« Je dis à Macron, vous êtes toujours un novice en politique », le président turc

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a qualifié vendredi 15 février, son homologue français Emmanuel Macron, de « novice politique », après l’annonce de la tenue en France, d’une journée nationale de commémoration du génocide arménien, a rapporté l’AFP.

« Je dis à Macron – vous êtes toujours un novice en politique, commencez par apprendre l’histoire de votre pays », a déclaré Erdogan, lors d’une interview avec la chaîne de télévision A-Haber. Il a ensuite énuméré tous les pays que la France avait colonisés et où des massacres avaient eu lieu, notamment en Algérie, en Indochine et au Rwanda.

Plus tôt ce mois-ci, Macron a annoncé que la France, qui comptait une importante communauté arménienne, organiserait une journée nationale de commémoration du génocide arménien le 24 avril. Les Arméniens commémoreront le million et demi de victimes. La semaine dernière, la Turquie s’est prononcée contre cette décision. Le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères, Hami Aksoy, a accusé Macron d’essayer de gagner des voix de la communauté arménienne en France.

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Pascal Lebonneur

Question arménienne : La France mal placée pour donner des leçons à la Turquie
Macron a annoncé que tous les 24 avril la France allait commémorer « le soi-disant génocide arménien ». Or avant de s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres pays du monde, la France commémore-t-elle ses propres massacres?

Le président français Emmanuel Macron a annoncé mardi 5 février devant la communauté arménienne que la France allait faire du 24 avril, une « journée nationale de commémoration du soi-disant génocide arménien » alors qu’il n’existe à ce jour aucun consensus historique et juridique sur la nature des événements ayant eu lieu en 1915.

La Turquie reconnaît qu’un grand nombre de personnes ont perdu la vie entre 1915 et 1917 dans le cadre d’une guerre civile aggravée par la famine tout en soulignant toutefois qu’il y a eu des « pertes de vie et des tragédies » dans les deux parties. Ankara conteste l’idée qu’il y ait eu une volonté systématique d’exterminer les Arméniens, rejetant de ce fait le terme de « génocide ».

Si Macron cherche par cette annonce à redorer son image auprès de ses électeurs après une cote de popularité en chute libre depuis le début du mouvement des gilets jaunes, il commet certainement une erreur fatale en se mêlant des affaires intérieures de deux pays, la Turquie et l’Arménie, qui devraient être les seuls à régler leur différend historique.

Par ailleurs, ce n’est certainement pas aux hommes politiques mais aux historiens de trancher sur la définition exacte d’une tragédie vécue en 1915 par les peuples turc et arménien. C’est d’ailleurs dans cette perspective que la Turquie avait proposé à l’Arménie en 2005 de mettre en place une commission mixte d’historiens turco-arméniens, également ouverte à des tiers, pour étudier les évolutions et les événements de 1915 non seulement dans les archives de la Turquie et de l’Arménie mais aussi dans les archives de tous les pays tiers qui en possèdent. La proposition avait été rejetée par l’Arménie.

L’instrumentalisation de la question arménienne par la France

Alors que cette tragédie historique empêche deux pays voisins de normaliser leurs relations bilatérales, elle est régulièrement exploitée par les responsables politiques français pour des visées électoralistes et des ambitions politiques contre la Turquie.

En effet, les descendants d’Arméniens ottomans ayant fui en France après les événements de 1915, organisés autour d’un « lobby » puissant -notamment à travers le Conseil de coordination des Organisations Arméniennes de France (CCAF)- et occupant des postes clés dans les sphères politique, médiatique et économique, n’ont qu’un seul objectif : faire pression aux responsables politiques pour une reconnaissance du « soi-disant génocide arménien » non reconnu par le gouvernement turc en échange de leur soutien et loyauté.

Ainsi la question arménienne est devenue un outil de chantage politique contre la Turquie. Plutôt qu’un sincère traitement de la question, les responsables politiques français préfèrent l’instrumentaliser, que ce soit pour déstabiliser la Turquie en exploitant un événement de son histoire que pour gagner les votes d’un lobby ayant la puissance médiatique et politique.

Or, en 2012, le Conseil constitutionnel a censuré la loi sur le soi-disant génocide arménien‎ en France en estimant que le législateur a porté une « atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication ».

Aujourd’hui dans un contexte d’instabilité politique où son mandat est menacé, le président Macron a préféré changer l’actualité axée sur les gilets jaunes en exploitant la question arménienne pour regagner la sympathie de ses électeurs.

Les massacres commis par la France dans le monde

Contrairement à la déclaration de Macron selon laquelle « la France, c’est d’abord et avant tout ce pays qui sait regarder l’histoire en face », elle est en réalité très mal placée pour donner des leçons à la Turquie sur son histoire.

C’est ainsi que le vice-président et porte-parole du Parti de la Justice et du Développement (AKP), Ömer Çelik, a souligné : « Ce qui est tragique, ce sont les propos du [président français Emmanuel Macron] sur le fait de faire face à l’histoire. Faire face à l’histoire doit être un terme qui devrait être utilisé dans un autre sens pour la France ».

