Conflits religieux : Pourquoi Dieu a le dos large ( Chronique de Roger Gbégnonvi )

En Afrique, les théologiens, c’est-à-dire les geôliers de Dieu, le sont sur le mode occidental, côté Dieu de Jésus-Christ, sur le mode oriental, côté Allah, Dieu de Mahomet. Comme ils n’ont pas d’écriture au sens de canal de l’abstraction et de la science, aucun Dieu personnel, créateur du ciel et de la terre, n’a dicté aux Africains ni textes ni livres, dans lesquels il se serait enfermé lui-même, devenant ainsi accessible aux hommes et livré à leurs jeux intellectuels aux travers de verses et controverses, appelées théologie, science de Dieu.

Comme les livres censés avoir été dictés par Dieu sur lui-même sont différents au point de s’opposer, les théologies se font dogmes pour s’imposer. Affrontements garantis.
De fait, l’histoire de l’humanité, lue à l’aune de l’Afrique sans version écrite d’un Dieu unique, offre l’image d’un Dieu encagé devenu enragé. Il ne demanderait qu’à se dégager des entraves de l’écriture.

A la recherche de sa liberté, Dieu encagé rend fous furieux ceux qui l’ont incarcéré. Les coups de tête, de poing et de griffes dont il assène les pages des gloses et entre gloses entassées sur son nom font s’entrechoquer les deux ou trois livres-prisons, et le choc produit des étincelles incendiaires, comme lorsque dans le ciel deux nuages se cognent et se disputent le passage. Les nuages dogmatiques sont redoutables ; ils produisent des éclats d’obus, des bombardements, des égorgements, et même des ‘‘tu es voilée ou violée’’, car par ailleurs, toutes les théologies ont la gent féminine dans leur viseur.

Après avoir lu ‘‘Le Manuel des Inquisiteurs’’, qu’il qualifie d’ ‘‘excellent ouvrage’’, Voltaire écrit ce qu’il en pense à son ami d’Alembert le 10 février 1762 : ‘‘Les hommes ne méritent pas de vivre puisqu’il y a encore du bois et du feu et qu’on ne s’en sert pas pour brûler ces monstres dans leurs infâmes repaires.’’ Certes, le philosophe du XVIIIème siècle est dans le registre de l’ironie et du cynisme pédagogique. Et il est vrai qu’au XVIème siècle, les cardinaux de la Sainte Inquisition avaient fait plaisir à Dieu en brûlant moult chrétiennes et chrétiens soupçonnés de s’être écartés de la ligne théologique officielle.

Les cardinaux sont-ils sûrs d’avoir éradiqué tous les ‘‘monstres’’ ? D’ailleurs, l’épuration se poursuit au XXIème siècle, où l’on peut tuer des gens réunis pour se réjouir, parce qu’il est une version de Dieu qui n’aime ni danse ni cinéma, qui n’aime pas voir les genoux des femmes ni leur visage. Le 1er mai 2018, des Centrafricains ont tué et blessé les leurs parce que deux camps fraternels vénèrent Dieu différemment emprisonné. Ô analphabètes, à qui Dieu n’a rien dicté ! Peu importe : ils s’entretuent sur fond des verses et controverses écrites par d’autres sur Dieu.

Si l’humanité libérait Dieu des entraves de l’écriture, il ne lui resterait que la moitié de ses malheurs à soigner. Mais pour libérer Dieu, il faudrait revenir aux fondamentaux de l’homme face au Divin Pluriel qui n’est commensurable à rien, mais pressenti dans l’infini des dunes du désert, dans l’infini des vagues de la mer, dans l’infini des rayons éclairants et vivifiants du soleil, dans l’insondable du cœur de l’homme capable d’amours splendides et de haines sépulcrales. Intimidé cependant par les étoiles, l’homme humble de cœur s’incline devant des objets sans grande signification pour rendre hommage à la Grande Signifiance.

Cette humilité des simples gens est une humiliation pour ceux que Mahomet appelle ‘‘les gens du Livre’’. Ils se sont servis de la vertu magnifique de l’écriture pour donner corps au concept Dieu, l’emmurer ensuite comme un fétiche pour lui faire suinter la peur et le tremblement. Dieu est gardé en prison parce que les fabricants de religions, de dogmes et d’armes, les sacristains et les muezzins, tous font du concept Dieu leur beurre raffiné ou grossier, Dieu différemment encagé dans deux ou trois livres différemment écrits par des peuples aux coutumes différentes. Ce Dieu sert à tout et à n’importe quoi : il a le dos large.

