Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 55

Les élections présidentielles, depuis la conférence nationale de février 1990, ne se perçoivent et ne se vivent pas de la même façon du sud au nord du Bénin. L’héritage historique national, notamment le décalage entre les moments des premières expositions à l’instruction coloniale, a favorisé une évidente discrimination dans la répartition spatiale des élites à travers le territoire national.

À l’abondance du personnel politique au sud, s’oppose sa rareté au nord, avec une ligne de rupture abstraite à partir du département des Collines. La première conséquence de cet état de fait est la multiplication des ambitions politiques dans le Bénin méridional, alors que se note un réflexe de regroupement dans la partie septentrionale. Je demeure convaincu que la correction, avouons-le, très lente de ce déséquilibre, affectera notablement la cartographie politique du Bénin.

Car aujourd’hui, faire une thèse de doctorat en étant originaire de Ouidah par exemple, ne vous donne pas la même visibilité dans votre petite communauté que faire un Master en étant originaire de Ina. À Ouidah, vous apparaitrez dans le ventre mou d’une liste séculaire foisonnante de docteurs en toutes choses, donc vous passerez forcément inaperçu, alors que pour moins que ça, vous apparaissez comme une étoile à Ségbana.

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Voilà le genre de décalage qui a longtemps façonné les destins politiques chez nous et fera par exemple qu’un instituteur devienne le premier président du Dahomey indépendant, face à une élite plus étincelante. Le général Mathieu Kérékou a-t-il entretenu sciemment cet état de choses pendant son premier long règne, de 1972 à 1990 ? Toujours est-il qu’après les premières 18 années passées au sommet de l’État par l’homme de Kouarfa, la structure de la pyramide est restée intacte dans le nord et les Collines.

Une base très large composée par la population privée d’instruction, et un corps mince et étriqué composé d’une rare élite capable de rivaliser avec le chef. Cette digression à l’entame de cette chronique me permet de vous expliquer pourquoi le banquier, docteur en économie, Yayi, fut présenté avec succès dans le septentrion comme une étoile intellectuelle, alors que dans le Bénin méridional, ce profil intellectuel n’eût pas même attiré l’attention des populations de Cadjèhoun.

Il y a donc, dans une certaine réalité, plusieurs Bénin et la fabrique du leader politique obéit à des mécanismes différents selon qu’on soit au sud ou au nord. Mon souhait, c’est que les politiques publiques et les investissements, dans les prochaines décennies, nous aident à sortir de ce décalage qui, si rien n’est fait, nous conduira un jour dans l’impasse.

Je sais que le statut quo continue, pour le moment, de profiter à ceux qui, sans grand effort, veulent continuer de briller comme des étoiles dans un ciel noir plutôt que de favoriser l’apparition pour toute leur communauté, des rayons de soleil qui, certainement, les auraient rendus invisibles. Notre candidat, en 2006, brillait seul dans le firmament de ce vaste fief politique dont il héritait. Et nous n’avions qu’à nous en réjouir.

Mais le fief dont il s’agissait avait une particularité. Il se gère très péniblement si vous ne détenez pas les manettes du pouvoir. Tous les agents recenseurs que déployait régulièrement la Cena à la veille des élections pour l’établissement des listes électorales, savent bien qu’il est plus facile de motiver le pêcheur de Ganvié à aller se faire inscrire, que de convaincre le bouvier peulh de Kalalé à abandonner son troupeau pour venir s’inscrire.

Et cela se comprend bien quand on sait par exemple que sur les 26 candidats en lice pour l’élection présidentielle de 2006, seulement deux étaient originaires de ce vaste septentrion. Yayi Boni et l’anecdotique Antoine Dayori.

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Les 24 autres candidats étant concentrés dans le sud, le maillage politique y est plus fin et les électeurs sont plus intensément soumis à l’information électorale. Lorsque 24 candidats ont intérêt à gonfler une liste électorale, l’effet est toujours plus spectaculaire lorsqu’un seul candidat, disons-le ainsi pour être plus sérieux, doit motiver plus de la moitié de la superficie totale du pays à aller s’inscrire, alors qu’il ne gère pas encore l’appareil d’Etat.

Car il faut dire que Kérékou faisait preuve d’une telle indifférence qu’il était impossible de décrypter ses motivations réelles. Mais j’ai pu vivre une illustration du très peu d’intérêt des populations des zones rurales du septentrion pour l’information électorale.

