Bénin: « Oui, j’ai mal; oui, comme citoyen, je souffre », Ganiou Soglo
Dans une tribune publiée ce lundi 27 avril 2020, l’ancien ministre de la Culture, Ganiou Soglo, a peint en noir, le bilan des quatre ans de Patrice Talon, en ce qui concerne les droits de l’homme et le respect des décisions de justice.
Du classement des Reporters sans frontière à la décision du retrait du protocole de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Ganiou Soglo déplore la manière dont le Bénin gère les droits de l’homme. L’incarcération de journalistes, la fermeture de radios sont autant d’éléments qui ont déclassé le Bénin dans le nouveau classement de Rsf.
La dernière décision qui fait si mal au fils de l’ancien président de la république Nicéphore Soglo, est le retrait du droit aux citoyens de saisir directement la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples par le gouvernement béninois. C’est une dégringolade qui ne dit pas son nom, dira-t-il dans sa tribune intitulée: « iI faut que je vous dise… ».
C’est désabusé, un poil meurtri que je commence ma tribune de la semaine. Quand je vois l’état de déliquescence dans lequel tombe mon pays, oui j’ai mal, oui comme citoyen je souffre.Tout dernièrement, vendredi 17 avril 2020, la Cour Africaine des Droits de l’homme et des Peuples (CADPH) demande au Bénin de surseoir provisoirement à l’organisation des Communales du 17 mai 2020. Suite à une requête de Monsieur Sébastien AJAVON. Pour toute réponse, notre pays se retire du protocole de saisine direct par un citoyen. Dans le même temps, la Côte d’ivoire, qui est aussi condamnée, répond dans un premier temps qu’elle prend acte. On juge la grandeur d’un pays à l’aune de ses actes.Dans la foulée de cette nouvelle, le classement mondial de la liberté de la presse par Reporters Sans Frontière (RSF) tombe ce lundi 20 avril comme un couperet, car le Bénin perd 17 places et retombe à la 119ème place. Faut-il être surpris ? Avec le jeune Ignace SOSSOU en prison et la fermeture de radio SOLEIL, nous ne pouvons monter dans le classement.Le ridicule ne tuant pas, notre satrape national écrit aux institutions que sont la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International pour leur dire qu’au lieu d’un jeu d’écriture (annulation de la dette), il préférerait pour son pays le Bénin, de l’espèce sonnante et trébuchante (cash). Or le plus cocasse dans cette histoire de lettre est qu’il est le seul de la sous-région à n’avoir pris aucune mesure sociale ou financière pour alléger la souffrance de sa population des conséquences économiques de cette crise sanitaire qu’est la covid-19. Mieux, nous pérorions, il y a quelques semaines, d’être sortis des 25 pays les plus pauvres du monde, mais c’est avec joie et émerveillement que nous nous retrouvons dans ces mêmes 25 pays susceptibles de bénéficier de cette mesure.Mes cher(e)s ami(e)s,Là où le bât blesse, c’est qu’autrefois, surnommé «le quartier latin de l’Afrique», je ne reconnais plus les cadres, les intellectuels de mon pays, qui, dans un passé récent, furent envoyés par centaine partout en Afrique francophone pour instruire les autres Africains. Face à la gabegie que nous vivons, ils sont taiseux ou à vomir. Pour illustrer mon propos, j’ai abordé le système partisan dans une tribune précédente et les laudateurs m’ont fait comprendre qu’il y a des partis d’opposition et que le système partisan balbutie mais qu’il est bien pensé. Soit! Mais dans quel pays au monde avez-vous vu des partis, dits d’opposition, appeler à voter lors d’une élection pour le parti au pouvoir ?Pourquoi ?Tout porte à croire que le principe de soumission au chef a droit de cité chez nous, dorénavant. La pensée critique devient un luxe. Pire, Le panurgisme est de mise et l’usage de la force et des moyens de l’Etat pour contraindre toute controverse sont de nos jours une seconde nature et rentrent dans les comportements. Pour preuve, Le jeune DJAHO a été tué récemment, aucune récrimination, aucune Une de journaux, rien. La police politique est de plus en plus équipée pour nuire, l’administration fiscale pour contraindre les entreprises, la justice avec la création de la CRIET pour les esprits récalcitrants et autres opposants. La crainte, la peur deviennent le mode de gouvernance. Mais, à trop tirer sur la corde, on se fragilise. Louis ALTHUSSER disait à une époque «qu’un pouvoir qui ne fonctionne qu’à partir de la répression est un pouvoir fragile».À l’épreuve du pouvoirJe ne veux pas m’ériger en donneur de leçon, loin de moi cette idée, mais je peux me permettre juste d’essayer d’éveiller les consciences.Pour mémoire, en France, rappelons nous qu’en 2012, François HOLLANDE, alors candidat aux présidentielles, fera un discours magistral au Bourget (région parisienne). Dans ce discours, il y aura ce moment magique où il dira: «… Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance». Ce moment sera le tournant de sa campagne, résultat des courses, il deviendra président.Une fois en place et à l’épreuve du pouvoir, le président François Hollande changera de braquet et proposera aux Français, une politique en décalage avec son programme. En 2017, il ne pourra même pas être candidat à sa propre succession.Je m’essaie au parallélisme des formes, en mars 2016 à l’occasion du face à face, l’opposant au candidat de la mouvance présidentielle, en l’occurrence M. L. ZINSOU, le Président Talon dira ceci, je cite : «…A quoi sert une loi si l’Etat ne respecte rien du tout ? Ni les lois, ni les décisions de justice. UN ETAT VOYOU. C’est un Etat qui ne respecte pas les lois, ni les décisions de justice. L’Etat lui-même qui viole les lois..». Une fois en situation et à l’épreuve du pouvoir, Le président n’aura que cure de ses belles paroles. Les promesses n’engagent que ceux qui les croient. La justice est instrumentalisée à souhait, AJAVON et K. KOUTCHE écopent de 20 ans de prison après des procès scabreux, V. DJENONTIN prend deux ans alors qu’il était député en exercice, etc. Au regard de ce qu’il a vécu et compte tenu de son expérience alors qu’il était aussi poursuivi, le président Talon a pu jouir du privilège du peuple français qui s’est battu pour sa liberté et opter pour une démocratie. C’est ce privilège qui lui permettra de ne pas être extradé au Bénin malgré les sollicitations du parquet béninois. Le régime du Bénin révélé nous a promis une véritable rupture avec les anciennes pratiques d’une autre époque en consolidant l’Etat de droit et la bonne gouvernance.En jetant ainsi le discrédit sur son mandat, en ne respectant pas ses engagements, je crains fort que le président ne puisse honorer sa promesse de faire un mandat unique et devenir, aux yeux de son peuple, le président des présidents. Les prémices d’un second mandat se dessinent peu à peu. À grand renfort de communication et de propagande, les aficionados ont commencé par défiler et crier « Talon 10 ans ». Pour rester factuel, il suffit de regarder la télévision nationale, depuis 1 mois, elle nous gave du bilan. Et un jour le président viendra nous dire : « je ne peux pas dire non à mon peuple qui souhaite que je fasse un second mandat». Les institutions déjà caporalisées, le reste ne sera qu’un jeu d’enfant.C’est le Bénin qui gagne.Qu’en pensez vous ?je vous souhaite à tous un bon début de semaine. N’oubliez pas le port obligatoire du masques et les gestes barrières.Ganiou Soglo
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