«Restituer le patrimoine africain» se heurte à l’ambition de la France d’être le centre du monde
La question très sensible de restitutions d’œuvres d’art aux pays d’Afrique subsaharienne a fait l’objet d’un rapport écrit par les universitaires Felwine Sarr, économiste sénégalais et Bénédicte Savoy, spécialiste français de la culture sur demande d’Emmanuel Macron et lui a été remis le 23 novembre dernier. L’écriture de ce rapport a durée une année. Suite à ce rapport, Emmanuel Macron a décidé que 26 œuvres réclamées par les autorités du Bénin, volées par le général français Dodds dans le palais de Béhanzin en 1892 au Bénin lui soit rétrocédées. Après ce texte qui invite à la restitution, des résistances du coté occidental ont vu le jour. Comment comprendre cette situation ? Pourquoi ce rapport si juste «Restituer le patrimoine africain» ne serait-ce que par son titre est-il controversé ? Quelle lecture philosophique ?
Le 28 novembre 2017, Emmanuel macron avait annoncé comme un papa noël, la mise en œuvre dans un délai de cinq ans, des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique. «Le patrimoine africain (…) doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, Lagos, Cotonou (…) Ce sera l’une de mes priorités. D’ici cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour un retour du patrimoine africain à l’Afrique», avait -t-il confessé dans son discours à l’université de Ouagadougou dans le cadre d’une visite de travail avec son homologue Rock Marc Christian Kaboré. Un an après, il donne une suite, une réponse à sa confession, à son vœux émis au Burkina.
Ainsi, il y a une semaine , le rapport Sarr-Savoy «Restituer le patrimoine africain» qu’il a lui-même demandé pour avoir le point de vue d’expert sur la question, avant de décider lui a été remis. Mais ce rapport qui montre la nécessité de rétrocéder à l’Afrique, ces œuvres d’esprit créé un débat passionné dans le monde, en l’occurrence en France. « Restituer le patrimoine africain », ce titre, rien que le titre du rapport a causé assez de constipation en France, aux États-Unis, bref à certains occidentaux à l’instar du directeur du musée du quai Branly, Stéphane Martin qui n’entend pas de ses oreilles que ces œuvres soient rapatriées avec comme argument fallacieux que l’Afrique ne dispose pas de moyen de conservation de ces œuvres. Pourquoi refuser que des œuvres volées et qui appartiennent à d’autres et qui traduisent leur identité culturelle leur soient remises? Aucun argument ne peut justifier un tel refus. Ce refus indique le mépris et le déni de reconnaissance qui caractérisent les occidentaux dans leurs rapports avec l’homme noir depuis l’esclavage en passant par la colonisation et le néocolonialisme.
Ce rapport délie les langues des pays africains
Selon les presses internationales, des collections d’œuvres d’art au Quai Branly en France, on retrouve essentiellement des objets des anciennes colonies françaises: le Tchad tient la tête de peloton, avec plus de 9 000 œuvres, en deuxième position vient le Cameroun 7 838 pièces œuvres, l’île de Madagascar troisième avec 7 590, le Mali quatrième avec 6 910, la Côte d’Ivoire cinquième avec 3 951 œuvres, le Bénin sixième avec 3 157 œuvres, la République du Congo septième avec 2 593, le Gabon huitième avec 2 448, le Sénégal neuvième avec 2 281 œuvres et la Guinée dixième avec 1 997, pour ne citer que ceux là.
En effet, plusieurs pays africains à la suite du Bénin ont fait savoir leurs revendications d’accéder à leurs œuvres pillées lors de la colonisation par la France. Ils n’y vont pas avec la brutalité dont a usé le colon en détournant ces œuvres mais avec diplomatie non sans fermeté. Parmi eux, le Sénégal a construit un gigantesque musée dénommé Musée des civilisations noires avec une capacité d’environ 18.000 pièces et qui sera inauguré en décembre prochain. Selon le ministre sénégalais de la Culture, Abdou Latif Coulibaly, qui a fait savoir à seneplus.com que son gouvernement avait formulé des demandes de restitution des œuvres prises durant la période coloniale par la France une centaine, le dit musée a la capacité de conserver des œuvres d’art. La côte d’ivoire revendique aussi ses œuvres à la France, une centaine sur les 3 951. Le Burkina Faso aussi se prépare pour faire les mêmes demandes et certainement beaucoup d’autres pays.
