Le phénomène de la mutilation génitale féminine a toujours droit de cité au nord du Bénin, malgré les multiples sensibilisations à ce sujet. Pour fuir les dispositions législatives, qui sanctionnent l’acte en République du Bénin, des acteurs qui s’y adonnent préfèrent opérer sur des territoires voisins.
Au village de Sakabansi, dans la commune de Nikki, à 500 km environ de Cotonou, des filles entre 5 et 15 ans continuent de subir le diktat de la tradition de la région quant à la mutilation génitale féminine, l’excision. Les jeunes filles des villages de Donwari et Podo, dans la commune de Kandi en payent aussi les frais. Des poches de résistance de cette pratique ancestrale se remarquent aussi dans l’Atacora, la Donga et les localités environnantes, toujours au nord du Bénin. Dans la partie méridionale, quelques cas sont recensés dans le département du plateau.
Les mutilations génitales féminines (Mgf) se définissent comme toute intervention aboutissant à l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre mutilation des organes génitaux féminins pratiqués pour des raisons non médicales. Selon les prévisions de l’Organisation mondiale de la santé (Oms), près de « quatre-vingt-six millions de jeunes filles à travers le monde risquent de subir des mutilations sexuelles d’ici à 2030 ». C’est donc un signal de cette organisation pour alerter les citoyens du monde sur ces filles innocentes qui seront confrontées à cette pratique au cours des 10 prochaines années.
Au Bénin, selon l’Oms, la courbe des filles excisées a certes considérablement chuté ces quinze (15) dernières années, mais la nouvelle technique déployée par des acteurs ne permet malheureusement pas de s’en réjouir. Mais le législateur béninois, pour une lutte efficace contre ce phénomène, a doté le pays d’un arsenal juridique adéquat qui réprime tous ceux qui s’y adonnent.
Fuir la législation béninoise
Au Bénin, comme dans nombre de pays qui pratiquent une excision sur les filles, la pratique est considérée comme un moyen d’asservir et de « dompter » la sexualité des filles. C’est également, suivant les traditions, une garantie de la chasteté. Ces mutilations génitales féminines (Mgf) sont donc des prérequis au mariage ou à la succession.
Pour Mohamed Alidou, directeur exécutif de l’Association pour la protection de l’enfance malheureuse (APEM) ONG, « le nouveau mode opératoire adopté par les exciseuses consiste à aller se réfugier dans des contrées hors du territoire béninois pour échapper aux interpellations ».
Dans un rapport publié par la plateforme des organisations de la société civile, il y est noté que la pratique a été poussée à la clandestinité et a franchi les frontières du Bénin étant donné qu’elle est punie par la loi dans le pays. A Ségbana, au nord-est du Bénin, des habitants ont témoigné que « des exciseuses convoient des jeunes filles en traversant la frontière pour les exciser au nord du Nigéria où les mutilations génitales féminines ne sont pas encore illégales ». Des villes du Niger et du Burkina Faso sont également citées pour accueillir les gardiennes de cette tradition pourtant décriée et condamnée.
Dans la législation nationale, la loi N° 2003-03 n’aborde pas directement la question des MGF transfrontalières. Aussi, note-t-on que le pays ne dispose pas, jusqu’aujourd’hui, de législation spécifique ou d’autres lois relatives aux MGF perpétrées sur ou par des citoyens béninois dans d’autres pays.
Que retenir de la loi ?
Le Bénin dispose d’un cadre juridique bien élaboré qui devrait lui permettre, si bien mis en œuvre, de venir à bout de cette pratique ancestrale aux conséquences désastreuses sur les filles « victimes ».
La loi fondamentale du Bénin de décembre 1990 modifiée en novembre 2019 ne s’attaque pas directement aux Mgf. Toutefois, cette Constitution, à son article 8, spécifie que « l’État est dans l’obligation de respecter et de protéger la personne humaine ». Elle reconnaît aussi l’égalité entre les deux sexes et stipule en son article 18 que « nul ne sera soumis à la torture, ni à de sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
En plus de la Constituions du Bénin, la principale loi qui spécifie et interdit les Mgf est celle N°2003-03 promulguée le 3 mars 2003 portant répression de la pratique des mutilations génitales féminines en République du Bénin. Parmi l’arsenal juridique existant au Bénin, on dénombre la loi N° 2011-26 de janvier 2012 portant prévention et répression des violences faites aux femmes et la loi N° 2015-08 portant Code de l’enfant en République du Bénin.
L’article 4 et suivants de la loi N°2003-03 définissent que la commission de Mgf est punie d’une peine d’emprisonnement d’au moins 6 mois à 20 ans selon le cas et d’une amende de 100 à 6 millions de francs CFA. L’article 7 de la même loi stipule que « quiconque aura aidé, assisté, sollicité l’exciseur ou l’exciseuse, lui aura fourni des moyens ou donné des instructions, sera traité comme complice et condamné aux peines encourues par l’auteur principal ».
Et l’article 9 aborde que « la non-prévention d’un acte planifié de MGF et/ou sa non-dénonciation auprès des autorités ou de la police est immédiatement passible d’une amende allant jusqu’à 100 000 francs CFA ».
« J’ai perdu confiance en moi-même »
Nul n’ignore aujourd’hui que cette pratique ancestrale qu’est la mutilation génitale féminine viole les droits humains et ruine la santé et le bien-être des filles « victimes ». Selon l’Unicef, la liste des dangers qui guettent les victimes est longue. On note souvent de graves hémorragies, de problèmes urinaires, de kystes, des infections, la stérilité et surtout l’ajout des complications lors de l’accouchement et le risque de décès du nouveau-né.
Latifath est toujours célibataire alors qu’elle avait fêté ses 35 ans en avril dernier. Pour cette « vieille fille » ayant subi l’excision à 9 ans, « toute envie sexuelle que pourrait avoir une fille n’a été pour elle que des témoignages des autres puisqu’elle n’en a jamais ressenti ».
« Les quelques rares fois je me suis aventurée sur ce terrain n’ont été que déception, tant pour mon partenaire que pour moi-même », articule difficilement Latifath.
Dans une de ses interviews, la psychologue Sylvie de Chacus explique que la « mémoire de la douleur demeure en l’individu, ce qui peut entraîner des formes de phobie, de telle sorte que, la jeune fille, devenue, femme, ne pourra pas supporter les rapports sexuels ». Une réalité chez Latifath qui dit avoir complètement perdu la confiance en elle-même.
Les ONG intervenants dans ce secteur et l’Etat central se battent certes pour bannir cette pratique ancestrale, mais elle demeure dans le pays. Un constat qui plombe malheureusement les efforts de ces acteurs et surtout ceux des organismes internationaux qui opèrent sur le territoire béninois.
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