Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 79

Notre nuit fut brève. Yayi qui avait certainement passé la moitié de ce précieux moment de récupération, au téléphone, s’était réveillé d’humeur maussade. Il était sur pieds avant tout le monde et me fit bientôt chercher dans la vaste demeure dont nous maitrisions à peine le plan de circulation. Me tirer du sommeil n’est pas la meilleure chose à faire quand on veut obtenir un résultat de moi. Qu’à cela ne tienne ! Quand je le retrouvai à l’étage, dans cette chambre spacieuse, je le trouvai dans tous ses états. Il râlait et pestait parce qu’aucune de ses images n’était encore passée sur la télévision nationale après quatre jours de folle campagne électorale.

En vérité, son indignation me laissait bien froid. Je ne le suivais ni comme journaliste, ni comme représentant des « communicateurs du Novotel ». J’avais aperçu de temps en temps un cadreur, en activité lors des meetings, mais je n’en savais pas plus. Et puis Yves Trougnin, le photographe qui nous suivait depuis le début de la campagne, n’avait pas passé la nuit avec nous.

Lui, je le connaissais déjà assez bien parce qu’il était un homme de main de Charles Toko. C’était un gaillard jovial qui avait toujours une confidence à me faire. Originaire de la commune de Zè, j’ai pu mesurer la profondeur de son engagement politique tout au long de cette longue période d’incertitude qui précéda le choix libérateur de Valentin Houdé de soutenir la candidature de Yayi Boni. Le seul souvenir de ce coup de fil hystérique qu’il me passa depuis Zè ce jour-là, alors qu’au domicile du président Apithy à Porto Novo, nous étions en pleine cérémonie de présentation du projet de société de Yayi, me rapprochait résolument de lui.

Je finis par expliquer à Yayi que je n’avais gardé aucun contact avec les gens du Novotel. Je promis cependant faire de mon mieux pour comprendre ce qui se passait. En apercevant le blanc de son œil, je comprenais bien qu’il enrageait de ne pas me voir m’affoler, courir dans tous les sens, régler séance tenante son problème. Mais, je n’avais, hélas, aucune solution immédiate et je n’entendais aucunement me stresser pour un travail qui était clairement inscrit au cahier de charges d’autres personnes et pour lequel ils avaient quotidiennement le gîte, le couvert et le fric.

Yayi finit par changer de sujet, non pas sans avoir dit sa certitude qu’un complot était forcément ourdi contre sa personne à la télévision nationale.

Ah oui la télévision nationale ! C’était absolument l’endroit où il fallait avoir les « bons amis » si on voulait faire carrière en politique. Tous les ministres, à peine nommés, s’y précipitaient pour choisir attachés de presse et chargés de communication. Celui qui était le plus attaché à la personne de Yayi là-bas, c’était Justin Roger Migan dont le jeune frère Gérard Migan fut attaché de presse du président Nicéphore Soglo et dont Yayi était alors l’un des conseillers techniques.

Quand Yayi devint président de la Banque ouest africaine de développement, Boad, c’était Justin Migan qui était en position de reportage-télé sur toutes les activités que son institution menait à Cotonou. Puis, progressivement, pour des raisons sans doute internes à la télévision nationale et qui ne doivent pas être loin de notre habituelle béninoiserie, je ne vis plus Justin Roger Migan derrière lui.

Je me rappelle alors d’un petit clash que j’eus avec un des reporters que l’administration de la télévision nationale envoyait désormais sur les reportages de Yayi dont les ambitions politiques ne faisaient plus l’objet d’aucun doute. C’était en début d’année 2005 et Yayi trouva, comme à son habitude, un prétexte pour faire une tournée complète de la région de l’Atacora, avec pour motif officiel, la visite des travaux financés par la Boad. En lieu et place de l’habituel Justin Migan, ce fut Edouard Dédègbé qui accompagna le président de la Boad. Après la seule journée règlementaire pour la durée de la tournée, Edouard Dédègbé demanda à rejoindre Cotonou. Le problème était que Yayi, à force d’intercaler les activités officielles par des visites officieuses tantôt au vieux Adolphe Biaou, tantôt à l’imam central de Natitingou qui était le président de la communauté islamique du Bénin, avait fini par accuser du retard sur son planning et devrait poursuivre sa tournée officielle pendant une demi-journée encore.

