Au Bénin, le Président de la République peut-il être poursuivi et destitué de son poste?
Alors qu’aux États-Unis, les enquêtes à l’encontre du Président Donald Trump menacent de le contraindre à la démission, au Bénin, la citoyenne Sylvie Mahougnon Akouèssiba Sotounkpè a porté plainte contre le Président de la République Patrice Talon pour mauvaise gouvernance et conflits d’intérêts. Ces situations ont en commun le fait d’impliquer directement la plus haute autorité de la Nation, et si au États-Unis le passé a prouvé qu’il était possible de faire chuter un Président pour des raisons d’affaires judiciaires, le cas ne s’est jamais présenté au Bénin. Est-il réellement possible de poursuivre et de destituer légalement le Président de la République au Bénin?
Avant toute chose, le sujet ne vise que les méthodes en accord avec la Constitution et les lois du Bénin. Pour ceux qui rêveraient d’un scénario burkinabé, qu’ils passent leur chemin.
Ce que dit la Constitution
Selon la Constitution Béninoise, la responsabilité personnelle du chef de l’État est engagée en cas de haute trahison, d’outrage à l’Assemblée nationale ou d’atteinte à l’honneur et à la probité. Si on se concentre sur la plainte déposée par Dame Sylvie Sotounkpe, celle ci pourrait être recevable si les faits sont avérés, étant donné qu’il s’agirait là d’un cas de haute trahison pour le fait de ne pas avoir maintenu un climat de développement sain. Aussi et surtout, le Président aurait porté atteinte à l’honneur et la probité en étant auteur ou co-auteur d’enrichissement illicite.
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Il existe cependant plusieurs étapes avant d’en arriver à celle de la mise en accusation d’un Président. Ainsi, seule la Haute Cour de Justice est compétente à juger le Président de la République pour les faits énumérés plus haut. La mise en poursuite du Président devant la Haute Cour de Justice est votée par l’Assemblée nationale au deux tiers de ses membres. Lorsque le Président est poursuivi, l’instruction est menée par la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Porto Novo. La chambre d’instruction mène ses investigations et établit un rapport qu’elle présente à l’Assemblée Nationale afin que les députés votent pour la mise en accusation ou non du Président.
Si les deux tiers de l’Assemblée nationale vote en faveur de la mise en accusation du Président, alors celui ci est définitivement mis en accusation devant la Haute Cour de Justice. En cas de mise en accusation, le Président de la République est suspendu de ses fonctions et l’intérim à la tête de l’État est assuré par le Président de la Cour Constitutionnelle. Dès lors, le procès est mené par la Haute cour de Justice qui en fixe la date. La cour rend sa décision et celle-ci est sans recours. Si le Président est condamné des faits qui lui sont reprochés, alors il est déchu définitivement de sa charge de Président de la République.
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En théorie donc, il existe bien une procédure permettant de condamner le Président de la République Béninoise qui n’est donc pas au dessus des lois. Mais dans les faits, il est très difficile de mener une telle procédure et de la voir aboutir, vu les nombreux obstacles politiques qui se dressent entre la justice et le Président de la République.
Une Procédure longue et très politique
La destitution d’un Président est une procédure aux obstacles multiples, quoi de plus normal pour la plus haute personnalité de l’État? Le premier obstacle se situe à l’Assemblée où la majorité des députés doivent être en opposition au Président et prêt à voter sa poursuite et sa mise en accusation. En effet, au minimum, 56 députés sur les 83 doivent voter en défaveur du Président, ce qui est énorme quand on sait que par exemple 60 députés sur les 83 actuels soutiennent le Président Patrice Talon. Le Président doit donc être impopulaire et pour le cas de la plainte actuelle déposer contre Patrice Talon, il faudrait que l’opposition gagne largement les législatives de 2019 pour que la procédure puisse s’enclencher.
Le second obstacle à une poursuite du Président est la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Porto Novo. En effet, alors que plusieurs acteurs judiciaire ne cessent de clamer que la Justice au Bénin serait aux ordres, il faudrait que ce dont on accuse le Président soit flagrant et irréfutable pour éviter que le dossier ne soit démonté par l’instruction. Il faut savoir que le rapport de la Chambre d’instruction peut influencer le vote de mise en accusation des députés qui peuvent changer d’avis en fonction de ce rapport.
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Le dernier obstacle et probablement le plus insurmontable se situe au niveau de la Haute Cour de Justice. Cette cour est composée de 13 membres dont les six membres de la Cour Constitutionnelle hormis le Président de cette institution c’est à dire Joseph Djogbenou actuellement, six députés de l’Assemblée Nationale et le Président de la Cour Suprême. Étant donné que les membres de la Cour sont généralement nommés ou acquis à la cause du Président de la République et que les six députés choisis sont issus de différents bords politiques, le Président a toute les cartes pour s’assurer d’une majorité de 07 membres en cas de vote pour sa condamnation.
Dans un pays où le Président concentre énormément de pouvoir, il serait très difficile qu’une opposition puisse réunir les majorités nécessaires dans toutes les instances impliquées dans la destitution d’un Président. Pour prendre l’exemple de la plainte déposée par Dame Sotounkpe, celle ci n’aurait aucune chance en l’État d’aboutir, vu qu’elle ne passerait même pas le premier obstacle qu’est l’Assemblée nationale. La question peut cependant être reposée suite aux législatives 2019. Si l’opposition venait à gagner largement les législatives, alors la donne pourrait être différente.
Il est tout de même important de préciser que rien n’indique que les accusations portées contre le Président Talon sont vérifiées et il ne suffit pas d’être impopulaire pour être destitué. Une défaite du camp Présidentiel aux législatives ne signifierait donc pas automatiquement qu’une procédure serait ouverte contre le chef de l’État.
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