Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 71

À Dassa, dans les Collines, nous étions en terrain conquis. En ce dimanche, troisième jour de la campagne électorale officielle, notre machine semblait avoir définitivement décollé. La longue procession de voitures et de motocyclistes qui nous accompagna dans la cité des _ »omodjagoun »_ en témoignait.

Le comité d’accueil nous attendait là, au passage à niveau, depuis l’aube, nous informèrent les organisateurs. Sous les hourras et les vivats des populations, notre cortège se fraya péniblement un chemin jusqu’à la place _ »Egbakoku »_ déjà noire de monde en cette mi-journée.

Dassa avait fait une union sacrée autour du candidat Yayi, malgré la voix dissonante de son maire d’alors qui battait pavillon pour Houngbédji. Nicaise Fagnon, Joseph Suru Attin, Pierre Olodo, André Dassoundo, pour ne citer que ceux-là, avaient mis la main à la pâte.

Les relations entre Yayi Boni et Joseph Suru Attin avaient pourtant connu leurs hauts et leurs bas. Cadre de la Boad, Joseph Suru Attin avait été appelé au gouvernement par le général Mathieu Kérékou, au prestigieux et très envié poste de ministre des Travaux publics et des Transports. Joseph Attin, qui suspectait déjà sans doute avant beaucoup de gens, les ambitions politiques de son patron Yayi, se retrouvait entre le marteau de la présence médiatique de plus en plus envahissante de celui-ci au Bénin, et l’enclume des exigences de continuité politique du régime auquel il appartenait.

Certains coups d’éclat du président de la Boad, en visite sur les chantiers routiers Cotonou – Porto Novo et Savalou – Djougou, et qui contribuèrent à bâtir une image d’homme d’État de Yayi, le furent au détriment de son administré Attin qui, sans jamais se montrer ouvertement hostile, savait glisser des grains de sable dans certaines visites de chantiers très théâtrales du président de la Boad. Et puis, il y avait de plus en plus ces rumeurs d’enrichissement qui alimentaient les fantasmes de beaucoup de Béninois à l’époque, chaque fois qu’était évoqué le nom de Joseph Attin.

Ces informations que Yayi ne prenait pas à la légère augmentaient sa susceptibilité vis-à-vis de celui qui paraissait comme l’homme le plus en vue dans les Collines. La petite bretelle de bitume qu’il obtint vers son village Kèrè, à quelques kilomètres au nord de la ville de Dassa, renforça sa notoriété dans la zone, et par là-même, la méfiance de Yayi qui ne prenait pas ces paramètres à la légère. Car, si malgré ses airs d’éternel innocent, Attin devrait avoir des ambitions politiques, il avait de quoi, à défaut de se faire remarquer au plan national, être une vraie équation dans les Collines, et surtout dans le milieu évangélique, deux terrains qu’il partagerait alors avec Yayi.

Mais, Attin n’exprima finalement aucune prétention politique, et son départ du gouvernement fut sans doute un grand soulagement pour Yayi, même si l’identité de son successeur à ce poste, Ahmed Akobi, relança un nouveau type de supputations et même de paranoïa.

Dassa se mobilisa donc dans une sorte d’union sacrée. On reconnaissait aux cadres de cette ville un certain éveil et une appétence face à la chose politique depuis la génération des idéologues Ogouma Ifèdé Simon, Gédéon Dassoundo et Adjo Boco Ignace dont beaucoup de cadres de Dassa revendiqueront l’héritage politique. Et le plus vibrionnant de ces revendicateurs de l’héritage de Adjo Boco est sans doute un de ses neveux, ou qui s’en réclame fièrement tel, en l’occurrence Fagnon Nicaise.

Ah oui, Fagnon Nicaise ! C’était pratiquement impossible de ne pas remarquer l’activisme un peu débridé de ce yayiste des premières heures qui m’agaça furieusement un après-midi au siège de campagne de Bar Tito, en tapant avec nervosité la porte de notre bureau, au rez-de-chaussée. Nous étions, il est vrai, habitués à ce genre de supplices, recevant à notre corps défendant, tout visiteur qui, souvent par étourderie, venait toquer à notre porte.

Mais, ce jour-là, l’assurance et l’excitation de celui qui se présentait devant moi et qui interrompait ma discussion avec un directeur de publication, me firent le plus mauvais effet. En plus, il avait l’air pressé. Il venait, disait-il s’approvisionner en posters et calendriers à l’effigie de Yayi, afin de poursuivre sa route sur Dassa. Il venait, disait-il pêle-mêle, de la part de l’imprimeur Jean Djossou, et de Yayi Boni. Plus il avait du mal à obtenir satisfaction, plus il détaillait avec une pointe de suffisance sa présentation.

Il s’appelait donc Nicaise Fagnon, il travaillait à la Boad à Lomé et il abattait un travail immense en faveur de Yayi dans tout le département des Collines et même au-delà. Ces précisions ne changeaient pas l’effet qu’il me faisait. _ »Tu peux aller au diable avec ta Boad »_, pensai-je silencieusement. Et puis, c’était anormal dans mon esprit que l’imprimeur Jean Djossou l’envoyât chercher des posters et des calendriers à Bar Tito alors qu’il en était, jusqu’à ce moment, un des principaux producteurs, n’acceptant exceptionnellement de faire ses livraisons qu’au domicile de Yayi à Cadjèhoun. Autrement, il fallait se rendre dans ses ateliers à Akpakpa pour s’approvisionner.

