Bénin – Démocratie et Développement: une réflexion du politologue Richard Ouorou

Depuis l’ouverture des manifestations entrant dans le cadre de la commémoration des 30 ans de la conférence des forces vives de la nation, le débat sur le rapport entre démocratie et développement a refait surface. C’est la position du chef de l’Etat qui intéresse le politologue Richard Ouorou qui, à travers une lettre adressée au président Patrice Talon, livre sa réflexion sur la question. 

A travers une lettre en date du 09 mars 2020 à Montréal au Canada adressée au président de la République du Bénin, le consultant et politologue béninois, Richard Boni OUOROU, s’est invité dans le débat sur le lien existant entre un régime démocratique et le développement. C’est d’abord une phrase du chef de l’Etat lors de l’entretien télévisé qu’il a accordé le 19 février 2020 que se base le consultant pour ouvrir sa réflexion. « Dernièrement, dans une causerie avec deux professionnels des médias, vous avez dit que « ce qui caractérise cette capacité de l’homme à avancer, à transformer son environnement, c’est son sérieux, sa rigueur, son abnégation à faire ce qu’il convient de faire », rappelle Richard Ouorou qui dans une forme d’ironie, affirme dans le même temps qu’il partage cette philosophie.

A Lire aussi Bénin: l’analyse de Boni Ouorou sur le discours de Talon à la session des chefs d’Etat de l’UEMOA

Pour le politologue, les arguments développés par le président de la République lui ont permis de savoir qu’il a été floué par les idéologues qui l’entourent et qui veulent lui faire croire que le développement n’est parfois possible qu’avec un peu d’anarchie. « Plus précisément, je pense qu’ils vous poussent à croire que développement et démocratie ne sont pas consubstantiels et que cette dernière rime parfois avec anarchie. Pour Richard Ouorou, le tort est donc fondamentalement du côté de ces personnes, péchant par mauvaise foi ou par confusion terminologique. « À cet égard, permettez au chercheur en sciences sociales que je suis de préciser les choses d’entrée de jeu. Le concept d’anarchie, dans son acception populaire, désigne la pagaille, le désordre global. Dans la littérature scientifique et chez les professeurs, le terme est plutôt associé à une idéologie ou à des agents prônant une diminution importante, voire la disparition des formes classiques de l’autorité, du pouvoir. »

La démocratie ne rime pas avec l’anarchie

Le consultant béninois vivant au Canada est formel sur la question; un état démocratique ne porte pas en lui  fatalement les gènes du désordre, du chaos. Si certains le pensent, poursuit-il, c’est simplement parce qu’ils saisissent mal ce que sont le libéralisme politique et le pluralisme. Ou encore qu’ils font preuve d’intolérance à l’endroit de certaines revendications particulières, indique Richard Ouorou dans son développement. Quant à l’anarchisme (comme discours idéologique), il a plutôt un faible pouvoir entropique, indique-t-il. « Bref, Monsieur le Président, la démocratie n’est pas le prélude aux périodes troublées, confuses, sans direction; elle ne donne pas naissance au chaos. Ce sont au contraire les régimes antidémocratiques qui portent en eux le désordre puisqu’ils ont comme horizon, en suscitant rébellions et luttes révolutionnaires, un contrôle social encore plus arbitraire, donc désordonné, déraisonnable. Pensons aux dictatures qui n’ont de rigueur que dans la répression et l’instabilité. »

Dans une sorte de justification, Richard Ouorou indique que sans contrainte ni responsabilité devant le peuple, toute personne ou tout groupe finit par abuser de son autorité avant de finir par être renversé par le peuple fatigué; ce qui crée l’instabilité parce que le dirigeant qui cumule tous les pouvoirs n’a pas souvent le temps de préparer la transition.

Il en résulte une période d’instabilité.

