Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi: Mémoire du chaudron épisode 67
Je répartis du Novotel sans savoir exactement s’il fallait plaindre Charles Toko, ou ricaner par rapport à ce qui lui arrivait et qui m’arrivait par ricochet. Car, nous nous retrouvions dans la surprenante situation de gens qui se retrouvaient locataires d’une bâtisse qu’ils avaient construite brique après brique, sur des semaines, sur des mois, sur des années. Non, me disais-je, cette équipe de travail du Novotel n’avait pas pu être mise en place sans son avis.
Et s’il ne fit rien pour en prendre le leadership, ce qui aurait été bien mérité, qu’espérait-il ? Que ceux qui venaient pour rendre « enfin » professionnelle la communication autour du candidat Yayi, lui donnent spontanément la première place qu’il méritait si bien? Quel fut donc son schéma de réflexion, et pourquoi déprimait-il de la sorte ? À force de tourner le sujet dans mon esprit, je finis par en tirer une conclusion stable : Charles méritait bien ce qui lui arrivait. Et ce droit d’aînesse qu’il venait de remettre sans même exiger, comme Esaü le patriarche biblique, un plat de lentilles, lui échappait pour de bon.
L’histoire, hélas, ne me donna pas tort. Et, à moins qu’il change de façon de lire ou d’interpréter certains signaux dans ses rapports avec les autres, il pourrait revivre plusieurs fois, avant la fin de sa carrière publique, des incompréhensions comme celles du Novotel. L’énergie, l’engagement et la fougue sont parfois si peu de chose dans l’établissement de votre leadership sur un groupe humain. Le recul, la lucidité et la réflexion froide vous installent plus durablement aux manettes. Il en est de même tant dans les combats ordinaires de la vie, qu’en politique.
Il y avait mieux que des lentilles au Novotel. Les quelques témoignages que je reçus, en croisant certains directeurs de publication de journaux dans la cour de l’hôtel, m’en convainquirent. Non seulement les têtes de pont de cette équipe de communication avaient gracieusement des chambres dans cet hôtel qui, en 2006, était ce qu’il y avait de plus huppé dans le pays, mais ils semblaient aussi avoir obtenu de la part de « Patrice », par le biais de son bras opérationnel Lambert Koty, un budget illimité pour développer tous leurs fantasmes communicationnels. Je dis bien »fantasmes », parce que, pour moi, tout avait été déjà fait.
Le logo, et surtout le cauris identificateur du candidat, avaient été déjà validés, souvenez-vous, au cours d’une séance à Bar Tito, à laquelle avaient pris activement part « Patrice » en personne, Saca Lafia, Charles Toko, Claude Olory-Togbé, Didier Aplogan et moi. Les supports musicaux de notre campagne avaient déjà été mis en circulation.
Quelle équipe de « professionnels » de la communication avait inspiré à GG Lapino son titre qui tua la campagne de nos challengers ? Bref, pour moi, tout était fait. Mais le Novotel était illustrateur d’une vérité essentielle dans les milieux d’influence. La façon dont on vous perçoit est plus importante que ce que vous êtes. Savoir faire des coudes, bander les muscles, se hérisser la crinière, montrer des crocs en rugissant, sourire alors que vous brûlez de rage, pleurer alors qu’au plus profond de votre esprit vous riez, sont des outils de survie. Paraître sans jamais être vous fera gravir les échelons et vous ouvrira plus rapidement les portes, que toute autre leçon d’éthique et de morale.
Je repartis du Novotel avec une résolution définitive. Je voulais tourner dos à ce monde de communicateurs plus ou moins légitimes. J’avais la satisfaction d’avoir déjà, en la matière, donné ce que je pouvais. Je voulais désormais me retrouver ailleurs. Je voulais désormais descendre sur le terrain, comme je le dis en 2001, derrière le général Mathieu Kérékou.
Parcourir à nouveau, pendant deux semaines, le Bénin dans ses différences, dans sa splendeur et dans sa profondeur. Si j’avais insisté, l’équipe du Novotel aurait sans doute fini par me concéder une place avec certainement des incidences financières. Mais ce n’était pas le but de mon engagement aux côtés du candidat Boni Yayi. Quel était d’ailleurs mon but dans cette aventure ? Je ne le savais même pas. Étrange ! Je me sentais heureux de faire ce combat, et cela m’était largement gratifiant. Je ressentais dans cette aventure un bien-être que l’argent n’aurait pas pu me donner.
Je connaissais la frivolité du bonheur. Je savais par exemple que le plaisir que me procurait dans mon enfance une boîte de sardines déjà vidée de son contenu et que je refusais de laisser aller à la poubelle en essayant d’y débusquer la moindre trace d’huile, la moindre pellicule de poisson, ce bonheur, disais-je, était parti avec le temps. Pareil pour cette exaltation des papilles que me procurait plus tard, dans ma vie d’étudiant, un bol de gari immergé, sans sucre ni autre accompagnant.
Des bonheurs que l’argent, aujourd’hui, ne saurait me procurer. J’ai donc appris à chercher mon bien-être parfois dans des choses simples et non convenues, dans des lieux non prévisibles. Je voulais donc fuir cette guéguerre du Novotel et repartir sur les chemins du Bénin, loin des paillettes et du pécule.
Un peu après 20 heures ce jeudi soir, je me pointai au domicile de Yayi à Cadjèhoun. Je voulais lui faire le point de la situation et lui dire mon option de descendre avec lui sur le terrain dès le lendemain, vendredi, jour d’ouverture de la campagne électorale officielle.
La maison était calme. Le maître des lieux était à l’étage. Il était occupé, m’avait-on dit. Après une attente qui me parut anormalement longue, je me résolus à rentrer chez moi. De toute façon, je n’avais pas besoin de permission particulière pour me glisser dans son convoi dès le lendemain. Mais alors que je franchissais le portillon de la maison, on m’annonça qu’il me demandait de monter le voir à l’étage. Je le trouvai seul. Je lui fis un compte-rendu de ma descente sur Abomey, et surtout des différents meetings électoraux auxquels j’avais assisté.
Je lui fis part de mon inconfort face à la situation que je venais de trouver au Novotel. Il ne parut pas s’en émouvoir. Je compris, très vite, que je ne lui apprenais rien. « Toi, tu vas me suivre sur le terrain », dit-il, comme s’il avait lu dans mon esprit.
Je le quittai, soulagé. Une autre ambiance commencera demain. Mais les Béninois ne se doutaient pas, cette nuit-là, que le processus électoral était gravement menacé. Le gouvernement du général Mathieu Kérékou n’avait toujours pas débloqué les fonds réclamés par la Commission électorale nationale autonome, CENA, pour l’organisation de l’élection présidentielle. Les voyants étaient au rouge.
Le magistrat Nouatin, président de la CENA, avait le dos au mur. Il décida de tenter le tout pour le tout pour sauver les meubles et éviter le chaos qu’espérait le lobby favorable à un maintien de Kérékou au pouvoir. Le président de la CENA avait besoin d’argent pour débloquer le processus électoral. Il demanda à rencontrer Patrice Talon …en toute discrétion.
Tiburce Adagbe
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