C’était en 2001. La campagne électorale battait son plein et j’étais, en tant que journaliste -reporter, commis pour suivre le candidat le plus en vue, le général Mathieu Kérékou, dans une longue tournée électorale qui nous conduisit dans la totalité des 77 communes du Bénin.

Je garde encore aujourd’hui, tel un trophée sur mon mur Facebook, une photo souvenir de ces moments qui marquèrent profondément ma lecture de certaines réalités du pays. Nous venions de finir un meeting à Nikki où le général Mathieu Kérékou, intervenant le dernier comme à son habitude, répétait comme unique promesse électorale, sa célèbre incantation « Ce qui est dit est dit, ce qui est écrit est écrit « . À cette phrase, les foules devenaient hystériques. Un grand mystère du discours électoral !

Les populations préféraient cette phrase qu’elles ne comprenaient pas, à la longue liste des doléances présentées par le sous-préfet de Nikki. J’imagine d’ici, la frustration de tous ces candidats qui investissent une fortune dans la conception et la rédaction d’un vrai projet de société. En majorité, les populations n’en ont cure.

Et il vaut même mieux parfois se taire que de se lancer dans de grandes promesses chiffrées qui, très rapidement, peuvent plomber votre campagne et même toute votre carrière politique, en vous faisant passer pour un démagogue. Je suppose que l’histoire des 30 mille emplois du professeur Albert Tévoédjrè demeure encore vivace dans certains esprits.

Quand plus tard, en 2016, j’entendis un autre candidat, Abdoulaye Bio Tchané, entrer en campagne avec des promesses chiffrées, je me suis juste dit: « il va se griller ». J’ai eu la grâce donc, entre 2001 et 2006, de suivre de très près deux campagnes présidentielles victorieuses, et je peux dire ceci à tout prétendant : cessez de faire des promesses abstraites. Personne ne vous prendra au sérieux.

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Car l’électeur que plus d’un demi-siècle d’échecs des politiques publiques a laissé dans la pauvreté, l’analphabétisme et l’ignorance, ne réfléchit pas comme vous. Il veut juste savoir s’il y a un point commun entre lui et vous. Il est plus pratique que vous ne le croyez.

À peine donc le meeting de Nikki terminé, notre cortège mit le cap plus au nord. Au bout d’un parcours presque intergalactique sur cette piste poussiéreuse, nous debouchâmes sur quelque chose qui me parut être une clairière.

C’était la première fois que je mettais pied à Kalalé. La petite foule assemblée sous la rangée d’acacias dans la cour de l’école primaire publique, s’égaya aussitôt. Mais ce qui me laissa sans voix, c’est cette préoccupation d’un berger fulani qui voulait savoir la raison de la mobilisation.

Quelqu’un lui expliqua, avec force mouvements de mains, comme s’il s’adressait à un sourd, que l’objectif de la rencontre c’était pour faire élire le président Kérékou. Le malheureux Fulani n’en fut que plus bouleversé. Pour lui en effet, président avait toujours signifié Kérékou, et Kérékou avait toujours signifié président.

D’ailleurs, il y avait encore, bien peints sur les bâtiments de l’école, les portraits de Engels, la barbe interminable de Karl Marx, le drapeau jaune frappé d’une étoile rouge, drapeau du Parti de la révolution populaire du Bénin, PRPB, et, cerise sur le gâteau, un magnifique portrait du grand camarade de lutte, Mathieu Kérékou.

Nous étions pourtant en 2001 et un président nommé Nicéphore Soglo avait déjà pourtant régné de 1991 à 1996. Ce Fulani en tunique bleu indigo, les bras en croix sur son bâton de berger, ne s’en revenait pas d’apprendre autant de choses qu’il ignorait. Voilà donc quelques aspects de ce Bénin que vous regardiez peut-être de façon superficielle. Mais qui, en réalité, est multiple, complexe et contradictoire.

Réussir à le diriger et à bien le diriger, c’est réussir à être la sommation de toutes ses contradictions, c’est réussir à épouser ses faiblesses sans vouloir lui imposer des thérapies trop violentes. Un chien sans muselière, surpris par une injection douloureuse, mordra par reflex le premier bras qui s’offre à sa mâchoire. Fut-il celui de son maître.