Dans son analyse, le consultant Ouorou fait remarquer que sans la démocratie, l’instabilité s’installe et fait progressivement le lit à un regressement économique. En effet, explique-t-il, l’investissement dépend de la stabilité. Dès lors que le présent ne donne aucune garantie à l’investisseur et que le futur lui paraît encore plus sombre, il mettra sa capacité de production en veilleuse dans l’attente d’une situation plus favorable. « Il y a ainsi dans toute société instable une sorte de frilosité et de désolidarisation des acteurs économiques. », affirme-t-il. Mais à l’inverse, la démocratie selon lui est un axe de convergence en ce sens qu’elle s’inscrit dans une histoire commune, et stimule les ambitions individuelles. « Quand il est clairement formulé, bien présenté et correctement mis en œuvre, cet ordre-là crée de la cohésion sociale tout en produisant de nouvelles valeurs et de nouvelles richesses« , analyse-t-il.

Et vous comprendrez que c’est avec consternation et déception que j’ai entendu des aînés politiques béninois (toutes tendances confondues) déclarer récemment que notre démocratie, aussi désirable soit-elle, était à dissocier du développement, fait-il savoir. « Leurs propos reflétaient-ils l’opinion du peuple? J’admets que celui-ci peut douter de la pertinence des efforts mis à défendre la démocratie lorsque la pauvreté le frappe de plein fouet. ». Pour Richard Ouorou, toutes les études sérieuses montrent que la démocratie et le développement sont indissociables. « La première déclenche et pérennise le second. » La démocratie, poursuit-il, est le système politique le plus susceptible de favoriser la paix et l’unité, deux conditions essentielles aux échanges porteurs de développement et dont la communauté internationale profite in fine.

Le problème du Bénin est ailleurs…

Pour le politologue, le problème que le Bénin a rencontré dans sa volonté de croissance et dans son apprentissage collectif de la démocratie est, fondamentalement, que nous n’avons associé à la démocratie que la notion de liberté « TOTALE« . La liberté totale, indique-t-il, est la possibilité pour un citoyen de contester sans contrainte ni sanction la gestion publique étatique et de critiquer ceux et celles qui la représentent et qui détiennent le pouvoir de gouverner. Par analogie, pensons au père qui s’endette et implique sa famille; tous ses enfants, même le plus hors-la-loi d’entre eux, sont totalement en droit de réclamer des comptes puisque c’est aussi leurs noms qui figurent sur la lettre de créance, schématise-t-il.

Mais, les élites béninoises n’ont jamais pris la peine d’expliquer aux populations que la liberté démocratique induisait également des conditions, qu’elle pouvait comporter une dimension relative. « La liberté conditionnée fait ainsi référence aux licences tributaires de la volonté de chaque citoyen de s’acquitter de ses responsabilités, de remplir ses devoirs. », laisse-t-il entendre. L’analyse de notre démocratie doit permettre de comprendre les points sur lesquels elle a manqué d’efficacité. « Permettez-moi alors de pousser plus loin ma réflexion ».

Les faiblesses à corriger

La jeune démocratie béninoise n’est pas purement issue d’une volonté populaire d’émancipation puisqu’elle a été la réponse politique à une crise économique issue d’une gestion obscure des deniers publics, rapelle le consultant qui constate que le modèle béninois dès le départ n’a pas opéré correctement. « Son problème, qu’elle traîne toujours aujourd’hui, est que les conférenciers nationaux de l’époque (de braves intellectuels et des acteurs moins intègres) ont prioritairement conçu et mis en place des mécanismes de gestion électorale plutôt que des mécanismes transparents de gestion publique. », fait-il savoir. Pour s’en convaincre, il suffit de revoir le comportement des acteurs politique à l’issue de cette conférence fondatrice. Ils ont tous (ou presque) été candidats à la présidence de la République, indique-t-il.  » C’est à croire que leur objectif n’était que d’évincer le général Kerekou, de chausser ses bottes et de bénéficier de ses privilèges (pouvoir opaque, présidentialisme exagéré). Un tel présidentialisme, d’ailleurs, s’exprime toujours dans notre démocratie par la voix et le sens donnés à la représentation. », a-t-il souligné

Le sens de la représentation

À cet égard, permettez, Monsieur le Président, que j’y aille d’une autre typologie :

  • Est représentant, toute personne soumise aux ordres d’un tiers et qui ne s’exécute que s’il en reçoit l’ordre et qu’il suit la volonté de ce dernier.
  • Est représentant, toute personne qui agit au nom de personnes sans volonté ou dont les facultés sont affaiblies.