A la vérité, les œuvres d’art africains pillées lors de la colonisation et dont les pilleurs ne sont pas enthousiastes à les restituer sont un pan de l’histoire coloniale qui montre à suffisance que l’occident à tout propos veut être le centre du monde au détriment du reste du monde et tous les moyens sont bienvenus. D’ailleurs, l’indépendance africaine n’a jamais été octroyée de plein gré à l’Afrique par l’ancien colonisateur. Le colonisateur est convaincu jusqu’à la moelle que l’homme noir est moins qu’un homme, sans dignité, sans histoire. Il faut donc le brutaliser, le traiter sans égard, l’abrutir, le ferrer, l’animaliser, l’anéantir.
Il y a dans la linguistique, plusieurs sobriquets qui corroborent ces préjugés que le blanc a sur le noir. Entre autres, les indigènes, les tributs, les négro, les prélogiques, les sauvages. Ces termes indiquent le complexe de supériorité que le blanc entretien vis-à-vis du noir et expliquent en grand trait, la violence physique dans le cadre de la colonisation mais aussi la violence morale et psychologique du néocolonialisme dont les ressorts sont politique, économique et artistique.
L’actualité du rapatriement des œuvres d’art pillées à l’Afrique et la résistance que cela suscite du côté des pilleurs constituent l’une des formes de violences de l’esprit de l’homme noir plus profonde que celle du corps lors de l’esclavage et de la colonisation. Hier, Ils ont arraché les bras valides, aujourd’hui, ils veulent garder de force les œuvres de l’esprit du continent comme trophée ou comme signe de suprématie. Tout ce qu’il y a de grand (cerveau, bras valide) et tout ce qu’il y a de beau (génie, art), ne peuvent rester en Afrique mais sont destinés à l’occident.
Le déni de créer, le refus de l’âme à l’Afrique et l’idée qu’elle n’a pas d’histoire ne sont pas gratuits mais planifiés et se traduisent par la colonisation et le néocolonialisme. Hegel, penseur allemand, affirmait déjà au XVIIl siècle que l’Afrique n’a pas d’histoire. Il faut par tous les moyens faire donc avaler, faire croire, faire accepter à l’homme noir qu’il ne vaut rien, qu’il n’est rien, ce qui permet subrepticement aux blancs de se faire passer pour un être devant qui le noir devrait s’incliner, condition sine qua non de l’exploitation de ses ressources, de l’exploitation de lui-même. L’homme noir n’est pas une personne mais un moyen, voilà le plan ourdi depuis toujours par l’occident pour tuer dans l’homme noir tout sentiment de son identité propre.
Le sujet sur le retour des œuvres d’art africain sur leur terre et les réactions négatives et résistances dans le rang de personnes et d’institutions françaises attestent que le statu de l’homme noir n’a pas évolué dans les schèmes mentaux du blanc.
Ce qui fâche ici, c’est moins la violence morale et psychologique que la répétition dans le temps d’un projet barbare et rétrograde à l’égard d’autres peuples. La règle de la jungle imposées à l’Afrique depuis l’esclavage avec ses compléments de tueries et de condamnation des noirs à vivre comme des damnés de la terre et condamnés à se dénigrer et à perdre leur centre en eux-même et à le placer ailleurs passe aussi par cette confiscation de ses œuvres d’art. Dans un tel contexte, la lutte contre l’immigration avec les tombeaux à ciel ouvert sur la méditerranée que ça génère ne marchera pas. Tout est planifié pour que l’occident soit le centre du monde et le reste du globe la périphérie et instrument des autres, affamés et repus confondus.
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