[Tribune] Les démissions militairement assistées en Afrique subsaharienne
Ce qui s’est passé au Mali dans la journée du 18 août 2020 ressemble à s’y méprendre à un coup d’État même si les auteurs de ce coup de force militaire refusent d’employer cette expression.
Un coup d’État sans effusion de sang, forçant le président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK) à prononcer un discours à la télévision nationale pour annoncer sa démission. Ce scénario reprend tous les ingrédients des évènements survenus au Zimbabwe dans la nuit du 14 au 15 novembre de 2017. Deux généraux avaient pris le président Mugabe dans le but allégué « d’écarter des criminels de son entourage » sans toutefois le destituer. Quelques jours plus tard, face à une forte pression des militaires et des membres de son entourage, sa démission effective fut actée et sa vie politique prit fin.
Comme au bon vieux temps à la République du Dahomey
La recette de cette manœuvre militaire est bien connue des Béninois! De 1960 à 1972, le Bénin, ancien Dahomey, était familier à ce genre de procédés. Les soubresauts politiques de cette époque lui avaient valu le sobriquet peu glorieux « d’enfant malade d’Afrique ». Chaque fois, qu’un civil élu ou désigné se perdait dans ses notes de bas de page au sommet de l’État, il y avait toujours des militaires illuminés qui se saisissent de lui un beau matin pour le poser devant les caméras de la télévision nationale afin qu’il puisse prononcer un discours de démission.
Par la suite, la junte militaire ayant pris le pouvoir politique organisait des élections pour passer la main à un autre civil. Face à l’incompétence de ce dernier, le même scénario se reproduisait (ainsi de suite) jusqu’au dernier coup d’État militaire de 1972. Mathieu Kérékou, militaire, dirigea alors le pays d’une main de fer et sans état d’âme jusqu’à la conférence des forces vives de la nation en 1989.
Ces assises ont abouti à une accalmie politique et ont dessiné le chemin du pays vers une démocratie libérale. Tel un sillon de dépendance, plusieurs pays lui ont emboité les pas. Ce fut la vague de la démocratisation en Afrique subsaharienne.
De la nécessité de la consolidation démocratique
Depuis ce temps, cette vague de démocratisation qui a soufflé sur l’Afrique au tournant des années 89 – 90 a continué son bonhomme de chemin. Les armées se sont professionnalisées. Les militaires n’étaient plus là que pour la sécurité et la sureté des territoires, des peuples et des biens. Ils ne se mêlent plus de la politique. Dans certains pays, une carrière dans l’armée est même incompatible avec une carrière politique. Plus largement, les partis uniques ont laissé place au multipartisme (intégral).
Les élections étaient plus ou moins libres, transparentes et régulières. Le jeu démocratique est devenu plus ouvert et inclusif. L’alternance à la magistrature suprême s’observait dans presque tous les États africains au sud du Sahara. Les organisations de la société civile étaient diverses et dynamiques. Les libertés fondamentales étaient assurées et respectées. Les organisations syndicales pouvaient défendre les intérêts des travailleurs. En un mot, la démocratie africaine était établie.
Les défis de la mondialisation en Afrique
Avec la mondialisation, le défi des nouveaux présidents africains était de consolider cette démocratie naissante et résiliente afin d’amorcer le virage du développement. Car, il faut oser l’avouer, en dépit de cette belle démocratie, il manquait l’essor économique et un mieux-être social. Nos chers présidents avaient comme doléances de leurs populations très jeunes des défis liés à une formation axée sur les besoins du marché de l’emploi afin de profiter de ce fameux dividende démographique qui pourrait baisser un taux de chômage galopant et inquiétant.
Il y avait des défis liés à la situation sanitaire de nos pays qui, en plus des déserts médicaux dans les zones rurales sont confrontés au délabrement chronique et mortifères du plateau technique dans les quelques hôpitaux de référence. N’oublions pas les défis liés à l’empowerment des femmes à travers de vrais programmes de micro-crédits non politisés puisqu’elles constituent les véritables forces motrices de nos sociétés. Et j’en passe.
Le mécontentement des peuples
Mais depuis quelques temps, le peuple observateur a l’impression que le diable susurre aux oreilles de nos présidents des propos malsains et peu avisés. Des pays réputés pour leur stabilité légendaire; la solidité de leur démocratie; la vitalité de leur économie, sont en train de connaitre des revirements spectaculaires. Si ce n’est pas le président du Bénin qui a modifié les lois électorales pour créer un poste de vice-présidence (sans réel pouvoir) et un parrainage pour tous les futurs candidats aux prochaines élections présidentielles de 2021, c’est celui de la Guinée Conakry qui interprète à sa guise la Constitution pour briguer un troisième mandat, contesté par l’opposition et le peule guinéens.
Ou encore, le président ivoirien qui est convaincu qu’aucun politicien ivoirien n’est assez bien formé (par lui) pour briguer la mandature présidentielle. Il met en effet en avant le décès de son dauphin et estime consentir à un sacrifice en se présentant pour un troisième mandat car personne d’autre ne connait « sa constitution aussi bien que lui ».
Malgré les protestations des jeunes dans les grandes villes de la Côte d’Ivoire et la grogne de l’opposition pour ce troisième mandat, il maintient sa candidature pour les élections présidentielles d’octobre 2020. C’est à croire qu’un corbeau venait de survoler cette paisible sous-région, et comme le veut la légende, le passage de cet oiseau de mauvais augure laisserait présager quelque chose de funeste.
Revenir à la raison en écoutant le cri de son peuple
Si l’ontologie de la science politique nous permet de considérer le bien-être des peuples que nous étudions comme le but de nos recherches, nous devons nous poser la question suivante : entre les chefs d’États qui bidouillent les lois électorales et les Constitutions pour rester plus longtemps au pouvoir et les militaires qui usent de la force armée, qui font réellement le bonheur des peuples?
L’unanimité s’est construite et se construira toujours pour s’opposer aux coups d’État car ils sont inconstitutionnels, manquent de légitimité, profitent à une poignée d’entrepreneurs politiques qui les nourrissent et les encouragent. Dans un État démocratique, les seuls dirigeants légitimes sont ceux à qui le peuple a confié sa souveraineté par le biais des élections libres et transparentes, dans un jeu démocratique ouvert et inclusif.
Ainsi, les chefs d’États africains doivent penser au-delà de leur entourage. La production de biens publics tels que l’éducation, la santé, la justice, la paix et la sécurité a un coût mais elle profite à tout un peuple, celui qui vous a élu. Il serait plus louable de l’écouter que de servir un clan.
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