Roger Gbégnonvi

3 comments

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HOUNTONDJI Fréjus Jean-Baptiste

Ce que j’ai compris Professeur c’est le fossé entre Religion et spiritualité. Le niveau de conscience de chaque individu lui permettra d’accéder à la connaissance de Dieu au travers des contraintes élaborées par ses semblables ou tout simplement dans la pleine jouissance de sa liberté tel qu’il a été créé par l’Eternel. Votre écriture est profonde je l’avoues. Rendez la accessible à tous.. Que Dieu vous garde!!

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moïsse

Merci pour cette opinion. Vous mettez le doigt là où cela fait mal mais c’est toute la main qu’il faut mettre comme un coup de poing.
Allons plus loin en considérant que:
– Les polythéismes( autrefois grecs , le vaudou et apparentés etc.) sont plus tolérantes que les monothéismes.
– Pour parodier Mathieu K. La caractéristique principale et la source première de l’arriération(politique, économique etc.) des africains est la domination spirituelle étrangère
Votre discours sera inaudible dans un pays ou une hystérique se prend pour Dieu, où des églises poussent à tous les coins de rue, où certains considèrent que leur Dieu est unique et supérieur aux autres, où il est impossible de se dire athé. Ailleurs, on meurt dans des églises ou dans des mosquées au nom de cette intolérance. Le jour où deux peuples européens s’entre-tueront au nom de Sakpata d’un côté ou de Hêvioso de l’autre on pourra parler. Mais ce jour est lointain car les aliénés de tous poils sont partout; du sommet du pouvoir jusqu’à votre arrière court. Cherchez bien. Merci

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Charlemagne BIO

Sacré Professeur GBEGNONVI! Merci pour cette violence faite sur vous-mêmes qui fait science. Croyant, je vous sais et marqué par la foi et la pratique chrétiennes je vous suis en élève studieux depuis plus d’une décennie. Cette identité sommaire que j’ai de vous par rapport à la croyance et à la foi chrétienne ne laissait présager de cette capacité à démystifier les religions dites  » révélées » ( auxquelles votre cursus pourrait vous attacher) et à révéler celles dites  » sans livres sacrés » puisque ces dernières sont essentiellement fondées sur l’oralité et le commerce avec la nature plurielle mais harmonisée. Merci cher Professeur de montrer subtilement qu’effectivement l’une des sources du malheur de l’humanité aujourd’hui est l’intolérance des religions dites  »révélées » qui embrigadent Dieu dans leurs livres pourtant porteurs de messages de paix. Les dogmes et autres stratégies contrastent parfois avec l’esprit de leurs textes. Merci de rappeler que le recours aux pratiques des croyances  »sans livres révélés » pourrait être une des sources de pacification du monde.

En effet, ici les spécialistes du hèviosso, de thron, Wuuru, sambwanou ou de sakpata se respectent, se tolèrent et se complètent sans complexe, là-bas le chrétien évangéliste trouve que le catholique est idolâtre et exclue toute possibilité d’échange et d’œcuménisme. Ici l’invocation de Hèviosso, de sapkata se fait en référence à Mahu, Gusunon, Irikpè, être suprême pour qui, les premiers sont des intermédiaires, ce qui est critiqué là-bas même si là-bas, l’invocation de Saint X et Saint Y pour intercéder auprès de Dieu le père est fortement recommandé. Ailleurs, chez les autres praticiens de croyance de livres révélés, cette guerre idéologique est accentuée par des attaques physiques et mortelles en groupes organisés contre quiconque oserait penser ou agir en dehors du cadre tracé par un envoyé de Dieu dont il est difficile d’évoquer le nom sans une incantation.

Autre élément qui mérite réflexion: le livre saint purificateur ne peut être touché sans un rituel au risque de sanction, la communion qui rend pure et rapproche de Dieu est interdit aux chrétiens jugés indignes de par leur péché. Et pourtant, recourir à la communion ou au livre saint devrait être recommandé à tous ceux qui se sentent impurs ou jugés comme tels. Et tout est fait au nom de Dieu. Vraiment Dieu a un dos très large……Merci