La CPI survivra-t-elle à l’après Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ?

Un peu moins de trois ans après le début de leur procès, l’ex-président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, et Charles Blé Goudé, son ancien ministre de la jeunesse, ont été acquittés par la Cour pénale internationale (CPI). Ils ont tous deux été accusés de quatre chefs de crimes contre l’humanité. Il s’agissait de meurtres, de viols, d’actes inhumains et de persécutions d’opposants à la suite des élections en Côte d’Ivoire entre décembre 2010 et avril 2011. Le conflit a coûté la vie à environ 3 000 personnes.

Ce n’est pas la première fois que des juges de la CPI ordonnent la libération d’une personne en procès. En 2008 et 2010, la Cour a ordonné la libération du chef de guerre congolais Thomas Lubanga. La raison évoquée était le défaut du procureur de divulguer des éléments de preuve qui, a-t-on soutenu, portaient atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable. Ce jugement fut rejeté en appel et le tribunal le condamna par la suite en 2012.

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Dans l’affaire Gbagbo et Blé, les problèmes semblent plus importants. La décision orale suggère que l’accusation n’avait pas convaincu les juges qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve montrant que Gbabgo faisait partie d’un plan visant à le maintenir au pouvoir, impliquant des attaques contre des civils. Il y a déjà un coup plus dur pour l’image de la CPI c’est celui de la décision de la Cour d’appel, en juin dernier, d’annuler la condamnation de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba à l’issue d’un procès de six ans.

Des accusés ont été acquittés devant la Cour, dont le congolais Mathieu Ngudjolo Chui lors de son procès pour le massacre de Bogoro en 2003, et dans les affaires au Kenya contre le président Uhuru Kenyatta et le vice-président William Ruto pour les violences postélectorales de 2007-2008. Vingt ans après que les États se sont mis d’accord pour créer la CPI, seules trois personnes ont été condamnées, toutes membres de groupes rebelles. Aucun gouvernement ni haut responsable n’a jamais été condamné devant la Cour.

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Les affaires Gbagbo et Blé pourraient donner plus de poids aux critiques contre la Cour selon lesquelles elle aurait injustement ciblé les pays africains. Mais cette décision, ainsi que l’acquittement de Bemba, indique un problème plus profond en ce qui concerne la manière dont l’accusation de la Cour enquête et recueille des preuves. Néanmoins, la décision relative à Gbagbo et Blé montrent d’une certaine façon que la CPI garantit les droits des accusés, bien que tardivement. D’autre part, elles refusent que justice soit rendue aux victimes.

Un coup pour les victimes

Lorsque le président Alassane Ouattara a pris le pouvoir en Côte d’Ivoire en 2012, son gouvernement a convenu d’un ensemble de mesures pour faire face au passé. Celles-ci comprenaient des enquêtes spéciales, une commission d’enquête, une commission vérité et réconciliation et une commission nationale d’indemnisation. Mais ces dernières années, l’attention et la volonté politique ont faibli et n’ont pas permis de réparer les victimes. Si Gbagbo et Blé sont relâchés, les 727 victimes participant à l’affaire devant la CPI ne seraient plus éligibles à une réparation par l’intermédiaire de la Cour. Cela fermerait effectivement une autre porte sur eux pour obtenir réparation.

Simone Gbagbo, l’épouse de l’ancien président, était également censée être jugée par la CPI. Mais elle a été reconnue coupable par un tribunal ivoirien et condamnée à 20 ans en 2015 pour son rôle dans les violences post-électorales. Bien que des procès aient eu lieu en Côte d’Ivoire, ils visaient principalement les partisans de Gbagbo, sans grande responsabilité pour les violations commises par les forces de Ouattara. Cependant, en août 2018, le président Ouattara a gracié 800 personnes dans le cadre d’un effort plus vaste visant à assurer la réconciliation dans le pays. Cela comprenait la libération de Mme Gbagbo. Si son mari et Blé rentrent en Côte d’Ivoire, ils pourraient bénéficier de la même amnistie.

Libération immédiate peu probable

Les audiences devant la Cour se poursuivront sur le calendrier de la libération des deux hommes, mais pas avant que le procureur et les victimes se prononcent devant les juges et ne contestent la décision par appel. La décision de libération n’a été approuvée que par deux des trois juges, une majorité suffisante. La juge Olga Herrera Carbuccia n’était pas d’accord avec la majorité sur le critère utilisé pour parvenir à une telle décision. Elle a soutenu que les motifs de la décision auraient dû être exposés par écrit. Ainsi, bien que les partisans de Gbagbo puissent applaudir la décision de mardi, l’issue de la procédure n’est pas encore certaine.

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Quels que soient les résultats obtenus, il convient de se poser des questions fondamentales sur la manière dont les affaires sont poursuivies devant la CPI, sur la meilleure manière de concilier les droits des accusés et des victimes, et plus généralement dans le traitement des crimes internationaux. En novembre 2018, le Royaume-Uni a demandé si la Cour valait tout l’argent dépensé pour cela. Il a souligné que la Cour avait coûté 1,5 milliard d’euros sur 15 ans, mais que seuls trois auteurs présumés avaient été condamnés.

L’ordonnance de libération de Gbagbo et Blé suggère qu’une plus grande attention soi accordée à deux choses: comment la CPI enquête et poursuit ces affaires, et comment les États traitent eux-mêmes ces crimes en première instance, plutôt que pour des procédures longues et coûteuses au niveau international ?