Lien entre démocratie et développement: lettre ouverte d'un politiste au Pr Aïvo

Un jeune politiste béninois et objecteur de conscience ne partage pas totalement la thèse du professeur Joël Aïvo sur le lien entre « démocratie » et « développement ». A travers une lettre ouverte, il creuse la question et souhaite que des réflexions soient menées pour soutenir la gouvernance actuelle.

En réaction à l’intervention publique du professeur Joël Aïvo qui invitait le peuple béninois à faire attention à l’opinion de plus en plus distillée dans la conscience collective pour opposer la démocratie au développement, un jeune politiste écrit une lettre ouverte adressée à l’homme de droit. Pour Ulrich Dehou en fonction à la Fondation FRIEDRICH EBERT, il est impérieux de lever toute équivoque sur la question d’autant plus que la démocratie tout comme le développement à son avis, comporte deux versants: l’un idéal l’autre empirique.
Soutenant son argumentaire de revues documentaires, Ulrich Dehou évoque le Rapport-synthèse de Boutros Boutros-Ghali sur « l’interaction Démocratie et développement » publié en 2003 par l’Organisation des Nations Unies, « . L’essentiel à retenir de ce rapport, c’est qu' »il a été reconnu que les concepts de démocratie et de développement étaient longtemps restés étrangers l’un à l’autre, mais que tout le monde s’accorde désormais pour admettre qu’il existe une relation étroite entre eux ».  Par ailleurs, le panel qui a conduit à ce rapport a reconnu en particulier que la durabilité d’un développement équitable était intimement liée à la démocratie… ».
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Plusieurs autres auteurs, comme par exemple, Acemoglu et Sen, considèrent que la démocratie favoriserait la croissance économique grâce au système redistributif permettant la fourniture de biens publics et le développement d’un système éducatif pour tous. Ainsi, la croissance économique entraînerait une augmentation des recettes publiques pour le gouvernement, ce qui devrait engendrer une redistribution accrue envers les plus défavorisés. La redistribution permet, en théorie, de corriger en partie certaines inégalités (de revenu, entre régions, etc.). Après redistribution, les ménages aisés auront un revenu primaire inférieur à leur revenu disponible, et réciproquement pour les ménages modestes. Un régime démocratique aura donc davantage tendance à redistribuer aux individus et aux régions plus modestes afin d’assurer une certaine homogénéisation de la société tout en assurant une société plus juste et équitable, relève-t-il.
A contrario, certains suggèrent qu’un régime autoritaire promeut plus efficacement le développement économique qu’un régime démocratique, en particulier dans les pays relativement pauvres. Ces dernières décennies, plusieurs pays asiatiques ont su amorcer et maintenir un rythme soutenu de croissance, sans pour autant avoir à adopter un modèle démocratique. Ces théories sont soutenues par  Martin Anota, dans leur publication (Croissance et fluctuations économiques, Economie institutionnelle). Les partisans de cette thèse estiment que les élections amèneraient différents groupes concurrents à gaspiller des ressources pour prendre le pouvoir.
Une fois au pouvoir, les élites nourrissent des comportements clientélistes. Influencés par l’opinion publique et les groupes de pression, ils ne prennent pas les décisions économiquement optimales. Les gouvernements en place n’hésiteraient d’ailleurs pas à creuser les déficits budgétaires pour adopter des politiques économiques favorisant à leur réélection. Au final, les autorités publiques dans un régime démocratique tendraient à favoriser la consommation immédiate et les dépenses improductives au détriment de l’investissement et de la croissance à long terme… », rapporte-t-il.

Des exemples sur le plan international

En guise d’exemple mentionné, on constate, ces dernières années, plusieurs pays (notamment en Asie) qui ont su maintenir un rythme de croissance économique élevé sans pour autant être considérés comme des démocraties. Les régimes non démocratiques (que l’on peut qualifier d’autoritaires ou de semi-autoritaires) se focaliseraient davantage sur le maintien d’un rythme de croissance soutenue au détriment d’autres politiques structurelles, qui favoriseraient le développement, afin d’éviter le mécontentement populaire et ainsi assurer la stabilité du régime.
Le cas de la Chine est particulièrement intéressant et régulièrement cité en exemple. Le gouvernement chinois réussit à maintenir un parti unique (le Parti Communiste Chinois) non seulement par les limitations qu’il exerce sur les libertés, mais également par une croissance économique soutenue depuis plusieurs années…, fait ressortir Ulrich Dehou.

Quid du cas du Bénin

S’il est vrai que le marxisme-léninisme s’est soldé par un échec économiquement parlant, il n’en demeure pas moins que la démocratie a montré ses limites avec son cortège d’anarchie, de perte de valeurs, de corruption, de chômage, de pauvreté accrue, d’impunité, etc, relève le politiste. « Quel est le bilan économique après 30 années d’expérience démocratique? », s’interroge-t-il.  » Je ne vous apprend rien en affirmant que dans le modèle démocratique africain, l’Exécutif est contraint à ne point prendre les décisions économiquement optimales sous l’influence de l’opinion publique ou de groupes de pression« , relève-t-il. Il en veut d’ailleurs pour preuve, la lutte contre les faux médicaments, la suppression des grèves dans les secteurs vitaux tels que la santé, etc.
La théorie des cycles politico-économiques nous enseigne que les élus maximisent leur probabilité d’être réélus en poursuivant des intérêts privés. Cette théorie de l’école du choix public montre que les élus ont tendance à outrepasser toute priorité de gouvernance en faisant des choix populistes en vue d’une élection future, fait-il remarquer. Enfin, indique-t-il, si tout le monde se réjouit du processus de démocratisation que connaît l’Afrique depuis près de trois décennies déjà, il reste qu’on ne saurait, sérieusement, ignorer l’essentielle question de la prospérité de la démocratie dans un environnement socio-économique marqué par la pénurie et la pauvreté, fait-il percevoir.
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« Eu égard à cette problématique, Ulrich Dehou estime qu’il se pose également l’épineuse question qui est toujours d’actualité sur le continent noir et principalement au Bénin à savoir: « Les pays sous-développés ont-ils les moyens d’intégrer la démocratie et de la rendre applicable dans la réalité de la pratique politique ? D’où la nécessité de contextualiser la Démocratie aux réalités socio-économiques des Nations africaines pour amorcer le développement. », affirme-t-il, avant de conclure qu’une analyse profonde de cette démocratie autrement modélisée, permettrait probablement de trouver une réponse à la politique gouvernementale du président Patrice Talon. Un exercice sans partie pris auquel il invite les élites pour le bonheur des peuples.

2 comments

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yves Tiburce da Silveira

très bonne réflexion à méditer

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COOVY

Monsieur DEHOU a fait un travail fouillé qui doit faire réfléchir les démocratistes qui opèrent en sourdine pour le règne de l’anarchie, favorable à la paresse et au gaspillage des maigres ressources de nos pays.