Bénin- Retrait du droit de grève : l’analyse du magistrat Michel Adjaka
Décision DCC 18-141 du 28 juin 2018, quand la cour constitutionnelle invalide ses propres décisions.
Saisie d’une requête en interprétation et en réexamen des décisions DCC 18-001 du 18 janvier 2018, 18-003 du 22 janvier 2018 et 18-004 du 23 janvier 2018, la Cour constitutionnelle, suivant décision DCC 18-141 du 28 juin 2018, a décidé :
«Article 1er : La requête de Monsieur Souliou Ismaël ADJOUNVI et Madame Juliette KAYASSI est irrecevable ;
Article 2 : La Cour se prononce d’office ;
Article 3 : Sont conformes à la constitution :
-l’article 1er de la loi N°2017-43 modifiant et complétant la loi N°2015-18 du 13 juillet 2017 portant statut général de la Fonction publique votée par l’Assemblée nationale le 28 décembre 2017,
-l’article 20 de la loi N°2018-01 portant statut de la magistrature en République du Bénin, adoptée par l’Assemblée nationale le 4 janvier 2018 ;
-l’article 71 de la loi N°2017-42 portant statut du personnel de la police républicaine adoptée par l’Assemblée nationale le 28 décembre 2017 ;
Article 4 : Sont conformes à la constitution, les articles 402 et 408 de la loi N°2017-43 modifiant et complétant la loi N°2015-18 du 13 juillet 2017 portant statut général de la Fonction publique votée par l’Assemblée nationale le 28 décembre 2017;
Article 5 : La présente décision se substitue, dans les dispositions évoquées, aux décisions DCC 18-001 du 18 janvier 2018, 18-003 du 22 janvier 2018 et 18-004 du 23 janvier 2018» ;
Il importe en l’espèce de relever que la Cour constitutionnelle a été saisie d’une requête en interprétation et en réexamen des décisions DCC 18-001 du 18 janvier 2018, 18-003 du 22 janvier 2018 et 18-004 du 23 janvier 2018 et non du contrôle de conformité à la constitution de la loi N°2017-43 modifiant et complétant la loi N°2015-18 du 13 juillet 2017 portant statut général de la Fonction publique, de la loi N°2028-01 portant statut de la magistrature en République du Benin ou de la loi N°2017-42 portant statut du personnel de la police républicaine.
[su_heading size= »17″]A lire aussi : Retrait du droit de grève : la CDD-Bénin appelle les Béninois à l’unité et à la résistance [/su_heading]
Vidant sa saisine, la Cour a déclaré la requête de Monsieur Souliou Ismaël ADJOUNVI et Madame Juliette KAYASSI irrecevable au motif que les décisions objet de recours en interprétation ne sont pas obscures. Toutefois, elle a précisé que «lorsqu’une requête élève à la connaissance de la Cour une situation de violation d’un droit fondamental ou de remise en cause d’un impératif ou d’un principe à valeur constitutionnelle, la Cour peut se prononcer d’office; qu’en l’espèce la requête vise à obtenir le rétablissement et la réalisation de l’impératif constitutionnel que constitue le fonctionnement continu des services stratégiques et essentiels à la vie, à la santé, à la sécurité, à la justice, à la défense et à la mobilisation des ressources publiques indispensables à l’existence de l’État et à la construction de la Nation» ;
Or, la saisine d’office est régie par l’article 121, alinéa 2 de la constitution. Ledit article dispose que la Cour «se prononce d’office sur la constitutionnalité des lois et sur tout texte réglementaire censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques.»
Il en résulte que la saisine d’office n’a lieu que lorsqu’une loi ou un règlement déféré à la Cour porte atteinte aux droits fondamentaux et aux libertés publiques. La constitution ne vise pas la «remise en cause d’un impératif ou d’un principe à valeur constitutionnelle» comme critère de saisine d’office. Cette nouvelle condition est une extension du champ d’application de l’article 121, alinéa 2 de la constitution. En clair, il s’agit d’une violation de la lettre et de l’esprit dudit article, d’autant plus que les requérants n’ont soumis au contrôle de la Cour aucune loi, aucun acte réglementaire censé porter atteinte aux droits humains et aux libertés publiques.
Mieux, le droit de grève euthanasié sur l’autel de la continuité du service public est un droit fondamental consacré et garanti par les articles 8 du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et 31 de la constitution du 11 décembre 1990. Le juge constitutionnel ayant vocation à assurer la suprématie de la constitution sur toute autre norme, en principe, lorsqu’un principe à valeur constitutionnel est en conflit avec un droit constitutionnel, sa religion doit l’incliner en faveur de la protection de la norme constitutionnelle. Malheureusement, la Cour constitutionnelle, sixième mandature, en a autrement décidé.
En dehors de la consécration de la suprématie d’un principe à valeur constitutionnelle sur un droit constitutionnel, la démarche de la Cour soulève une véritable équation de cohérence.
En effet, il est insolite qu’un juge déclare une requête irrecevable, se prononce d’office et sous prétexte d’une interprétation, invalide ses propres décisions et leur substitue sa lecture jadis rejetée.
Enfin, contrairement à l’analyse de la Cour, la requête en cause ne vise pas «à obtenir le rétablissement et la réalisation de l’impératif constitutionnel», mais à invalider un droit constitutionnel reconnu par une décision ayant autorité de chose jugée.
Désormais, les décisions de la Cour sont sans recours mais peuvent être invalidées par la Cour elle-même.
En conclusion, la méthodologie utilisée par la Cour et les résultats auxquels elle a abouti instaurent une insécurité juridique et judiciaire historique qui, à terme, risque d’abîmer l’image de l’institution et ruiner définitivement son pronostic de sagesse et éroder son capital scientifique.
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