Bénin – Retrait du droit de grève : quand la Cour constitutionnelle ouvre la boite de pandore
Selon le Professeur Guillaume DRAGO « la justice constitutionnelle est l’activité de contrôle de la conformité à la constitution des actes qui lui sont subordonnés ainsi que des actions et décisions des pouvoirs publics qui ont une dimension constitutionnelle. »
Au Bénin, ce contrôle s’exerce sur les lois, les actes administratifs et les décisions de justice. En matière de contrôle des lois, le juge constitutionnel, conformément aux articles 117 et 121 de la Constitution, examine la constitutionnalité avant la promulgation de toute loi votée par l’Assemblée nationale.
C’est dans ce cadre que suivant requêtes en dates des 27 et 28 septembre 2011, le Président de la République et le député Louis VLAVONOU ont déféré au contrôle de conformité à la Constitution de la loi n°2011-25 portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité et assimilés en République du Bénin et consacrant le retrait du droit de grève aux douaniers.
Alors qu’en 2006, dans la décision DCC 06-034 du 04 Avril 2006, elle a jugé que le droit de grève proclamé et consacré par la Constitution du 11 décembre 1990 est un droit absolu au profit de l’ensemble des travailleurs dont les citoyens en uniforme des Forces Armées et que « le législateur ordinaire ne pourra porter atteinte à ce droit, mais «ne peut que dans le cadre d’une loi en tracer les limites », en 2011, la Cour constitutionnelle a opéré un revirement de jurisprudence en soutenant que le droit de grève « bien que fondamental » n’est pas absolu. Cette décision de la Cour constitutionnelle appelle quelques observations.
1- Sur le caractère non absolu du droit de grève
La Cour constitutionnelle a jugé que le droit de grève tel que consacré par la constitution du 11 décembre 1990 n’est pas absolu. Pour motiver sa position, elle a rappelé l’article 31 de la Constitution, qui dispose que « l’Etat reconnaît et garantit le droit de grève. Tout travailleur peut défendre, dans les conditions prévues par la loi, ses droits et ses intérêts soit individuellement soit collectivement ou par l’action syndicale. Le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi. »
La Cour a déduit de cet article qu’en disposant que « le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi, le constituant veut affirmer que le droit de grève est un principe à valeur constitutionnelle, mais qu’il a des limites et habilite le législateur à tracer lesdites limites en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la préservation de l’intérêt général auquel la grève est de nature à porter atteinte.»
Pourtant, l’article 31 de la Constitution est sans ambigüité lorsqu’il dispose que « l’Etat reconnaît et garantit le droit de grève ». En utilisant les verbes « reconnaître » et « garantir », le constituant a engagé l’Etat à admettre et à protéger le droit de grève dont il confie la précision des conditions de jouissance au législateur. En d’autres termes, l’existence du droit de grève relève du pouvoir constituant alors que son effectivité appartient au pouvoir législatif. Toutefois, dans son intervention, le législateur doit se garder d’entraver la jouissance dudit droit.
Plus qu’un principe à valeur constitutionnelle, le droit de grève est un droit fondamental. Au regard de la hiérarchie des normes constitutionnelles, le droit de grève a primauté sur les principes à valeur constitutionnelle. Par conséquent, le juge constitutionnel ne peut pas ramener un droit fondamental au rang de principe à valeur constitutionnelle ou d’objectif à valeur constitutionnelle.
Or tel semble être en l’espèce le raisonnement de la Cour lorsqu’elle affirme que le droit de grève est un principe à valeur constitutionnelle au même titre que le principe de la continuité du service public et que les limitations apportées audit droit « peuvent aller jusqu’à l’interdiction dudit droit aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays.»
D’ailleurs, à supposer que le droit de grève soit ramené au rang de principe à valeur constitutionnelle au même titre que le principe de la continuité du service public, la grève ayant vocation à porter atteinte à la continuité dudit service, l’intervention du législateur devrait tendre à concilier ces deux principes. En tant que gardienne du temple constitutionnel, la Cour devrait en principe assurer la primauté des principes constitutionnels sur les principes à valeur constitutionnelle.
C’est d’ailleurs ce qu’elle a retenu s’agissant de la liberté d’association lorsque la Cour a jugé « la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation est constitutionnellement garantie et que si la loi peut en règlementer l’exercice, voire la limiter, en revanche, elle ne saurait en aucun cas la supprimer ou l’annihiler, fût-ce même temporairement ; que les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques sont du domaine de la loi ; que le pouvoir exécutif ou règlementaire ne peut donc s’immiscer dans ce domaine si ce n’est seulement pour préciser les modalités d’application de la loi. » (Décision DCC 17-065 du 16 mars 2017, Décision DCC 16-94 du 27 mai 1994.)
