Bénin: la Mémoire du Chaudron épisode 39

L’ancien Conseiller technique à la communication du président Boni Yayi, Tiburce Adagbè, rend public ses mémoires des faits vécus à la présidence de la République entre 2006 et 2011. Intitulés la « Mémoire du chaudron », les écrits croustillants de Tiburce Adagbè rentrent dans les méandres du pouvoir Yayi. Voici l’épisode 39  de la « Mémoire du chaudron ».

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Il y avait une façon de lire et de comprendre l’obsession de Yayi à avoir Edgar Alia avec lui. N’oublions pas qu’en cette veille de sortie de scène du Général Mathieu Kerekou, un champ large de possibilités s’offrait certes à notre candidat certes, mais le terrain était parsemé de mines antipersonnels qu’il fallait savoir identifier et désamorcer avec adresse.

Tout lui était possible, mais en même temps la moindre faille dans ce château de cartes pouvait entrainer l’écroulement de tout l’édifice. Le cas de la géopolitique des collines à la veille des présidentielles de 2006 mérite qu’on s’y attarde un peu. Deux groupes socio-culturels composent cette aire géographique. Il s’agit des nagots et assimilés parmi lesquels il faut mettre les idaatcha et les ifè, puis les mahis dont la répartition sur l’espace du département n’est pas homogène. Si Yayi pouvait compter sur une adhésion naturelle et spontanée des nagots pour qui le slogan était  » enfin notre tour », les mahis étaient à conquérir, même s’ils exprimaient une certaine bienveillance à son égard. Il y avait déjà, bien entendu, l’engagement sans faille de Benoît Degla que Yayi utilisait déjà comme un signal dans le nord des collines pour transcender le vieux clivage politique qui opposait les populations de Ouesse-centre essentiellement mahi à celles des autres arrondissements nagots de la commune, depuis le choix par le gouvernement marxiste révolutionnaire, de Ouesse comme chef-lieu de district.

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A l’avènement du renouveau démocratique, le comportement de l’électorat dans ce district rural devenu commune, a bien souvent épousé la démarcation ethnique entre ces deux populations. Une démarcation que seule la grande aura du général Kerekou réussissait à étouffer. Son départ en 2006 ouvrait donc une ère d’incertitude dans cette zone et l’hostilité très ouvertement affichée des leaders mahis comme Edmond Agoua et Jean Gounongbe à la candidature de Yayi était de la plus mauvaise augure. Il fallait par ailleurs intégrer le fait que les mahis, au nord du département des collines n’ont pas les mêmes réalités politiques que ceux de Savalou et environs. Il était en effet très malaisé de savoir si ces derniers se rangeaient dans la zone géopolitique Collines-Septentrion ou Fons et assimilés.

La consultation des résultats des élections présidentielles de 1991, de 1996 et 2001 qui opposait chaque fois Nicephore Soglo à Mathieu Kerekou, avec un clivage Nord-Sud très prononcé, avait montré un glissement progressif du vote des mahis de Savalou et environs vers le bloc géopolitique Colline-Septentrion. Un bon signal pour Yayi. Mais il fallait rester sur ses gardes, la proximité culturelle naturelle mahi-fon pouvant être réactivée à tout moment. Et c’est d’ailleurs ce que soupçonnait Yayi lorsque Edgar Alia commença son petit numéro chantage politique. Il soupçonnait une manœuvre de division orchestrée son challenger majeur Adrien Houngbedji qui, disait-on, aurait salarié depuis deux ans plusieurs dizaines d’élus locaux dans les collines et le septentrion. Une candidature de Edgar Alia, ajoutée aux trous d’air que constituaient déjà Edmond Agoua et Jean Gounongbe aurait un effet psychologique négatif dans le milieu mahi. Et Yayi l’avait bien compris. Même s’il fit preuve de génie politique en plaçant l’épicentre identitaire de sa candidature dans la zone bariba plus au nord, il savait très bien que son vrai centre de gravité politique était dans les collines.