« Ce que la France devrait faire face juridiquement, du Cameroun à l’Algérie, sont les actes de violation des droits de l’homme et les meurtres commis par les autorités françaises », a-t-il ajouté.

La France possède effectivement un passé -voire un présent- trop lourd pour prétendre que « c’est un pays qui sait regarder l’histoire en face ».

S’il fallait dédier une journée de commémoration pour toutes les victimes des massacres et meurtres que la France a commis dans le monde, les jours d’une année entière ne seraient certainement pas suffisants !

Dans son passé colonial rempli de violences, tortures et violations de droits de l’homme, la France a directement massacré -ou indirectement contribué aux massacres et génocides- des peuples dans différents pays du monde, tels que l’Algérie, le Rwanda, le Bénin, le Gabon, la Guinée, le Tchad, la République centrafricaine, la Tunisie, le Sénégal, le Niger, la Mauritanie, le Cameroun ou encore le Burkina Faso.

Les atrocités commises par la France en Algérie ont une place toute particulière dans son histoire sanglante : des pratiques qui y ont été appliquées comme les camps de concentrations, les chambres à gaz artisanales et les massacres de masses inopinés tout au long du processus d’indépendance de l’Algérie entre 1945 et 1962 font penser à « un génocide ». « On estime que 15% de la population algérienne a été massacrée par les Français à partir de 1945. Il s’agit d’un génocide », avait déclaré Recep Tayyip Erdoğan en 2011 à cet égard.

L’influence de la France dans le mouvement des Jeunes-Turcs responsables de la tragédie de 1915

Un autre point intéressant à souligner est l’influence de la France dans la formation du mouvement des Jeunes-Turcs, officiellement connus sous le nom de Comité Union et Progrès, dont les chefs ont mené une rébellion contre le sultan Abdülhamid II (renversé et exilé en 1909) et sont responsables de la tragédie de 1915.

A l’époque ottomane, bénéficiant du système du « millet », qui permettait aux sujets non-musulmans de l’Empire de jouir de la liberté religieuse, les Arméniens avaient le statut de « dhimmis » (« protégés ») et constituaient une nation reconnue par le Sultan.

Jusqu’au moment fatidique en 1915, les Arméniens étaient connus pour leur loyauté aux sultans mais aussi l’importance de leurs services rendus à l’Empire tant dans la vie législative que dans la musique, les arts, le commerce, ainsi que des aspects sociaux aussi importants que le journalisme et l’enseignement.

Or, l’arrivée au pouvoir des Jeunes-Turcs a radicalement changé la donne. La montée en puissance de ces « ovnis » de l’histoire turque -soutenue dans leur propagande contre le Sultan par les gouvernements anglais et français de l’époque-, qui représente une rupture radicale avec la tradition multiculturelle et tolérante de l’Empire ottoman vieux de plusieurs siècles est loin d’être anodine : pour ces « réformateurs » -si on peut les appeler ainsi-, la France n’était pas uniquement la patrie de la révolution mais plus encore, celle de la « civilisation » -d’où le terme « progrès » pour rattraper le retard de l’Empire ottoman par rapport à la « civilisation » occidentale-.

C’est ainsi que leur mouvement est né le 14 juillet 1889, jour du centenaire de la prise de la Bastille au sein de l’École de médecine militaire d’Istanbul. La date n’est pas prise au hasard, il s’agit de faire de l’Empire un État à la française dont ils reprendront même un temps la devise « liberté, égalité, fraternité ». S’inspirant de la franc-maçonnerie et s’organisant comme une « société secrète », les Jeunes-Turcs organisent également leur premier congrès à Paris en 1902.

Ce nationalisme exacerbé importé de la France -radicalement opposé à la tradition islamique et multiethnique de plusieurs siècles- est le début d’une fin inévitable pour l’Empire ottoman : très mal perçu par les notables arabes et réformistes musulmans, il conduit les nationalistes arabes à se tourner vers les puissances européennes afin de réaffirmer leur identité. Il donne également lieu à la déportation -sans pour autant la volonté d’extermination- d’environ 500 000 Arméniens vers la Syrie ou le Liban, alors provinces ottomanes.

En conclusion, on voit clairement que la France a remodelé le monde tant par ses actions que ses idées qui ont décimé, divisé et déchiré des nations. Dans un tel contexte où le pays fut l’exécuteur, le commanditaire et l’inspirateur d’autant de massacres dans le monde, il est vraiment difficile de prétendre que la France est « d’abord et avant tout ce pays qui sait regarder l’histoire en face » apte à donner des leçons de morale aux autres pays du monde, dont la Turquie. Si elle veut vraiment regarder l’histoire en face, il faut avant tout que ses responsables politiques cessent d’agir uniquement pour des intérêts personnels et adoptent une approche juste, humaine, impartiale et équilibrée devant toutes les tragédies mondiales du passé et du présent, y compris la question arménienne.