Malheureusement, en cautionnant la suppression par le législateur du droit de grève, la Cour a ouvert la boîte de pandore qui risque de vider l’article 31 de la Constitution de toute sa substance. C’est pourquoi, il n’est pas superflu d’explorer l’incidence de la décision de la Cour.
2- Les conséquences de la décision de la Cour constitutionnelle
Par la décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011, la Cour a autorisé non seulement l’interdiction du droit de grève aux douaniers mais elle donne la possibilité à l’exécutif et au législatif d’interdire la jouissance dudit droit à tout agent de l’Etat dès qu’ils estiment que l’intérêt général ou la continuité du service public s’en trouvent menacés. Il en résulte que la Cour a célébré le requiem du droit de grève sur l’autel de la superpuissance des pouvoirs politiques.
Pourtant, en ce qu’elle est antinomique au fonctionnement normal du service public, l’atteinte à la continuité du service public ne devrait pas justifier l’interdiction d’un droit consacré par la constitution. Il n’y a pas de grève qui n’impacte pas négativement le fonctionnement du service public. C’est justement pour concilier les impératifs de service public avec l’exercice du droit de grève que le constituant a conféré au législateur le pouvoir de réglementer les conditions de jouissance du droit de grève. Loin d’empêcher la mise en œuvre dudit droit, le législateur devrait en principe en faciliter l’effectivité.
Curieusement, la Cour constitutionnelle a estimé que le législateur peut restreindre ledit droit et que ces limitations « peuvent aller jusqu’à l’interdiction dudit droit aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays.»
Par ailleurs, l’invocation d’un avis du Comité de la liberté syndicale de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ne peut expliquer, ni justifier l’option faite par la Haute juridiction. L’OIT n’a aucune convention relative au droit de grève. La Convention N°87 de l’OIT relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical adoptée le 9 juillet 1948 ne traite pas du droit de grève.
Pire, les extraits du 304ème rapport de cette organisation mobilisés en renfort par la Cour ne sont que de simples avis dépourvus de valeur juridique. Ils sont malhabiles à conforter l’argumentaire de la Cour sur la suppression d’un droit protégé par la Constitution.
Mieux, ces avis ne prennent pas en compte les spécificités de chaque Etat. Or l’état des droits fondamentaux est fonction de l’histoire du pays concerné.
Au Bénin, les grévistes sous la Révolution ont été martyrisés. C’est pourquoi, la Constitution a fait du droit de grève non pas un simple produit du Renouveau démocratique, mais l’un des principaux garants. Concrètement, sans l’exercice du droit de grève, il n’y aurait pas eu la conférence nationale. Mieux, les conditions de vie et travail des agents publics en général et l’indépendance du pouvoir judiciaire en particulier seront qu’une chimère. L’exécutif ne concède d’avantages aux travailleurs qu’au prix de hautes luttes.
Le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est le seul instrument juridique supra-national qui aborde la question du droit de grève et de la liberté syndicale. L’article 8 points 1. d), 2 et 3 dudit Pacte prévoient que «1. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à assurer : d) Le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays.
2. Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique.
3. Aucune disposition du présent article ne permet aux Etats parties à la Convention de 1948 de l’Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte ou d’appliquer la loi de façon à porter atteinte aux garanties prévues dans ladite convention.»
Il en résulte que le droit de grève peut faire l’objet de restriction mais ne peut être ni interdit, ni retiré. Procéder autrement s’analyse comme une violation du texte sus-cité.
Enfin, lorsqu’on se réfère à l’évolution du droit de grève à la magistrature, il convient de relever que tant l’ordonnance N°19/GPRD/MJL du 24 janvier 1964 que la loi N°65-5 du 20 avril 1965 portant statut de la magistrature dénient aux magistrats le droit de grève. Il a fallu le Renouveau Démocratique et la résurrection des libertés afin que le droit de grève soit reconnu aux magistrats.
En retirant ce droit, le législateur a consacré un recul démocratique, source d’instabilité socio-politique. En tant que modèle de démocratie, le Bénin doit s’évertuer à donner l’exemple en matière de respect des libertés fondamentales.
Michel ADJAKA
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