Je ne me rappelle plus comment prit fin ce premier contact plutôt tiède entre Nicaise Fagnon et moi. Ce qui est sûr, je le revis plusieurs fois sur son terrain de prédilection, le sud et le sud-ouest du département des Collines, où il se battait avec beaucoup de vaillance. Il n’y avait évidemment pas de vraies résistances dans la zone, à moins de considérer la fureur anti-yayiste de Gaston Dossouhoui à Kpanhouignan comme une.

Gaston Dossouhoui était en effet un des lieutenants politiques du candidat Lazare Sèhouéto qu’il essayait, avec une certaine audace, de faire adopter par ses frères mahi de Kpanhouignan. Et, il n’y allait pas de main morte, présentant avec gouaille Yayi comme un alcoolique de renom. Les attaques étaient plutôt féroces, même si à l’arrivée, elles ne produisirent que peu d’effet. D’ailleurs, Gaston Dossouhoui rejoignit la troupe au second tour de l’élection présidentielle. Mais, quand un an plus tard, ce ministre de l’Agriculture au teint noir très assumé et aux yeux injectés de sang, se fit sèchement débarquer du premier gouvernement de l’ère du Changement, je compris qu’il y avait certes les fameux _ »hélicoverpa »_ qui avaient sans doute rongé son fauteuil ministériel, mais aussi et surtout les réminiscence du traitement qu’il réserva au candidat Yayi et sur lequel quelqu’un eut l’idée de rafraîchir la mémoire au tout-puissant président de la République nouvellement élu, Boni Yayi.

Notre entrée triomphale à Dassa en ce dimanche, troisième jour de campagne électorale, réveilla en moi une foule de souvenirs de mon enfance. Car, Dassa, c’était chez ma mère. J’ai fait des séjours réguliers chez mes tantes et oncles maternels, dans les villages de _ »Kpingni »_ et de _ »Vèdji »_ où un mélange culturel mahi et idaasha impacta mon esprit.

J’aimais particulièrement cette affection dont j’étais entouré, même si je trouvais certaines plaisanteries séculaires très peu à mon goût. Ma grand-mère maternelle qui avait un art inimitable de faire de l’humour sans vraiment en donner l’air, savait très bien que l’appellation satirique _ »akpo gna guidi »_ par laquelle les Mahis, pendant des siècles, savaient ironiser sur les Fons, capables, disaient-ils, de prétendre prendre une douche sans que la moindre trace d’eau n’en atteste, ni sur leur torse, ni au sol, n’était pas ce que j’aimais le plus entendre quand elle me passait avec beaucoup de tendresse, la main dans les cheveux.

Je ne me lassais jamais de contempler la beauté de Dassa, cette ville dont mille cartes postales ne pourraient rendre compte de toute la poésie. Je ne ratais pas l’occasion du pèlerinage marial annuel pour m’y rendre. Le diocèse de Parakou mettait alors à la disposition des fidèles catholiques de la ville, des camions de toutes sortes dans lesquels nous nous embarquions, tel du bétail, en direction de Dassa, pour la célébration de _ »Notre-Dame d’Arigbo »_. Mais, pour dire vrai, je n’en avais cure d’elle. J’y allais plutôt célébrer ce paysage majestueux, ces collines fumantes au lever du jour, cette cité au magnétisme indéfinissable. Le voyage était souvent éprouvant, mais j’étais heureux de retrouver mes cousins maternels à _ »Vèdji »_, à deux cents mètres en face de la grotte sacrée ou de circuler toute une nuit dans cette ville qui, à cette occasion, ne s’endormait pas jusqu’au petit matin.
Un de mes oncles maternels y tenait l’échoppe la plus réputée, c’était le très connu _ »Petit bazar »_. Son hospitalité à l’occasion du pèlerinage marial était légendaire à tel point que ses appartements privés se transformaient en dortoirs publics.

Cette célébration religieuse annuelle était mon rendez-vous privilégié avec mes parents maternels dont la ferveur catholique était à toute épreuve. Mais moi, contrairement à tous mes frères et à toutes mes sœurs, je ne réussis jamais à faire mon catéchisme jusqu’au baptême, au grand désespoir de _ »dada Claire »_, la maîtresse catéchiste qui, à Yéboubéri, se donnait un mal immense à me maintenir à ses cours des samedis soir, quand un match de football était annoncé quelque part à la ronde. On réussissait quelques fois à m’attirer dans la grande cathédrale _ »Saint Pierre et Saint Paul »_ de Parakou. Mais, pour m’éviter la frustration que me donnait la vue de tous ces enfants de mon âge, mieux habillés que moi, et surtout de ceux qui avaient l’insigne privilège d’être _ »Enfants de choeur »_, je concentrais mon attention sur l’immense orgue dont les vibrations me retournaient désagréablement les intestins.

Ce meeting électoral à Dassa qui était sur le point de démarrer avait donc pour moi une toute autre dimension. Je renouais avec une partie de la poésie de mon enfance. J’étais chez ma mère.

Tiburce Adagbe