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D’ailleurs en lisant ces lignes, il se souviendra sans doute de l’indifférence de ces nombreux cadres baribas à Nikki en 2003, lorsque nous nous y rendîmes pour sa première gaani politique. Je me demande même si certains parmi eux n’avaient pas rigolé discrètement en voyant apparaître parmi eux, cet intrus sans invitation spéciale, dans ce « taco », tenue traditionnelle bariba, trop propre pour être authentique. Mais lui Yayi y était allé en conquérant. Il savait ce qu’il voulait. Et en cette mi-janvier 2006, à quelques semaines du démarrage de la campagne électorale, le peuple baatombou était aligné derrière lui. Son influence personnelle, son flair très aiguisé, ses fausses humilités, son opiniâtreté mais aussi les réseaux que Patrice Talon mit en branle dans les bassins cotonniers du nord, le plaçaient comme favori de la compétition à venir. L’ancien professeur de mathématiques brouillon mais réputé du Ceg kandi, l’homme à la Honda MB-100 qui ne détestait pas les nanas, l’ancien pensionnaire du lycée Mathieu Bouké de Parakou, camarade de classe de Saca Lafia, de Noël Kousse et de bien d’autres, le modeste rejeton du quartier okéglété à Tchaourou, devenait le maître du nord. Et ce n’etait pas la résistance de Georges Saka, Barthélémy Kassa, Soule Dankoro, Amouda Razaki, Antoine Dayori, koumba Gadje, Rachidi Gbadamassi et Issa Salifou qui le bloquerait. D’ailleurs pour les cas Issa Salifou et Koumba Gadje, il y avait une solution toute trouvée sur les bords du fleuve Niger. Une solution qui s’était offerte d’elle même : Houdou Ali.

Ah ce Houdou Ali …! Aussi fidèle que ma mémoire puisse me rester, le président du Parti Beniniste du Bénin offrit très spontanément et assez tôt son soutien à Yayi. Malgré le discours très peu saisissable de l’homme, mélangeant avec une verve irrationnelle Karl Marx à Jésus et à Mahomet, son utilité se révélait de plus en plus dans le nord de l’Alibori que Issa Salifou promettait à Amoussou. Mais ce que nous ignorions, c’est que nous n’étions pas seuls à l’avoir perçu. Deux jours après cette éclatante cérémonie de déclaration de candidature de Yayi, je me rendis chez lui pour une raison quelconque. L’ambiance y était incroyablement électrique. Yayi téléphonait sans cesse. Quelqu’un m’informa rapidement de la nouvelle incroyable du jour. Houdou Ali refusait de décrocher Yayi. Il aurait même confié à une tierce personne qu’il n’accepterait plus parler avec Yayi, qu’en présence de Séverin Adjovi. J’étais journaliste depuis un peu moins de dix ans déjà et je connaissais bien les moeurs politiques du pays. Mais c’était la toute première fois que je voyais ce cas de figure. Un homme politique qui se vassalisait au point de ne plus pouvoir parler qu’en présence de son nouveau « maître » ? c’était absolument inouï.

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Après plus d’une heure de pressions et de médiations diverses, Houdou Ali finit par nous faire une concession. Il était d’accord pour reparler avec Yayi ; mais seulement au domicile de Séverin Adjovi où il se trouvait, et en sa présence du maître des lieux. Yayi me demanda de l’y accompagner. En une dizaine de minutes, nous étions dans la cour de cette vaste demeure qu’avait érigée Séverin Adjovi à un jet de pierre de l’aéroport. Le lieu me rappelait les « asciendas » brésiliens que nous voyions dans les telenovelas latino-américains où il était souvent question de maître, de sujets et d’esclaves. Cela tombait bien : nous y étions pour négocier ou renégocier un homme. Son nouveau maître nous y attendait sans doute. Avec ses nouvelles exigences.