Le représentant du premier type se trouve dans les régimes parlementaires, lesquels sont réputés être les meilleurs puisque, dans ces démocraties, les citoyens ont relativement très peu de raisons de pratiquer la désobéissance civile. Convenons, Monsieur le Président, qu’en comparaison de la France, le Royaume-Uni connaît moins de conflits sociaux paralysants, fait-il savoir.

A Lire aussi Bénin: les réserves de Richard Boni Ouorou sur la nomination du chef de file de l’opposition

Le représentant du second type est celui qu’on observe dans des pays comme le nôtre. Il n’a généralement pas de compte à rendre et décide de tout. Ce représentant est une insulte à la face même du peuple. Les Béninois méritent qu’on puisse et qu’on doive réfléchir avec eux pour leur bien-être collectif, relève-t-il.

Malheureusement, se désole le politologue, les intellectuels conviés à la conférence de 90 ont élitisé le processus démocratique et en ont exclu le peuple souverain. Dès lors, poursuit-il, au lieu d’apporter des solutions concrètes au bénéfice de la classe populaire, nos démocrates patentés ont exclu cette dernière du nouveau système politique. « La Constitution de 1990, d’ailleurs, n’était qu’un genre de copie hybride des systèmes présidentiels américain et législatif français. Autrement dit, un président puissant, avec le pouvoir de démettre et de réinstaller des milliers de fonctionnaires dès sa prise de fonction, à l’américaine, et une assemblée nationale dotée des pouvoirs budgétaire et législatif, un peu à la française. »

Pour Richard Ouorou, dès sa mise en place, la Constitution béninoise n’a jamais véritablement servi les intérêts du peuple ni répondu à ses besoins; elle a plutôt aidé les élites à se positionner. « Du syndicaliste au politicien, chacun y a trouvé son compte. Notre Constitution a été pensée, qu’on me permette l’image, comme un accessoire à greffer sur un corps constitué d’ambitions individuelles« .

La réalité actuelle du Bénin

«  »Je ne mâcherai pas mes mots pour décrire la réalité actuelle au Bénin. Aujourd’hui, des dirigeants sans vision collective réelle ni encadrement idéologique évoluent dans un environnement législatif partial, et dépassent les limites du bon sens tout en prenant le peuple béninois (obsédé de changement) en otage », telle est la description que fait le politologue de la situation présente. Pour lui, la gestion publique n’est pas ce qu’il faut revoir en priorité. Il importe plutôt de remettre en question la forme de notre démocratie et les mécanismes qu’elle a dès le départ privilégiés, des mécanismes qui renforcent un seul homme (président) au détriment de tout un peuple.

Solution pour l’avenir

Je termine, Monsieur le Président, en vous suggérant une piste de solution pour l’avenir. Pourquoi, dans la foulée de ce bel anniversaire qu’il faut célébrer, ne pas faire une analyse complète de la situation, un grand état des lieux? Cela pourrait prendre la forme d’un rapport externe, fouillé et complet, commandé non pas pour remettre en question la démocratie, mais bien pour examiner sa genèse et son mode d’opérationnalisation au Bénin, propose Richard Ouorou. Pour lui, ce rapport pourrait ensuite servir de base à des réformes utiles, afin de mieux consolider le socle démocratique et l’économie de notre pays et marquer durablement son l’histoire.

Armé d’un tel rapport, doté d’un regard impartial, il vous serait beaucoup plus facile de réaliser votre rêve sans doute le plus cher, celui d’être considéré comme l’un des Pères de la nation béninoise. « Le fait d’être président ne fait pas automatiquement de vous un pilier de la nation. Car il faut l’avoir engendré, ou participer d’une façon plus prononcée à son renforcement, pour en être le géniteur ou quelque chose dans la même forme de considération. »

Vous avez cependant, Monsieur le Président, tous les moyens et encore toute la légitimité pour figurer à jamais dans la mémoire collective en tant que véritable bâtisseur de la démocratie. Ne gâchez pas l’opportunité qui vous est offerte, écoutez tous les avis, même ceux venant des camps adverses, conclut-il