôt légitime« , fait remarquer le privatiste, qui indique que cela représente également un grand enjeu de conquête du pouvoir suprême.

Quid du parrainage dans le contexte actuel où l’opposition est absente ?

Les ambiguïtés juridiques du parrainage

Dans le contexte politique actuel où l’opposition est inexistante au parlement et insignifiante dans les mairies, il y a lieu de s’interroger sur les implications juridico-politiques que peut avoir le parrainage sur le système électoral.

Spécifiquement, les partis qui s’affichent comme étant de l’opposition pourront-ils participer au scrutin présidentiel de 2021 ? Plus généralement, le parrainage tel qu’il est conçu au Bénin renforcera-t-il les acquis démocratiques ou les fragilisera-t-il davantage ?

Pour apporter réponse à ces préoccupations, Me Salami examine les enjeux juridiques du parrainage présidentiel et ses ambiguïtés politiques. Pour lui, dans l’histoire constitutionnelle et politique du Bénin, le parrainage est une innovation qui trouve sa source dans la version modifiée de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 par la loi n° 2019-40 du 07 novembre 2019.

Son nouvel article 44 in fine dispose que le candidat à l’élection présidentielle doit être « parrainé par des élus dans les conditions et suivant les modalités fixées par la loi », précise-t-il. A sa suite, la loi 2019-43 portant Code électoral apporte des précisions relatives au seuil à atteindre pour valider sa candidature et à la qualité du parrain.

Pour ce qui est de la détermination du seuil de parrainage, Me Salami fait remarquer que le nombre d’élus-parrains est fixé par le Code électoral. L’article 132 de la loi 2019-43 dispose en effet : «Nul ne peut être candidat aux fonctions de président de la République ou de vice-président de la République s’il (…) est dûment parrainé par un nombre de députés et/ou de maires correspondant à au moins 10% de l’ensemble des députés et des maires ».

Pour l’agrégé de droit, il découle de ces dispositions que le seuil à atteindre pour être candidat aux élections présidentielles est au moins 10% d’accords de parrainage de l’ensemble des députés et/ou des maires du Bénin. « Il s’agit non d’un collège électoral mais d’un collège de parrainage qui procède de la combinaison des élus nationaux et locaux« , indique-t-il.

Ainsi, suivant la configuration institutionnelle actuelle, on dénombre 160 parrains au total, soit 77 maires et 83 députés. Le tableau de parrainage se décline alors comme suit :
soit par 16 députés,
soit par 16 maires,
soit une combinaison de 16 élus (députés et maires). En conséquence, indique-t-il, les duo aspirants à la magistrature suprême qui n’auront pas reçu les parrainages escomptés, quelle que soit la combinaison, seront éliminés de la course.

A en croire Me Salami Ibrahim, ce type de parrainage est des plus contraignants et restrictifs. « Il est restrictif par sa nature politique (il aurait été plus ouvert s’il était citoyen). Il est plus restrictif par le contexte politique consécutif aux élections législatives exclusives de 2019. Il est encore plus restrictif à cause de la nationalisation des élections communales de 2020 qui n’ont laissé que 6 ou 7 mairies dirigées par le parti «FCBE», seul parti se réclamant de l’opposition ayant pu y participer« , laisse entendre Me Salami dans son analyse.

Selon lui, autant le vote est secret, autant la désignation d’un candidat doit être publique et transparente. « Cela implique que tous les candidats doivent pouvoir bénéficier de façon égalitaire de ce parrainage. De même, le droit de parrainer des élus doit être exercé librement sans aucune contrainte. Ainsi, le parrainage aurait tout son sens dans le système démocratique en tant que moyen de sélection des candidats, puisqu’il est supposé être un indicateur de l’envergure politique et de la représentativité d’un candidat. », expose-t-il.

Les ambiguïtés politiques du parrainage

Pour l’agrégé du droit, l’introduction du parrainage reconfigurera le champ politique en ce qu’il réduira le nombre de candidats. Il peut être aussi instrumentalisé par les élus-parrains. La controverse, rappelle-t-il, a porté sur la liberté de choix des parrains. Sa mise en œuvre comporte des équivoques qui méritent d’être levées à quelques mois des élections, suggère-t-il.

Les ambiguïtés liées à sa portée

Selon Me Ibrahim Salami, la question liée à la liberté de parrainer des élus devient une préoccupation importante. Les membres de la mouvance présidentielle ne s’accordent pas sur le mode opératoire de cette disposition de la loi. Le Président de l’Assemblée nationale, Monsieur Louis VLAVONOU, grande personnalité du parti « Union Progressiste », rappelle-t-il, soutient que  les élus, pour parrainer un candidat, doivent prendre l’avis de leurs partis sans lesquels ils ne peuvent pas donner leurs signatures.

De son côté, l’ancien Bâtonnier Jacques MIGAN, acteur politique et membre influent du bureau politique du parti « Bloc Républicain », contredit le Président de l’Assemblée nationale en affirmant que les maires et députés sont libres de parrainer le candidat de leur choix.

« Connaissant les dynamiques et les pesanteurs imprévisibles qui caractérisent la vie politique béninoise, il n’est pas exclu que les élus-parrains soient eux-même parrainés par des bailleurs qui leur indiqueront les candidats qui bénéficieront de parrainage. », indique-t-il.

Jacques MIGAN

Par ailleurs, la question de la levée du verrou que constitue le parrainage dans le contexte actuel est éminemment politique. Elle ne peut intervenir que dans le cadre d’un processus de dialogue débouchant sur un accord consensuel au sein de la classe politique, indique le professeur Salami, qui fait remarquer qu’aucune initiative dans ce sens n’est pour le moment visible.

Les ambiguïtés liées à sa mise en œuvre

Selon Me Salami, dans certaines circonstances, le parrainage peut devenir contre-productif. « C’est ce qui risque de se produire pour les prochaines élections présidentielles au Bénin en 2021 car le droit de librement parrainer des élus se trouve confisqué par la mouvance« , informe-t-il.

Pour lui, l’on assistera à de multiples pressions qui seront exercées pour dissuader les maires et/ou les députés de parrainer tel ou tel candidat ou des représailles a posteriori à l’encontre de maires ou députés ayant accordé leur parrainage à des candidats de l’opposition.

Le juriste se préoccupe tout de même au cas où un candidat de l’opposition parviendrait à se faire parrainer dans le contexte actuel. « Dès lors, une question légitime ne manquera pas de se poser : que vaudra politiquement et électoralement une opposition qui valide son ticket pour les élections présidentielles grâce à la mouvance ?« , se demande-t-il.

Autant de zones d’ombre que l’homme de droit invite à éclaircir avant l’élection présidentielle de 2021. Mais en attendant que des réponses soient apportées à ces zones d’ombre, Me Ibrahim Salami tient à faire comprendre que parrainer :
1- c’est donner à un candidat l’occasion de participer à un scrutin. Parrainer ne signifie nullement une adhésion au projet de société dudit candidat. Un élu peut donc légalement et politiquement parrainer un candidat qui n’est pas de son parti ;
2- n’empêchera pas un candidat susceptible de gagner l’élection présidentielle de se présenter. Un candidat, même dans les conditions aussi fermées que celles en cours, doit être capable d’avoir seize (16) élus-parrains ;
3-l’opposition ne doit pas attendre du système TALON qu’il lui facilite la tâche en renonçant au parrainage, elle doit, « par tous les moyens admis » en politique béninoise, se donner les moyens d’être présente au scrutin présidentiel de 2021.