Mais, ce matin là, sur le parking de l’hôtel « Tata Somba », je négociai en vain avec Édouard Dédègbé pour qu’il retarde son départ sur Cotonou de quelques petites heures. Paulin Dossa qui m’était venu en renfort n’y put rien. « Ne me mêlez pas à vos histoires politiques », avait répondu Édouard dont la subite inflexibilité contrastait avec la douceur de tempérament dont il avait fait preuve durant toute la première journée. Impuissant, je retournai faire le point de la situation à Yayi dans sa chambre. Il me demanda de le lui appeler. Mais, quand je revins sur le parking, Edouard et toute son équipe de reportage n’y était plus. Ils étaient partis. Sans un mot de courtoisie pour le président de la Banque ouest africaine de développement.

C’était à peu près cela les rapports entre Yayi et la télévision nationale en ce temps-là. J’y connaissais d’ailleurs quelqu’un qui exprimait ouvertement de l’allergie à l’évocation de son nom. C’était Philippe N’Seck dont j’avais fini par détester, en retour, le cuir chevelu en fibres de kapok et qui rendait impossible l’estimation visuelle de son âge.

Quand plus tard, nommé conseiller technique à la communication du Président de la République, on proposa à ma validation Édouard Dédègbé comme reporter permanent du
Président de la République, je donnai mon quitus en le fixant droit dans les yeux. Quelques mois seulement passés à la présidence de la République m’avaient déjà enseigné une précieuse leçon : réduire autant que faire se peut le nombre de ses combats. J’eus d’ailleurs, par la suite, d’excellentes relations de fraternité et de travail avec lui et je n’évoquai plus jamais l’épisode gênant de Natitingou. J’en reparle enfin dans cette chronique et je vous vois balancer la tête en pensant au sort frustrant du pauvre Justin Roger Migan. « Ah ! cette sacrée Maman Glessougbé », soupireront même mes lecteurs les plus assidus.

Je redescendis de la chambre de Yayi, la tête dans les souvenirs et le cœur inondé de ressentiments. Le jour, dehors, s’était levé et les premiers rayons du soleil s’invitaient dans le grand séjour en bas. Je sortis dans la cour admirablement pavée. Les chauffeurs, lève-tôt comme d’habitude, lavaient les voitures. Je m’avançai vers un petit hangar en béton, au fond, en face du bâtiment principal. Quelques visiteurs y attendaient le réveil du candidat. Je saluai Soumanou Toléba qui a des gestes de politesse spontanés, même à l’endroit de ses interlocuteurs les plus jeunes. C’était lui le coordonnateur de la campagne électorale de notre candidat dans la Donga. Bras droit de Ahamed Akobi, il avait décroché ce poste grâce à l’appui de ce dernier, face à Daouda Takpara que proposait Wallis Zoumarou. Soumanou Toléba est « lokpa », l’ethnie majoritaire dans la Donga. Et ce n’est pas un détail inutile.

La quasi totalité du personnel politique de la Donga était mobilisée derrière le candidat Yayi. Nassam Dominique, Garba Fouléra dont nous occupions la maison, Nouhoum Assouma, Alaza Lamatou qui migra du Madep, Affo Safiou, Zachari Yao, Nouhoum Bida à l’époque président de l’association des étudiants de la Donga. Les voix discordantes étaient rares. Il s’agissait essentiellement du maire de Djougou et d’une partie de son conseil communal, de Soumanou Djemba qui militait pour le candidat Bruno Amoussou, Assan Seibou qui battait pavillon Idji Kolawolé, et j’en oublie de moins importants.

La journée s’annonce une fois encore chargée. Nous sommes attendus au palais du roi « Kpetoni ». Nous avons ensuite des meetings dans la commune de Ouaké. Le meeting est prévu le début de l’après-midi midi. Le soir, nous passerons la nuit à Natitingou.

Tiburce Adagbe