« Harcèlement ou assainissement ? », une chronique de Roger Gbégnonvi
Nous les gens heureux qui, au Bénin, avons eu la chance immense de l’écriture, fût-ce en une langue étrangère, avons l’art de sortir périodiquement du dictionnaire des mots que nous balançons sur l’ensemble du peuple à majorité radicalement analphabète, mots sur lesquels nous nous couchons pour fomenter la stagnation du Bénin, convaincus que, si les choses changeaient en profondeur dans le pays, nous y perdrions notre suprématie de lettrés et d’intellectuels par procuration et répétition.
Ce cynisme jubilatoire n’est jamais exprimé. Mais qu’y a-t-il de plus vrai que ce que nous enfouissons dans notre inconscient ? Le mot que nous avons mis à la mode ces jours-ci est harcèlement, au sens de chasse-aux-sorcières. Parfois nous le faisons rimer avec acharnement. Pourquoi ? Parce que l’Etat béninois, au jour d’aujourd’hui, a maille à partir avec certains de nos concitoyens à qui il reproche leur gestion frauduleuse de la chose publique. Et nous disons même que, partial, l’Exécutif ne s’en prend qu’à ses adversaires politiques. Donc « la ruse et la rage » ! C’est possible.
Mais s’il est des griefs objectifs contre lesdits adversaires, pourquoi ne les enverrait-on pas se défendre devant les tribunaux ? Quant aux amis, oubliés par la vendetta, s’ils sont accusés, l’opposition politique parlementaire se doit de dévoiler leurs crimes économiques et autres afin que la pression de la rue exige leur envoi devant les tribunaux. En vérité cependant, s’il y a jamais eu harcèlement et acharnement, ce fut d’abord contre l’Etat béninois, tout au long des deux dernières décennies, de la part d’ONG et de personnalités marquantes, de la part aussi de l’étatique Cellule de moralisation de la vie publique.
Sans relâche, elles ont fait du tapage pour que s’arrête le pillage de notre pays par des gens sans foi ni loi. La parole leur paraissant insuffisante, elles ont produit des écrits que le temps n’a pas effacés. Au hasard et dans l’ordre chronologique : Visages de la corruption au Bénin, Le droit et la corruption (recueil des textes juridiques…), La corruption appauvrit la nation, La SONACOP et sa privatisation (Imposture et impunité ?), Le mal transhumant, Trop c’est trop, etc.
Nous devrions relire ces textes pour nous souvenir de l’acharnement avec lequel, pendant deux décennies, l’Etat béninois fut harcelé par la société civile. Et ce ne fut pas sans risque pour les harceleurs, car « Ici, c’est le Bénin », et les pilleurs ont su s’occuper des pourfendeurs de l’enrichissement par le vol. L’avocat perdait tous ses procès, tel président d’ONG découchait pour échapper à de graves menaces, telle mère de famille pleurait de voir ses enfants souffrir d’un mal inconnu des médecins, tel autre, dont on a raté l’assassinat, doit vivre désormais avec deux balles à côté du cerveau, etc.
C’est à ceux-là que nous reprochons aujourd’hui un certain silence, en expliquant qu’ils ont été achetés par l’Exécutif. Or ce ne sont pas gens achetables, ce sont gens de conviction et de courage. Arrêtons la bêtise. Et puisque intellectuels nous aimons qu’on nous dise, ayons la simple honnêteté intellectuelle d’appeler ce que nous observons du seul nom convenable : assainissement. Timide élan. Tentative. Frémissement.
Deux décennies durant, ONG et personnalités se sont battues à mains nues pour que l’Etat qui, seul, en a les moyens, prenne la direction de la lutte contre la corruption. Il semble que ce soit, inattendument, le cas aujourd’hui. Alors nous devons soutenir le mouvement et l’amplifier pour qu’il ne retombe pas. Euripide a dit que « c’est une honte de se taire, et de laisser parler les barbares ».
Le temps vient, et c’est maintenant, où nous soufflerons sur toute braise pour la transformer en la flamme nécessaire au grand assainissement dont le Bénin a besoin. Pour que nos malades soient accueillis dans des hôpitaux aptes à leur redonner la santé. Pour que nos enfants soient accueillis dans des écoles aptes à leur donner le savoir. Le bien-être de tous.
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